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« Service sanitaire obligatoire », est-ce vraiment une bonne idée ?

Je lis, cette fois dans Le Monde, que, dès la rentrée 2018, les futurs praticiens mèneront des actions de prévention dans les établissements scolaires. L’idée avait été lancée par Emmanuel Macron pendant sa campagne présidentielle. Elle nous est présentée comme la mesure phare de notre politique de prévention qui est, nous le répète, Madame Buzyn « la priorité de notre stratégie nationale de santé ».

Cette réforme me laisse pour le moins songeur. D’autre mesures ont-elles été envisagées ? Celle-ci a-t-elle été élue sur le gage d’expériences faites dans d’autres pays attestant de son efficacité ? Bref, cette mesure est-elle le fruit d’une réflexion approfondie sur les politiques de prévention, ou d’une inspiration soudaine dans l’euphorie de la campagne présidentielle.

À partir des années 80, est apparue une nouvelle approche, une nouvelle culture dans les politiques de prévention. Nouvelle approche fondée sur l’étude des déterminants de santé. Celle-ci a montré le lien direct entre l’état de santé d’un individu et sa position sociale. À âge égal, la mortalité par cancer du poumon des hommes sans diplôme est multipliée par 3,5 fois par rapport aux hommes dont le niveau d’étude est égal ou supérieur au bac. Le coefficient multiplicateur est de 10 pour le cancer du pharynx (1).

Un certain nombre d’études montrent que c’est la structure inégalitaire de la société qui est responsable des inégalités de santé. L’une des conclusions du rapport Black (2) est que la pauvreté ne suffit pas à expliquer les inégalités de santé puisque celles-ci ne s’interrompent au-delà d’un certain niveau de revenu. En Grande-Bretagne, le suivi de la cohorte Whitehall a mis en évidence des disparités de mortalité entre fonctionnaires qualifiés et non qualifiés, alors même qu’ils disposaient tous d’un accès aux soins et d’un emploi stable rémunéré.

En résumé, une politique de prévention doit aujourd’hui intégrer cette dimension des déterminants sociaux de santé. En France, l’état de santé des populations est entaché d’un paradoxe : un bon état de santé moyen mais des inégalités qui se creusent dès le plus jeune âge et se maintiennent tout au long de la vie.

Les politiques de prévention reposent sur deux types de stratégie. Soit des actions ciblées impliquant la participation des populations. Ainsi le projet Determine lancé, en 2007, par l’Union européenne ont évalué des actions collectives mises en place pour améliorer le niveau de santé. Pour exemple, en Norvège, une étude a évalué les avantages des déplacements à pieds et en vélo. L’investissement consacré à cet exercice physique pourrait contrebalancer les coûts de santé correspondant dans la proportion de 4,5 pour 1. L’investissement dans la petite enfance pourrait générer un retour de 2 à 7 pour chaque euro investi (3).

Soit des actions globales, au niveau des gouvernements. La déclaration d’Adélaïde de l’OMS de 2010, a proposé un véritable cadre conceptuel pour les politiques de prévention. Elle préconise « l’intégration de la santé dans toutes les politiques et – une gouvernance partagée en faveur de la santé et du bien-être ». Autrement dit, il faut mettre de la santé dans toutes les politiques. Des pays comme le Québec avaient intégré depuis longtemps ces principes. Ainsi l’article 54 de la loi québécoise de décembre 2001 qui « oblige les ministres et organismes du gouvernement à s’assurer que leurs décisions législatives n’ont pas d’effets négatifs sur la santé de la population et octroie également au Ministère de la Santé et des services sociaux un pouvoir d’initiative qui lui permet de proposer des avis pour promouvoir la santé. »

Notre pays n’a pas encore assimilé cette approche des politiques de prévention. On est très loin de l’esprit de la déclaration d’Adelaïde. Les acteurs français restent peu intégrés aux réseaux internationaux, l’OMS et l’Union européenne notamment. Le Haut Comité de santé publique (HCSP) analyse cette situation dans son rapport consacré aux inégalités sociales de santé : « À l’automne 2008, le rapport […] de la commission des déterminants de la santé à l’OMS, présidé par Michael Marmot, est passé relativement inaperçu en France […] cela n’est probablement pas un hasard mais plutôt le reflet de faiblesses de compétences mobilisables dans notre pays en santé publique à l’interface des domaines scientifiques et politiques. »

« Le service sanitaire obligatoire » témoigne en effet d’une surprenante naïveté de la part de nos responsables politiques et de notre retard dans la conceptualisation des politiques de prévention.

(1) Black D. et al. Report of the working group of inequalities in health London. Stationery office, 1980.
(2) Données issues de l’ouvrage d’A.Leclerc, M. Kaminsski et T. Lang. Inégaux face à la santé. Du constat à l’action. La Découverte, Paris, 2008.
(3) Lavin, T & Metcalfe, O. Economic arguments for addressing social determinants of health inequities. DETERMINE Working Document No 4. Brussels: Institute of Public Health in Ireland, EuroHealthNet; 2009.

Laurent Vercoustre

11 Commentaires

  1. Qu’ils viennent chez moi, je leur ferai des certificats et dossiers pour être réformés. Gratuitement !
    Ce gouvernement me rappelle des temps anciens, gris ou noirs : service militaire déguisé, milices (polices municipales armées), surveillance acharnée (radars, caméras, téléphone), dénonciations favorisées, multiples vaccins pour tous (pour les futurs soldats de la Nouvelle France), disparition des débats à l’assemblée nationale (ordonnances). Cela s’appelle une DICTATURE. Je n’ai pas voté Le Pen. Je n’ai pas voté du tout. J’aurais du. Ils sont moins fachos que Macron.

