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Réformer, vous avez dit réformer ?

En proclamant « fini le rafistolage ! » Edouard Philippe a sifflé la fin des pseudo-réformes, des demi-mesures, il a promis une vraie réforme. Dans un précédent billet, j’ai posé quelques cibles à l’horizon d’une réforme de notre système de santé (1). Les objectifs à viser tiennent en peu de mots. Unifier notre gouvernance aujourd’hui fracturée entre l’hôpital sous contrôle du ministère et la ville sous contrôle de l’Assurance maladie. Mettre au centre du système les soins primaires et les réseaux de soins. Transférer auprès du généraliste notre administration lourde et déconnectée des réalités du terrain. Bref, en finir avec le dirigisme administratif et l’hospitalocentrisme, les deux grands maux de notre système actuel.

On dira, voilà des propos bien péremptoires. J’en conviens. Pourtant si je m’en tiens à l’étymologie, réformer signifie donner une autre forme. C’est bien une autre forme d’organisation du système que je propose. On dira, voilà des propose bien naïfs ; j’en conviens aussi. Et je ne doute pas qu’un immense bavardage vienne noyer ces évidences. Soyons réaliste, réformer c’est bousculer des représentations profondément inscrites dans les mentalités, et c’est en définitive remettre en cause des pouvoirs. Et c’est bien là la difficulté.

Bousculer des représentations : je pense ici à la Charte de la médecine libérale. Proclamée en 1927, cette Charte, qui affirmait les valeurs de la médecine libérale, a plus d’un siècle, elle n’en reste pas moins encore aujourd’hui le texte sacré de notre médecine libérale. C’est encore à travers elle que nos médecins libéraux se représentent leur profession. Cette Charte avait fait de l’autonomie la valeur suprême du médecin.

L’esprit de la Charte de la médecine libérale a soutenu une offre de soins réactive et de qualité. Elle a eu pourtant trois effets handicapants pour l’évolution de notre système de santé. D’abord elle est responsable d’une inflation de la demande induite des soins. Demande induite que toutes les réformes échoueront à réguler efficacement. Ensuite elle est à l’origine du divorce structurel que j’évoquais plus haut entre d’une part l’hôpital sous contrôle du Ministère et d’autre part la médecine de ville sous contrôle de l’Assurance maladie. Enfin, et c’est sans doute, le fait le plus dommageable, elle a instauré un rapport entre le corps médical et l’État qui a toujours évolué sous une forme d’une opposition. Ce fut le cas, au lendemain de la dernière guerre Mondiale, quand l’État a institué la Sécurité sociale. Pierre Laroque s’est heurté violemment au corps médical lorsqu’il a voulu remettre en cause le principe d’entente directe entre le praticien et le patient sur le montant des honoraires. Aujourd’hui, c’est le tiers payant et les déserts médicaux qui sont l’objet de l’affrontement. L’opposition des médecins reste fondée sur les principes de la Charte de la médecine libérale : paiement direct et liberté d’installation.

L’Angleterre n’a pas eu les mêmes difficultés pour faire évoluer sons système de santé. Il est vrai qu’au moment où les médecins français proclamaient la Charte de la médecine libérale, la médecine anglaise évoluait vers une médecine d’État. On peut s’étonner qu’une médecine aussi résolument étatique ait pu naître dans un pays qui défendait au même moment les vertus du libéralisme. En réalité, le paradoxe n’est qu’apparent. L’étatisation de la médecine en Angleterre résulte d’un intérêt bien compris de la distribution des rôles dans un monde libéral. En mettant la médecine, au service de l’encadrement de la classe laborieuse, l’Angleterre a optimisé la productivité de son économie. Il est sans doute beaucoup plus facile de réformer une médecine entièrement sous contrôle de l’État. La troisième réforme du NHS sous le gouvernement Cameron, a réalisé une profonde réforme structurelle du système de santé anglais. Cette réforme a réintroduit une régionalisation des soins et le principe du médecin gestionnaire de soins, sous la forme des Clinical Commissioning Groups (CCG).

Chez nos voisins allemands les rapports entre l’État et les médecins sont moins conflictuels que chez nous grâce au dispositif de « l’action concerté ». Ce dispositif avait été mis en place en 1977, à l’époque où la quasi-totalité des pays développés se trouvaient confrontés à la problématique de l’évolution des dépenses de santé dans un cadre économique de plus en plus contraint. L’Allemagne avait été le premier pays à instaurer une politique globale de maîtrise des dépenses de santé. « L’action concertée », a pris la forme d’une conférence réunissant l’ensemble des acteurs concernés par la santé, le gouvernement fédéral, les Länders, les syndicats médicaux, les associations des hôpitaux et l’industrie pharmaceutique. Deux sessions se tiennent chaque année, l’une en automne émet des recommandations, l’autre, en mars, analyse les résultats de l’année écoulée.

Édouard Philippe verra-t-il se dresser à nouveau le personnage médical français agrippé aux valeurs de la Chartes de la médecine libérale et fermement résolu à défendre ses prérogatives ? C’est malheureusement inéluctable ! Dans notre pays, les réformes structurelles sont contemporaines de grands bouleversements sociaux ou politiques, ainsi, je l’ai dit plus haut, la création de la Sécurité sociale en 1945.

Désolé de terminer sur une note aussi pessimiste. Il faut le reconnaître nous n’aimons pas les réformes, nous ne sommes pas très bons dans les réformes, alors consolons-nous en pensant que, pour faire de bons vins et de bons fromages, nous sommes incontestablement les meilleurs !

(1) À quand les vraies réformes Madame Buzyn?

Laurent Vercoustre

2 Commentaires

  1. @ reiller Comme vous le dites, est ce quen rester aux formules de base (SNCF : des trains et rien dautre, EDF : en France et pas ailleurs) naurait pas été préférable, vu que varier, diversifier, réformer, faire les novateurs qui savent tout, ça sest traduit bien souvent par une situation pire quavant et tombant de Charybde en Scylla ? La question se pose. On a quand même eu dans le lot des beaux parleurs, des gens qui veulent tout réformer, une belle bande dapprentis-sorciers aux manettes depuis quarante ans. Plus intéressés par leurs carrières perso., alimentées à coup didées novatrices et dargent public que par le souci du bien commun pérenne et durable, et sain sur le plan budgétaire Quand un système ne va plus, il fut aussi se poser la question de savoir si le supprimer purement et simplement, plutôt que de faire dans la cote mal taillée et dans la recherche des intérêts conciliés et ménageant tout le monde, ça nest pas préférable. Ah, joubliais, cest vrai, mais oui, il paraît quil ne faut pas opposer les français aux uns et aux autres comme on dit. Oh, ben, non. Dès fois quon froisse Dupont par rapport à Durand, ah ça, ça serait pas bien ! hein ! Mais comment remettre de lordre aux choses dans ces conditions ?

  2. Bonsoir,
    Je suis entièrement de votre avis dans votre billet sur « réformer, vous avez dit réformer ».
    Mais surtout je voulais savoir si vous aviez lu le 22/02/2018 dans le QUOTIDIEN l’article du LANCET sur les antidépresseurs. Votre billet sur le vaste marché des antidépresseurs n’avait pas du tout les mêmes conclusions. Alors, qui croire? J’aimerais de nouveau votre avis.
    Merci,
    Bien à vous

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