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Docteur Caroff : une nouvelle vision de la médecine ?

« La coïncidence exacte du corps  de la maladie et du corps de l’homme malade n’est sans doute qu’une donnée historique et transitoire. Leur évidente rencontre ne l’est que pour nous, ou plutôt nous commençons à peine à nous en détacher (1). » Cette phrase du philosophe Michel Foucault, je l’ai longtemps retournée dans ma tête, sans la comprendre vraiment. La polémique sur les médecines alternatives, dont fait écho la newsletter du 23 mars du QDM, m’a permis de ressaisir cette réflexion de Foucault.

L’avènement de la clinique, à la fin du 18e siècle, représente le fait majeur de la pensée médicale. Avec la clinique est née la médecine scientifique. La clinique c’est avant tout la rencontre avec le corps du malade. Pour la première fois depuis des millénaires, les médecins libres enfin de théories et de chimères ont regardé le corps du malade. Dans l’expérience clinique, le corps du malade est observé pour lui-même. Le génie de Bichat fut d’explorer les cadavres et de découvrir dans la profondeur du corps les lésions qui unifient les symptômes. Bichat, avec son fameux Traité des membranes, a permis de localiser la maladie dans la profondeur du corps. Avec Bichat l’espace de la maladie coïncide entièrement avec l’espace du corps.

Que l’espace de la maladie coïncide avec l’espace du corps, c’est pour nous une évidence. Ce ne l’était pour les théories médicales qui ont précédé l’ère de la clinique. Ainsi dans la théorie de la médecine des espèces, on pensait que la maladie existait dans la nature ou à la limite de la nature et qu’elle traversait le malade. Au fond les maladies infectieuses qui prédominait autrefois répondaient assez bien à cette représentation de la maladie.

Sur les concepts de la clinique est venu se brancher l’extraordinaire développement des techniques médicales, tant chirurgicales que pharmaceutiques. Aujourd’hui toute notre attention, tous nos efforts, restent focalisés sur le corps. Ainsi avec les antidépresseurs nous réglons le thermostat de l’humeur, avec les antihypertenseurs, avec les antidiabétiques, avec les médicaments contre le cholestérol, nous effectuons des réglages de la tension, de la glycémie, du cholestérol. Avec la chirurgie baryatrique, nous formatons, en l’amputant, l’estomac des obèses pour répondre à une offre alimentaire surabondante. Bref, sous la pression des technosciences et de Big Pharma, nous adaptons le corps à un environnement pathogène au lieu de soigner l’environnement. On objectera que c’est une façon bien compliquée de dire que nos maladies sont majoritairement comportementales. Nous savons bien qu’il faut encourager les patients à perdre du poids, à bouger plus, et à mieux se nourrir. Il reste que le principe qui surdétermine nos pratiques consiste à faire des réglages à l’intérieur du corps.

La théorie des espèces était-elle si saugrenue, ne sommes-nous pas traversés par des maladies qui nous viennent de notre environnement ? Peut-être sommes-nous arrivé au bout des possibilités de cette médecine du corps. Le type de médecine que nous pratiquons excède parfois ses droits. Sans doute la chirurgie baryatrique stigmatise son imposture.

Par ailleurs, de façon contemporaine à la naissance de la clinique, est apparue une autre forme de médecine qui n’est pas, nous dit Foucault, une médecine du corps, de l’organisme, mais une médecine des choses, de l’air, de l’eau, des décompositions, c’est une médecine des conditions de vie. À cette époque, on accordait aux médecins plus de prestige pour leur fonction d’hygiéniste que pour leur fonction de thérapeutes. C’est à ce titre que le corps médical était surreprésenté dans les assemblées révolutionnaires. Au 19e l’hygiène publique connaît un essor considérable au point qu’on y voit une véritable école française de santé publique dont le prestige est reconnu dans le monde entier (2).

Au début de ce 20e siècle, notre santé est presqu’exclusivement entre les mains des technosciences médicales. Technosciences soutenues par Big Pharma, mais aussi par tout notre appareil institutionnel. Les hôpitaux, la formation des médecins, l’organisation des pratiques médicales tout concourt dans notre système, à privilégier la médecine du corps.

Il ne s’agit pas de jouer une médecine contre une autre ni de renier la médecine du corps qui a démontré sa prodigieuse efficacité, ni même de lui prescrire des limites car nul doute qu’elle progressera encore. Il est question de lui redonner sa juste place dans notre système de santé. Car les chiffres montrent que malgré une augmentation considérable de l’offre de soins, les inégalités de santé se creusent et que notre espérance de vie recule.

