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L’hôpital en quête de sens

Poursuivons notre réflexion sur l’hôpital entamée à propos de l’émission d’Arte. Ce drame sociétal mérite bien un second billet. « C’est à cause de la pression économique et des restrictions budgétaires que l’hôpital va mal ! » Cet argument ressassé indéfiniment par les médias ne résiste pas à un examen honnête de nos dépenses de santé. Nous dépensons 4,4 point de PIB pour l’hôpital soit un point de PIB de plus que la moyenne des autres pays, annonçait l’économiste de santé Frédéric Bizard, il y a quelques jours sur BFMTV.

J’ai développé dans mon dernier billet la thèse d’une crise du pouvoir. Regard à l’intérieur de l’hôpital, il faut le regarder maintenant de l’extérieur. Changeons de focale.

L’hôpital va mal parce qu’il ne répond plus aux grands enjeux de santé publique que nous avons à affronter. Notre paysage épidémiologique est celui des maladies chroniques. La cause de ces maladies chroniques se comptent sur les doigts d’une main : mauvaises habitudes alimentaires, sédentarité, tabagisme, pollution. Cette approche est sans doute trop schématique, elle n’en reste pas moins exacte du point de vue de son impact économique. Les maladies chroniques ont un coût annuel de 100 milliards d’euros soit les deux tiers des dépenses de la Sécurité sociale. Par ailleurs, 88% des décès sont causés par des maladies chroniques.

L’hôpital, à l’évidence, n’est pas le mieux placé pour répondre à ce statut épidémiologique. Aujourd’hui, ce n’est pas à l’hôpital que se joue notre santé. La technologie médicale nous fascine, nous lui prêtons des pouvoirs quasi magiques. Ainsi l’hôpital, temple de la technique médicale, est perçu comme l’instrument tout puissant de notre système de soins. Alors qu’il n’apporte que des solutions dérisoires voire absurdes à nos véritables problèmes de santé. La chirurgie de l’obésité est emblématique de la perversion de nos mentalités. Quand il faudrait apprendre aux patients à mieux se nourrir, nous leur proposons le by-pass. Il s’agit bien d’une perversion de l’offre de soins quand on sait que certains patients en surpoids qui n’ont pas un indice de masse corporel conforme aux recommandations se font grossir pour avoir le ticket pour l’intervention.

Les ordonnances de 58 ont fait de l’hôpital la pièce maîtresse de notre système et les quelque huit réformes qui ont suivi n’ont cessé de  renforcer sa position dominante. Notre obstination à mettre l’hôpital au centre du système procède d’une crispation idéologique. La dernière loi Santé, en créant les groupements hospitaliers de territoire, a enfoncé le clou. Elle ajoute une septième couche au mille-feuille bureaucratique hospitalier. Ce regroupement n’apporte rien de nouveau. Des modes de coopérations plus souples entre les hôpitaux existaient déjà avant cette loi. Ainsi les réseaux de santé périnatalité, en 2004, avaient déjà institué une prise en charge graduée des grossesses et une coopération entre les maternités.

Nous allons à contre-sens de l’Histoire. Depuis la moitié du 20e siècle, on constate une forte décroissance des lits d’hôpitaux dans le monde. Ainsi entre 1960 et 2011, le nombre de lits a diminué de 60% en Italie, de 73% au Royaume-Unis et de 81% en Suède et seulement de 34% en France. En 2011, le nombre de lits pour 1000 habitants était de 6,2 dans notre pays alors qu’il n’était que de 2,9 au Royaume-Uni, de 2,7 en Suède, de 3,3 en Norvège et de 3,5 au Danemark.

Ce qui est à entreprendre est à la mesure d’une révolution copernicienne. Ne plus concevoir l’hôpital comme le centre, le pilier, la structure suzeraine de notre système de soins mais comme le satellite d’un modèle à construire. Et in fine le dernier recours quand la prévention a échoué.

Il est urgent que nos responsables politiques viennent au secours de notre hôpital moribond autrement qu’en lui administrant des soins palliatifs. Faute quoi l’hôpital se supprimera tout seul entrainant dans sa lente agonie malades, soignants et administratifs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Laurent Vercoustre

3 Commentaires

  1. Bonjour,
    j’avais beaucoup apprécié vos autres billets, mais celui-ci me laisse sur ma faim. Je commence par préciser que je partage votre analyse, mais celle-ci est largement connue et « sur »relayée par les différentes tutelles.
    Les énormes ressources affectées à l’hôpital n’empêche pas que celui-ci est en réalité une victime. Le problème que le remède choisi à la situation que vous avez décrite est une stratégie d’étranglement économique pour forcer à des restructurations, donc sans que celles-ci aient finalement de pilotage médical clair, et d’autre part sans que l’alternative à l’hôpital ait été mise en place. Le dramatique résultat est que l’hôpital est amené à assumer une activité pour la quelle il n’est pas le mieux placé, dans lesquelles les soignants ne se reconnaissent pas, avec des moyens insuffisants.
    Concrètement, il s’agit le plus souvent de personnes âgées présentant une dépendance aigue (pouvant être en lien avec un problème médical aigu mais même pas forcément), mais sur un terrain de maladie chronique, avec une entrée non programmée par les urgences et une impossibilité de retour à domicile, avec une affluence variant au gré des épidémies et des fluctuations statistiques, avec un manque de lit les 2/3 du temps et des lits vides le temps restant, des brancards en attente aux urgences, des PH ulcérés d’assumer la permanence des soins par défaut d’organisation de la médecine de ville…Tous les PH de mon établissement pensent avoir trop de lits, mais en l’état actuel de l’organisation globale du système, les urgences ne peuvent pas faire sans.

  2. Analyse parfaite. Les problèmes sont connus. Mais les solutions raisonnables ne peuvent malheureusement venir ni de l’hôpital lui même (sur administré) ni de la médecine dite libérale en pleine déliquescence (laminée par des politiques pour le moins inadaptées ou au mieux aberrantes mais toujours irresponsables).

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