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Le vin, la France , et Madame Buzyn !

« Le vin est un alcool comme un autre », proclamait dernièrement Agnès Buzyn. Dans notre pays où le vin est infiniment plus que l’alcool, ces mots tiennent de la provocation ou de l’inconscience. Il faudrait des livres entiers pour témoigner des liens profonds qui unissent notre culture, et même notre religion, au vin.

Je rentrais juste d’un week-end à Bordeaux quand la polémique a éclaté. La richesse de cette ville, la splendeur de ses édifices, le raffinement de sa gastronomie, célèbrent la tradition séculaire des vins de Bordeaux. Depuis deux millénaires, le travail, l’ingéniosité des hommes, ont été, dans la belle province d’Aquitaine, au service de l’exaltation de nos papilles. Le vin est l’âme de cette ville. Montaigne et Montesquieu, tous deux propriétaires de vignobles bordelais, ont scellé la tradition viticole à notre culture. « Les vendanges de la liberté » est le titre choisi par Jean Lacouture pour sa biographie de Montesquieu, il résume en une phrase l’alliance de l’esprit et du vin ! L’Esprit des Lois, ouvrage phare de la pensée occidentale, n’a-t-il pas la profondeur et la subtilité d’un grand cru de Bordeaux. C’est aussi à Montaigne que l’on doit ce joli mot : « On ne boit pas, on donne un baiser et le vin vous rend une caresse ».

Est-ce le souvenir d’un merveilleux Grave qui me fit, au passage du palais, l’effet du petit jésus en culotte de velours ? Quand j’ai lu, dans le QDM du 5 mars, qu’une armée d’éminents spécialistes s’écriaient après notre ministre, « Le vin est un alcool comme les autres ! » et exigeaient un plan alcool, je me jetais, indigné, dans ce billet ! Comment peut-on ainsi renier une tradition aussi profondément enracinée dans notre patrimoine ! Mais oublions l’éphémère euphorie de ce Grave, l’alcoolisme est une question sérieuse. Ces spécialistes ont sans doute des arguments solides. Que nous disent-ils ?

« Que notre consommation d’alcool reste l’une des plus fortes d’Europe avec 12 litres d’alcool pur consommés par adulte annuellement ». C’est vrai, les chiffres de l’OMS le confirment, nous consommons beaucoup plus d’alcool que les Italiens (7,6) et que les Espagnoles (9,2). Pourtant, si l’on regarde nos autres voisins nous buvons moins que les Belges (13,2) et les Britanniques (12,3), autant que les Allemands (11,4). C’est plutôt à l’Est de l’Europe que l’on boit beaucoup. Le record revenant aux Lituaniens 18,2 litres d’alcool pur par personne par an ! En réalité à l’échelle mondiale, la France n’atteint que la 16ème place (1).

« Que le vin est un alcool comme un autre ». Ces experts balaient ainsi d’un revers de main une tradition aussi vieille que notre civilisation. Hippocrate a été le premier à vanter les vertus médicinales du vin quatre siècles avant Jésus-Christ, mais il précisait que, « comme l’amour, le vin en excès pouvait avoir des effets délétères pour la santé ».  Beaucoup plus tard Voltaire prescrivait : « Un peu de vin pris modérément est un remède pour l’âme et pour le corps (2). » Plus près de nous, notre grand Pasteur écrivait dans ses « Etudes sur le vin » publiées en 1866 : « le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons ».