Le mot prévention qu’on utilise si souvent pour désigner l’autre approche de la santé est bien misérable, il ne traduit pas la grande bascule que nous avons à accomplir, tant au niveau de nos concepts, qu’à celui de nos institutions, de nos pratiques pour faire advenir une médecine du milieu de vie, une médecine non plus du corps mais du rapport de l’individu à son corps. C’est aussi l’opinion du Pr Rusch qui se montre très réservé à l’annonce du plan de prévention d’Agnès Buzyn : « Au niveau conceptuel, on reste sur la prévention, alors qu’elle n’est qu’une partie de la promotion de la santé que nous défendons, définie par la Charte d’Ottawa comme le processus qui confère aux populations la maîtrise de leur santé et des moyens de l’améliorer ».

C’est pourquoi je crois qu’il ne faut pas voir dans la montée en puissance des médecines alternatives seulement un énième épisode d’un conflit qui oppose depuis toujours la médecine conventionnelle ou médecine d’État aux autres médecines. Et d’ailleurs, il faut noter que la terminologie a évolué, dans le passé on parlait de médecines parallèles aujourd’hui de médecines alternatives.

Il faut y voir plutôt une nouvelle forme d’hygiénisme. Faute de trouver dans notre médecine d’État des structures capables d’avoir cette approche de la santé, certains en ont l’initiative. C’est le cas du Dr Daniel Caroff, généraliste à Obernai qui ouvrira bientôt une école de naturopathie. Celui-ci définit même une nouvelle éthique professionnelle : « Le naturopathe ne pose pas de diagnostic et ne soigne pas. Il délivre des conseils pour rester en bonne santé, Il n’est pas un médecin, mais plutôt un éducateur de santé. (3) » Il y a dans cette phrase une petite révolution conceptuelle. Le naturopathe n’est pas requis pour un épisode pathologique. Il intervient sur un cycle de temps long de la vie du patient. Par ailleurs il institue un nouveau type de rapport entre le médecin et le patient. Le médecin n’impose pas, ne prescrit pas, il éduque, il donne des conseils. Dans cette relation, le patient n’est plus objet médical, il devient sujet. Les vraies mutations ne viennent jamais du système, elles naissant à sa marge, à la limite de la légitimité.

Sans doute commençons-nous à nous détacher de cette médecine du corps comme le disait Foucault. L’expérience d’Obernai témoigne peut-être qu’une page de l’histoire de notre médecine est en passe de se tourner.

(1) M. Foucault, Naissance de la clinique, p.7.
(2) Didier Tabuteau, Démocratie sanitaire, Odile Jacob, Paris 2013, p.48.
(3) http://redir.em.lequotidiendumedecin.fr/r/?id=h2bacf2e3,ecb6e96,ecb8c36&p1=1b4d8c8b-2d10-4a81-afc9-4d195aab878c

Laurent Vercoustre

10 Commentaires

  1. Un article qui me conforte dans mes choix pris il y a deux ans : plus de viande rouges, yoga, micronutrition et molécules de signalisation redox ont changé ma vie, plus de maux de tête, de reflux gastro oesophagien qui me pourissait la vie depuis mon adolescence ( j’ai 39 ans), de douleurs articulaires… Tout ce qu on m avait proposé était du paracetamol et du Gaviscon, juste la d

  2. « Au début de ce 20e siècle, ….. »
    Vous voulez dire 21ème siècle plutôt ?

    Je suis gynéco. dans mon service, plus personne ne mesure la hauteur utérine sous prétexte que l’écho c’est mieux… Pour celui qui en dispose ! Ceux qui la mesurent encore la notent sans comparer aux valeurs précédentes. Parfois la hauteur utérine stagne alors que l’écho est rassurante, et j’ai déjà vu des retards de croissance, voire des décès, qu’on aurait pu repérer sin on avait pris la peine de reposter la mesure de HU sur la courbe de Belizan qui est imprimée dans notre dossier régional de grossesse. Même une fois un généraliste m’a réadressé une patiente pour stagnation de HUà 33 SA alors que l’écho était normale, et il y avait bien un retard de croissance.
    Oui la clinique doit résister et éviter un suivi uniquement technique. Ce petit geste, à mes yeux, valorise aussi le corps au lieu de le rendre transparent, conforte la patiente dans l’idée que son ventre grossit normalement, qu’elle peut l’évaluer aussi, vu qu’elle n’a pas d’échographe à la maison. C’est ce qu’apportent selon moi les médecines douces : redonner confiance au patient pour s’autoévaluer entre deux examens techniques.
    Pierre-Yves