  2. on ne peut pas avoir une politique de prévention en santé efficace sans vraie politique environnementale au sens large du terme: on a tous vu le peu d’efficacité des programmes d’éducation thérapeutique.
    Les jeunes ne sont pas une main d’oeuvre bon marché !

  3. Deux choses m’interrogent:
    – pourquoi rajouter des contraintes et de la pression aux étudiants en santé, déjà en difficultés dans leurs stages et sans experience du terrain?
    – Et pourquoi ne pas valoriser le temps que les professionnels experimentes passent DEJA à « faire de la prévention » au quotidien?
    Inventer « l’acte de prévention » puisque le temps des soins n’est pas valablement pris en compte dans des nomenclatures verrouillées?
    Obliger les étudiants en santé à faire encore du bénévolat au lieu de rémunérer les soignants en place: pourquoi ne pas directement recruter des bénévoles chez les inactifs, les former et laisser les etudiants … étudier?

    • Merci pour votre réaction. En réalité, les véritables politiques de prévention passent par des actions coordonnées et de longue haleine. Dans la lutte contre le tabagisme, le Royaume-Unis donne l’exemple. En 2014, les anglais passent sous la barre de 20% de fumeurs. On mesure le chemin parcouru quand on sait qu’en 1962 le nombre de fumeurs s’élevait à 70% chez les hommes et 40% chez les femmes. Cette diminution spectaculaire, est le fruit d’une politique coordonnée débutée au début des années 70 . Le dernier plan national tabac en 2011 « Healthy lives, healthy people: a tobacco control plan for England » comme les précédents a été développé en collaboration avec l’ensemble des acteurs : professionnels de la santé publique, sociétés savantes, ordre des médecins, universitaires, secteur associatif, collectivités locale et s’appuie notamment sur l’expertise de structures telles que « UK centre for tobacco control studies ». Ce centre ainsi que d’autres unités de recherche réunissent un collège composé de médecins, d’économistes, de juristes, de sociologues, qui apportent un éclairage réévalué périodiquement sur la situation nationale et internationale, éclairage qui permet d’ajuster les stratégies de façon pertinente.Nous sommes encore très loin d’avoir cette approche.

  4. C’est un peu tautologique d’affirmer que la structure inégalitaire de la société est responsable des inégalités de santé.
    La première chose c’est d’essayer de comprendre, prendre le temps d’évaluer ce qui a été fait ailleurs.
    Vous citez le Québec, la Norvége, qui semblent montrer le chemin, mais quels sont donc les résultats de ces politiques ?
    Comme d’habitude les politiciens français agissent dans une forme d’urgence et de fébrilité législative, sous l’impulsion de l’opinion et de l’idéologie, le plus souvent prédictive d’inefficacité voire de nuisance.

    • Merci pour votre réaction. Vous écrivez : » C’est un peu tautologique d’affirmer que la structure inégalitaire de la société est responsable des inégalités de santé ».C’est curieux j’ai écrit à peu près la même phrase dans mon bouquin sur les réformes de santé la voici: »On pourrait malicieusement voir dans la conclusion de ces études une forme tautologique de réponse à la question posée. Qu’est-ce qui fait que les inégalités sociales induisent des inégalités de santé ? Ce sont les inégalités sociales… L’impact des inégalités sociales sur la santé est un fait incontestable, pourtant, les causes directes, leur enchainement, leur poids respectif, restent du domaine spéculatif. » Les théoriciens des déterminants de santé disent : « À chaque niveau social correspond un niveau spécifique de ressources – matérielles, comportementales – et une exposition à un certain nombre de facteurs de risque. C’est la combinaison entre ces ressources et ces risques qui va «produire » des différences sociales de santé. « ce qui il est vrai ne fait guère avancer le schlimblick…De ce constat on peut tout de même déduire que seuls sont efficaces des actions extrêmement ciblées ou des actions gouvernementales visant à mettre la santé dans toutes les politiques. Enfin si vous regardez les statistique de l’OMS, la Norvège et le Canada sont très bien placés pour la plupart des indicateurs. La Norvège fait il est vrai un peu moins bien que nous pour l’espérance de vie à partir de 65 ans, un peu mieux pour l’espérance de vie à la naissance, beaucoup mieux pour la mortalité à la naissance.

  5. c’est juste une nouvelle usine à gaz…car organiser correctement ce stage dans tant d’endroits et pour autant de monde, ce n’est certainement pas très réaliste…

  6. Pourquoi pas un service civique pour les étudiants en droit pour apprendre aux citoyens dès leur plus jeune âge quels sont leurs droit et devoirs , et puis pour les polytechniciens qui pourraient faire du soutien scolaire en math pour les plus démunis, et puis les centraliens et les énarques pourraient aussi avoir un service civique….. etc..

  7. Une preuve de plus s’il en fallait que ce gouvernement n’a pas de réflexion de fond (dans quelque domaine que ce soit) et se contente de mettre en place des directives « jupitérienne » que rien ne valide !!

    • Vous avez parfaitement raison, les responsables de santé de ce gouvernement témoignent d’une profonde immaturité intellectuelle, ce sont des communicants, des marcheurs à l’image du parti qui les soutient « En Marche ». Ils marchent les marcheurs d’EM, vers quoi, ils l’ignorent, et plus grave il n’ont pas envie de savoir où ils vont.C’est pourquoi j’étais très pessimiste dans mon billet sur les capacité d’Edouard Philippe à engager des réformes structurelles pour notre système de santé.

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