Qu’est devenu le constat de « l’exception française » soutenu par des spécialistes non moins éminents ? Dans les années 1980, des chercheurs avaient montré, par comparaison entre des populations consommatrices ou non de vin, qu’il diminue la mortalité cardiovasculaire. Aux États-Unis, ce phénomène avait pris le nom de French Paradox. Cet effet est surtout dû à la présence d’un polyphénol appelé resvératrol. Cette théorie est-elle toujours d’actualité ? Entre 2014 et 2015, Jérôme Maes, chargé de mission au cabinet Alcimed, a recensé plus de 1200 études liées au vin et à la santé. Si une partie d’entre elles ont relativisé le « French Paradox », aucune ne l’a fondamentalement remis en cause, et la plupart vient plutôt en appuyer les conclusions (3). Par ailleurs, il est reconnu que la mortalité par cirrhose du foie et maladies cardiovasculaires est plus élevée dans les régions qui n’ont pas de tradition vinicole (Bretagne, Normandie, Pas-de-Calais). Le vin est-il un médicament ? S’il l’est, peut-être doit-on simplement, ne pas dépasser la dose prescrite !

Enfin pourquoi s’attaquer au vin alors que c’est l’alcoolisme qu’il faut combattre. Alcoolisme souvent lié à des situations de précarité, chômage, bas revenus, isolement social ou à des tranches d’âge aujourd’hui bien identifiés. Je pense ici à l’alcoolisation des jeunes. Ce sont ces déterminants sociaux qu’il faut cibler si l’on veut prévenir efficacement l’alcoolisme.

Aussi j’exhorte à nouveau nos brillants penseurs du ministère à ne pas jeter l’opprobre sur cette culture du vin qui contribue au prestige de notre pays dans le monde entier. C’est aussi la profession de viticulteur qu’ils offensent. Cette profession exige aujourd’hui des techniques complexes qui élèvent la vinification au rang d’une science. Techniques qui n’enlèvent rien à la dimension artistique de ce noble métier. Bref le vin est autant une science qu’un art Madame Buzyn ! Assimiler le vin à son degré d’alcool est dramatiquement réducteur, c’est un peu comme si on voyait dans un tableau de maitre une simple couche de peinture sur une plaque de bois !

(1) Source : Global Status Report on Alcohol and Health 2014.
(2) Citation de Voltaire ; Memnon ou La sagesse humaine (1747).
(3) Le cabinet Alcimed a considéré que les effets du vin sur la santé étaient prouvés lorsqu’au moins huit études aboutissaient au même résultat ou lorsque 4 études montraient des effets similaires sur des populations d’au moins 100 000 personnes. Jérôme Maës précise qu’aucune de ces études n’a été commanditée ou financée par la filière viticole. Voire lien : https://www.vitisphere.com/images/magazine/FrenchParadox.pdf

Laurent Vercoustre

14 Commentaires

  1. Si vous citez Pasteur, faites une citation complète:  » Le vin est la meilleurs et la plus hygiénique des boissons A CONDITION DE NE PAS EN ABUSER « .

  2. Désolé de vous répondre avec retard. Il y a pas mal d’années que je ne me suis plus occupé du sujet. Mais à l’époque les études qui vantaient le paradoxe français étaient nulles car considérablement biaisées (méthodologie insuffisantes même pour des travaux d’épidémiologie, viol du protocole, nombre de perdue de vue considérables, etc.). Elles vantaient la supériorité des buveurs de vin aux buveurs de bière, le Sud contre le Nord y compris Royaume Uni et Benelux. La différence était à la nourriture équilibrée, saine, au gras d’oiseaux…au sud, alors que la nourriture au nord, faite de charcutailles, etc. créait des taux de mortalité et morbidité supérieures. Je n’ai pas lu les études récentes mais il m’apparaît difficile qu’elles puissent être d’intervention et contrôlées, en double aveugle, seules valables. Ce sont le cas pour les statines que vous décriez. sur quels arguments? Ou pour contenter notre confrère Even ! Bien cordialement.
    PS: Les sujets âgés qui conservent une activité professionnelle ou intellectuelle active vivent aussi plus longtemps. J’ignore s’ils conservent un peu de vin quotidien. Madame Calmant prenait son porto tous les soirs !