    • Salut Pierre-Yves, tu ne vas pas m’apprendre que tu es gynéco! Merci pour ta réflexion et d’avoir corrigé la coquille c’est bien du 21 e siècle dont il s’agit

    • Eh oui cher confrère ! Voici mes références :
      1. INSEE, Evolution de l’espérance de vie à divers âges jusqu’en 2015, INSEE, 2016
      2. Le Monde, L’espérance de vie recule pour la première fois depuis 1969, 19/01/2016; Libération, L’espérance de vie recule pour la première fois depuis 1969, 19/01/2016; L’Humanité, France : diminution de l’espérance de vie, 19/01/2016; Le Figaro, Recul de l’espérance de vie et baisse des naissances… le bilan morose de 2015, L’Express, L’espérance de vie recule, la faute au baby boom ?, 19/01/2016 et Le Point, L’espérance de vie recule et les naissances baissent en France, 19/01/2016
      3. Le Point, Laurent Chevalier – Baisse de l’espérance de vie, sortons du déni !, 21/01/2016
      4. World Health Organization, Database on Health and poverty, untill 2016

      4. Statistiques officielles de World Health Organization et de World Bank, ONU.

  3. Cher Laurent,
    Dans le domaine psychologique et donc psycho-somatique, un auteur québécois Jean Monbourquette a écrit le guérisseur blessé, dans lequel il développe que le médecin guérisseur doit s’occuper de sa blessure, et que le patient blessé doit retrouver son pouvoir guérisseur.
    Le pourcentage de jeunes médecins atteints de burn out montre bien combien la première proposition de Jean Monbourquette est valide, alors que la deuxième partie rejoint ton propos et celui du Dr Carof..
    A titre personnel j’ai exercé dans ce sens pendant les 10 dernières années de mon exercice. Ma pratique était une combinaison de soins conventionnels et de “coaching » visant à proposer aux patients des pistes pour sortir de leur rôle de blessés exclusifs. Toute personne a des capacités guérisseuse.
    Toute notre homeostasie en est la meilleure des démonstrations.
    Amitiés Jacques

  4. Excellente et juste analyse du dr. Vercoustre qui nous pousse à réfléchir. (Mais employons plutôt les termes naturotherapeute, osteotherapeute, homeotherapeute). Pour ma part, ce billet a de surcroît été très instructif.

    • Merci Gérard de ton appréciation ( … et de m’avoir permis de faire le bon choix). Ta remarque sur la façon de nommer les spécialités est très pertinente.
      Les gyné, les pneumo, les cardio, les neuro ont droit au suffixe logue ( qui vient de logos, la raison, l’intelligence). Pour les Les généralistes, les dentistes, les orthopédistes c’est le suffixe iste qui signifie « profession qui s’occupe de ». Pour les acupuncteurs, les chiropracteur, c’est eur qui signifie « agent » …agriculteur, apiculteur. Pathe évidemment vient du grecque pathos la maladie et signifie « malade de ». Le psychopathe est malade de la psyché (ou de l’esprit ), celui qui soigne les maldie de l’esprit c’est le logue, le psychologue. Le naturopathe est en effet mal venu, il serait malade de la nature?. On voit donc que les suffixes traduisent les préjugés qu’on peut avoir sur les métiers de santé !Bravo de nous l’avoir fait voir.

  5. la santé au travail, la santé publique, la santé en général, peut se résumer en santé environnementale qui sera la médecine de demain.
    J’ai quelques doutes sur la capacité du patient à se prendre, de façon libre, en charge, quand on voit l’argent dépensé pour la publicité que ce soit dans l’agro alimentaire, les médicaments, les cosmétiques, les voitures…..
    nos conseils face à cela ! et puis pour l’éducation thérapeutique, pas sur qu’il faille un bac plus 8.
    Ecoutez certaines émissions de radio et vous entendrez qui fait déjà de l’éducation thérapeutique.
    Je crois surtout que la médecine de demain va se faire sans médecin ou que pour les cas graves: on a vu cela en médecine du travail, les médecins sont devenus des internistes (ils réglent les gros problémes, le reste est fait par des auxiliaires).
    A titre personnel, j’adresse les patients à l’ostéopathe, aux homéopathes (quand j’ai fait les examens qui ne m’ont pas permis de poser un diagnostique), je pense qu’il y a encore des choses à découvrir

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