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L’hôpital, ou le règne de la confusion

L’hôpital public n’en finit plus de faire parler de lui. Je lui ai déjà consacré deux billets. Ces jours derniers les médias résonnaient encore des malheurs de l’hôpital.  Madame Buzyn déclarait récemment « Nous sommes arrivé au bout du système ». Alors reparlons-en.
Il y a eu le suicide d’un neurochirurgien à l’hôpital de Grenoble. Dernier évènement, une pétition signée par 1000 médecins. Pour ces médecins, tout cela c’est la faute à la T2A. La T2A pousse à la rentabilité au détriment de la qualité des soins, on veut faire tourner l’hôpital sur le mode de l’entreprise : c’est cela l’argumentaire qui leur sert de cheval de bataille. Cet argument que les médias répètent à satiété, a pris l’allure d’une rengaine.

Il serait bien léger de s’en tenir à ce diagnostic. Ou alors je voudrais qu’on explique pourquoi on souffre à l’hôpital, pourquoi on se suicide à l’hôpital et pas, ou apparemment beaucoup moins, dans les cliniques privées. Le secteur de l’hospitalisation privée ne serait pas tenu à la rentabilité. Évidemment non, le secteur de l’hospitalisation privée fonctionne beaucoup plus que l’hôpital sur le mode d’une entreprise.
On dira, les hôpitaux n’ont pas les mêmes missions. Certes, pourtant les hôpitaux reçoivent des compensations non négligeables. Ainsi les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC) représentaient en 2015 6298,4 millions d’euros, soit 8% des dépenses des établissements de santé.

Quelles sont les vraies raisons de la faillite de l’hôpital public ? Je l’ai dit, je le répète, les causes sont plus profondes.
Les responsables politiques n’ont pas su définir la place de l’hôpital public dans notre système de santé, ni délimiter ses missions de santé publique. L’hôpital se présente aujourd’hui comme une structure hybride, qui mêle des principes d’organisation médicale différents et des missions à caractère sociale. À l’hôpital vitrine des technologies les plus modernes, on continue d’assigner son ancienne fonction d’assistance La loi HPTS de 2009 et la loi Santé de 2016 n’ont pas dénoué ses liens avec un certain nombre de missions sociales.
Par ailleurs, répétons-le, dans le contexte épidémiologique actuel, dominé par les maladies chroniques, sa place n’est plus au centre du système. Ce sont les soins primaires et la médecine générale qui ont vocation à occuper cette place. La Grande-Bretagne et les pays nordiques (Suède, Norvège, Danemark) l’ont compris. Et les résultats en santé publique de ces pays sont bien meilleurs que les nôtres.
Par ailleurs, Les échecs des réformes hospitalières depuis 25 ans sont la conséquence logique d’une absence de réflexion sur les espaces médicaux. Dans l’hôpital moderne le principe organisateur des espaces, c’est à dire de leur regroupement ou de leur différentiation se réfère de plus en plus à des modes de fonctionnement liés à des techniques. Ainsi est apparue une nouvelle classification des espaces médicaux : soins intensifs, soins de suite, de chirurgie ambulatoire, exploration fonctionnelle, rééducation, courts séjours, de longs séjours. Il convient d’aller au bout de cette logique et d’individualiser de nouvelles structures hospitalières. Pour toutes ces raisons, l’hôpital public est aujourd’hui ingérable
De ce constat découle la grande confusion qui règne à l’intérieur de l’hôpital public. Notamment l’absence d’une hiérarchie médicale clairement définie. Le tissu médical est constitué de la juxtaposition d’individualités qui marquent leur territoire. Il n’est pas structuré par une hiérarchie fondée sur des valeurs, c’est pourquoi, les passions se déchainent, les coalitions, les complots, les basses manœuvres mènent le jeu des rapports humains. Dans ce huis clos infernal, certain n’ont d’autres solutions que le suicide. Ainsi, dernièrement ce professeur de neurologie à Grenoble, ainsi la professeur Jean-Louis Mégnien en décembre 2015.

La T2A, c’est l’arbre qui cache la forêt. Sa tyrannie est indéniable. Mais elle pèse plus surtout sur le personnel non médical, infirmières, aides-soignantes que sur les médecins eux-mêmes. En trente ans de carrière, je ne me suis jamais vu imposer d’augmenter mon nombre d’actes, consultations ou interventions chirurgicales.

Par ailleurs, c’est une profonde méprise que de voir dans l’hôpital un management entrepreneuriale depuis l’instauration de la T2A. En réalité, c’est l’avis même des inspecteurs des finances, la T2A n’est qu’une une simple clé de répartition budgétaire éloignée de toute référence économique. Elle s’apparente une dotation globale sophistiquée indexée sur l’activité. Il en résulte que, pour les établissements, la logique de maximalisation des recettes tend à prévaloir sur celle de la maîtrise des coûts et l’efficience productive.

