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« Vous êtes incontournables, la mutation aussi ! »

Je lis ce soir dans le QDM ces propos de notre ministre : « Vous êtes incontournables, la mutation aussi ! » Mon sang ne fait qu’un tour, en une phrase Madame Buzin condense l’opposition qui paralyse l’évolution de notre médecine depuis… Depuis exactement le 30 novembre 1927. Ce jour-là les syndicats médicaux réunis en congrès proclament la Charte de la médecine libérale. Sept articles la composent, un mot la résume : autonomie. Le sort de notre médecine était scellé. Cette Charte prononce le divorce entre la médecine et l’État. Elle reste aujourd’hui le texte sacré des médecins français. Depuis cette date, les relations entre les médecins et l’État évoluent sur le mode d’un face à face émaillé d’une succession de conflits.

Dans les années 20, le syndicat des médecins de la Seine montent au créneau contre l’initiative du président du Conseil Alexandre Millerand qui voulait créer des assurances sociales inspirées par celles mises en place par le chancelier Bismarck : « La loi de l’assurance maladie aura pour effet de nous aliéner notre liberté.  Il convient de mettre la loi pardessus bord. Il faut immédiatement entamer la lutte. » Ce sont finalement les médecins qui auront gain de cause avec la loi de 1930 qui consacre la liberté tarifaire.

En 1945, lorsqu’il fonde la Sécurité sociale, Pierre Laroque doit batailler avec le corps médical pour remettre en cause le principe d’entente directe entre le praticien et le patient sur le montant des honoraires. On ne pouvait, à l’évidence, concevoir un système d’assurance-maladie généralisée à toute la population, sans définir une limitation du prix des prestations médicales. À nouveau, les pouvoir publics devront céder sous la pression des syndicats médicaux.

En septembre 2015, l’Ordre a eu l’initiative d’une vaste consultation nationale auprès des médecins et des patients. Son objectif était « donner la parole aux médecins ». Plus de 35 000 médecins ont répondu. Pour les organisateurs, il ressort de cette enquête hors normes « un très grand malaise des médecins sur leurs conditions d’exercice. Elle révèle aussi une puissante volonté de changement, bien loin du cliché d’une profession corporatiste qui serait avant tout partisane du statu quo. »

Parmi les jeunes médecins généralistes, des voix se font entendre en faveur de l’évolution des modes de paiement : « Les jeunes médecins ne souhaitent pas forcément du tout-paiement à l’acte, mais veulent une diversification des modes de rémunération », soutient un médecin du syndicat national des jeunes généralistes (SNJMG). Beaucoup déplorent le développement trop lent des maisons de santé.

À propos du rôle du médecin généraliste, le président du syndicat MG France soutient: « le réseau de soins de proximité doit être organisé autour du généraliste, qui est le point de convergence et l’interface des autres professionnels : les spécialistes, les hôpitaux, la médecine scolaire, la PMI, la médecine du travail… »

La lecture de ce livre blanc est jusque-là assez réconfortante. La jeune génération, très consciente de l’impasse dans laquelle se trouve notre système de santé, semble prête à dépasser les cadres de pensée traditionnelles. À la fin du texte, l’Ordre propose « dix pistes d’actions majeures ». La première proposition, la toute première, est la suivante : « une garantie d’autonomie pour la profession médicale ». Déception, sur le chaudron bouillonnant d’idées, se referme le pesant couvercle des notables. On a le sentiment d’une sorte de confiscation par l’Ordre du discours novateur porté par la jeune génération.

L’autonomie ! un mot ou plutôt un slogan sur lequel se sont heurtés toutes les réformes dans le passé. L’autonomie a fait la grandeur et la richesse de notre médecine au siècle dernier. Elle l’accable aujourd’hui d’une irréductible faiblesse, l’isolationnisme médical. Il faut s’extraire de l’esprit de la Charte de 1927 et de ce face à face belliqueux auquel elle nous a conduit pendant tant d’années. Les médecins se condamnent en se coupant du reste du monde. L’évolution des pratiques les invite à coopérer non seulement entre eux, mais aussi dans le cadre d’organisations faisant intervenir une grande variété d’acteurs.  De leur côté, les pouvoirs publics doivent renoncer au dirigisme étatique, marque de la Ve République, et laisser plus de libertés aux initiatives locales.

Laurent Vercoustre

2 Commentaires

  1. les fonctionnaires que sont nos hommes politiques ne veulent pas nous entendre parce qu’ils veulent tout contrôler. Pourtant nous sommes une force par notre niveau d’études, par nos relation avec d’autres domaines, par nos interrogations , nos connaissances, il faut je crois, ne pas subir, se rebeller, proposer et s’imposer,

    • Vous avez raison il faut que les médecins deviennent une force de progrès et non pas de blocage. C’est pourquoi, il doivent renoncer au dogme périmé de l’autonomie. c’est à eux et seulement à eux d’inventer d’autres formes d’exercices, conformes à la médecine d’aujourd’hui. Les grandes mutations sociétales ne viennent jamais d’en haut.

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