    • Merci pour votre réaction. Il est certain que les habitudes alimentaires sont intriquées avec la consommation de vin et qu’il est difficile d’isoler l’effet propre au vin. Quant aux statines, c’est une autre histoire, c’est aussi l’histoire du cholestérol, je pense depuis longtemps à consacrer un billet sur ce problème … mais le sujet est sans doute trop brulant. Ce que je constate c’est qu’en face de la somme considérable d’arguments réunis par les cholestrolseptiques, il n’y a à peu près rien…Depuis l’étude Woscop ( dans la période pré scandale du médiator), aucune étude n’a montré l’efficacité des statines pour diminuer la mortalité CV. Ma référence est autant Lorgeril que Even..

  3. La Pr Buzyn s’est exprimée en tant que ministre de la santé. Elle n’à fait que son devoir. Qu’aurait-on dit si la Ministre pousse à la consommation d’alcool ?. En parler c’Est déjà très courageuse de sa part

  4. Cher Confrère, c’est très simple. Un à deux verres de vin par jour ne sont pas délétères, mais inversement ils n’apportent aucune supériorité à l’eau uniquement consommée en terme de durée de vie, morbidité, etc. Pourquoi donc se priver d’un plaisir noble, raffiné en consommation mesurée? Pourquoi contraindre les buveurs d’eau au vin, sous prétexte de vertus thérapeutiques préventives?
    Vôtre

    • Merci pour votre réaction. Elle permet de poser clairement le problème. L’alcool ( naturellement à faible dose) a-t-il un effet bénéfique ou est est-il simplement sans danger.
      La neurologue Claudia Kawas, de l’université de Californie, vient de publier une très intéressante étude sur les plus de 90 ans [1].
      Elle a constaté que : ceux qui buvaient de l’alcool (deux verres de vin ou de bière par jour) avaient 18 % de risque en moins que les autres de décéder prématurément. Vous contestez le bénéfice du vin rouge et de ses effets protecteurs. Avez vous des arguments contre la somme d’études qui défendent le Frensh Paradoxe. Je ne suis pas certain que l’extraordinaire diffusion de certains médicaments comme les statines ( suspectes pour certains d’augmenter les cancers) reposent sur des études aussi solides. Pourtant ce sont des millions d’individus que l’on contraint à prendre ces médicaments

      http://www.mind.uci.edu/research-studies/90plus-study/

  5. Il faut aussi préciser que le président Macron a précisé qu’il boit du vin midi et soir, qu’il n’a pas l’intention de durcir la loi Evin, qu’il ne faut pas em…der les français avec de nouvelles interdictions. C’est un amateur de Bordeaux et de vins en général, cf interview dans « Terre de Vins » pendant la campagne présidentielle.

  6. Dommage que le Dr Vercoustre oublie les effets du vin sur le foetus…aussi délétère que le cidre,la bière, le whyski…

  7. Cher Confrère,
    Il me désole de lire votre chronique. Ou c’est du deuxième degré qui m’échappe ou votre argument est bien pauvre. Si comme vous j’aime la dive bouteille et les Graves en particulier (j’ai bu récemment un Château Carbonnieux blanc du plus bel effet) je me demande pourquoi vous vous sentez obligé de hurler avec la meute du lobby vini-viticole. Le vin contient le même alcool que les autres boissons alcoolisées. Il fait les mêmes dégâts lorsqu’il est bu à l’excès et n’épargne pas plus le foie ou le cœur que les autres boissons alcoolisées. Et si on doit s’enorgueillir de notre savoir-faire en matière de vin, si on doit respecter et admirer les viticulteurs pour leur amour du vin et de la belle ouvrage, on peut et doit aussi dire et répéter sans cesse que consommer une boisson alcoolisée n’est jamais ans risque et ne saurait être encouragé. Comme tous les risques, chacun peut en prend si possible en connaissance de cause. C’est ce que j’aurais aimé lire dans votre chronique au lieu d’une défense peu convaincante du bien boire.

    • Merci pour votre réaction. Je suis bien attristé que les citations de Montesquieu, Montaigne, Hippocrate, Voltaire, Pasteur vous laissent sur une telle impression de pauvreté.Je ne manquerai pas de goûter votre Château Carbonnieux blanc!

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