Enfin, on veut opposer une médecine vertueuse qui ne compterait pas ses dépenses aux dérives T2A qui encourage la production d’actes non pertinents. C’est là aussi un mauvais horizon de pensée. Qu’on le veuille ou non la médecine est entrée dans l’économie.
La véritable solution est de créer les conditions d’un marcher vertueux. L’économie de marché a pour principe « l’allocation optimale des ressources rares à des fins alternatives. » Cette définition proposée, dans les années 30, par Lionel Robbins, professeur à la London School of Economics, est sans doute la plus connue de la science économique. Il en existe d’autres, chacune ayant pour fonction de définir l’« objet économie ». Mais celle de Robbins convient tout particulièrement au domaine de la santé. Le problème de l’économie de la santé est bien celui de l’allocation de ressources rares, autrement dit du choix entre des emplois concurrentiels de ces ressources de façon à « en obtenir » le maximum du point de vue du bien-être de la population.

Dans le système anglais, l’articulation entre l’hôpital et le système de soins est conforme à la fois à une logique des soins et à une maîtrise des coûts puisque ce sont les généralistes qui achètent ces soins à des établissements autonomes. Les anglais ont introduit des mécanismes de « quasi- marché » dans leur système de soins. Prisonniers de notre dirigisme administratif, nous sommes bien loin d’envisager de telles évolutions.

Laurent Vercoustre

9 Commentaires

  1. Bien vu .Le non choix est catastrophique:
    -l’hôpital n’est pas dans une dynamique de santé publique ce qui paralyse les évolutions nécessaires (prévention et espérance de vie en bonne santé notamment)
    -l’hôpital ne réduit pas ses coûts (actions prioritaires sur le plus accessible :recettes et personnel para-médical) et la CNAM freine des quatre fers pour l’entrée structurelle dans une dynamique de santé publique pour ces raisons.
    donc double peine et pas d’issue tant qu’une autorité légitime (médecine de caisse à l’allemande ? vraie régionalisation politique ? ou autre ?) avec une économie de marché dans le cadre d’une politique publique n’aura pas les rênes.

    • Merci pour votre réaction. Mon dernier billet sur la chirurgie ambulatoire prolonge ma réflexion. C’est assez rare d’entendre un médecin proposer l’introduction d’un mécanisme de marché dans notre système de soins.
      Nous nous félicitons de notre médecine libérale. Notre médecine n’a de libérale que le mot libérale, elle n’est en réalité qu’une forme de corporatisme. Les médecins se sont mis toute les libertés de leur côté. la totalité des médecins libéraux se présentent dans notre système de soins comme des donneurs d’ordre de paiement. Ce paiement ils l’obtiennent quoiqu’il arrive d’un tiers, l’État. Pour qu’il y ait un véritable jeu libéral il faudrait que le payeur soit lui-même inclus dans le marché et donc susceptible d’être mis en faillite. Ce qui n’est pas le cas de l’État.
      Il est assez étonnant que ce soient les pays avec des systèmes beveridigiens purs, c’est à dire une médecine d’Etat tels la Grande-Bretagne et les pays scandinaves qui aient introduit des mécanismes de marché ou de quasi marché dans leur système de soins.
      Notre pays souffre au plus haut point d’archaïsme de pensée.

  2. Cher Laurent,
    Je partage ton analyse sur la question posée: Quelle place pour l’hôpital ?
    par contre je te renvoie au site de l’OCDE pour le volume de la ressource rare… 10,6% du PIB en France mais plus ailleurs…Je discute avec un ali Henri D qui a travaillé en Suisse et nous ne parlons pas du tout du même endroit….En suisse 7900 dollars par habitant et en France 4600 dollars pour les dépenses de santé. Le niveau anglais n’est pas fameux et l’engorgement de leurs services d’Urgences non plus……………
    Amicalement JL
    Ressources pour la santé – Dépenses de santé – OCDE Data
    https://data.oecd.org/fr/healthres/depenses-de-sante.htm

  3. Généraliste depuis 30 ans, hospitalier depuis 4 en HAD je peux vous assurer que les services financiers et ma direction ne parlent qu’en « progression du chiffre d’affaire » ceci est une litanie persistante qui a conduit 3 chefs de pôle sur 7 à démissionner. On ne parle plus de patient mais de client dixit le directeur.

  4. Vous avez raison sur « les missions » de l’hôpital public : elles sont grevées de problèmes sociaux difficiles à résoudre avec une population âgée, alors qu’il devrait s’occuper de cas…médicaux.
    Par contre si la T2A a introduit des changements notamment dans l’organisation des blocs opératoires pour « optimiser » leur utilisation, il n’y a rien à redire…mais faire travailler les instrumentistes 10h d’affilée(à Strasbourg), c’est épuisant et injustifié car c’est une activité pénible. Et la T2A, en dehors de la cotation des actes chirurgicaux, est beaucoup moins performante, tout le monde le sait!

  5. Très juste .La différence de souffrance morale entre privé et public devrait être mise en avant pour tenter d’expliquer ce qui se passe .
    Je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’une des clés du malaise tourne autour de la crise de la hiérarchie. Je vous conseille de vous rapprocher de la notion de «  crises of the degree «  décrite par le philosophe René Girard .
    Il se réfère à shakespeare dans sa pièce La tempête . On en arrive à une situation de chaos que vous décrivez très bien .et ce malaise généralisé.

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