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Mal-être des étudiants en médecine. La leçon du Docteur House.

Régulièrement, le QDM se fait l’écho du mal-être des étudiants en médecine. L’un deux lui a même consacré une thèse (1). 30 % souffriraient de dépression, et 1 étudiant sur 4 aurait eu des idées suicidaires. C’est beaucoup plus que parmi les étudiants d’autres disciplines.De quoi souffrent-ils ? Si je devais répondre d’un mot : d’une médecine qui est elle-même malade. Notre médecine produit des représentations éminemment pathogènes du médecin auxquelles nos étudiants s’identifient au risque de se perdre.

Première représentation : le vrai, le bon, le grand médecin doit être infatigable. C’est avant tout sur leur capacité de travail que les étudiants sont sélectionnés tout au long d’un interminable cursus qui privilégie l’effort de mémoire. Lorsqu’ils font leur stage à l’hôpital, nos internes doivent être corvéables à volonté. Cette expérience de surmenage a presque la valeur d’un rite d’initiation aux yeux de leurs ainés. Après tout eux aussi en ont bavé, alors ils infligent à la jeune génération les mêmes épreuves : c’est à cette condition qu’ils seront dignes de leur succéder.

Seconde représentation : « l’agir ». Notre médecine privilégie « l’agir ». Le bon médecin doit répondre instantanément au problème qui lui est posé. Et il doit y répondre sous forme d’un acte. Au temps de Molière, le médecin cachait son ignorance derrière un discours ésotérique le plus souvent en latin. Aujourd’hui, la médecine dissimule son ignorance derrière « l’agir ». Une de mes patientes me racontait qu’elle s’était rendue aux urgences pour des palpitations. Électrocardiogramme, échographie cardiaque, bilan sanguin, elle a eu droit au grand jeu. Auprès d’elle les intervenants se sont succédé, infirmière, interne, cardiologue, urgentiste. On lui a posé une perfusion de magnésium. Au bout de trois heures, elle est autorisée à sortir, elle n’échappe pas à une prescription de bétabloquants, pour finir on lui prend un rendez-vous de cardiologie. À aucun moment, quelqu’un ne lui a dit ce qu’il pensait de ses palpitations. À cette question, la réponse fut, vous verrez avec le cardiologue. Aujourd’hui le patient est systématiquement soumis à une séquence d’actes dont la finalité n’intéresse plus personne. Bref on apprend plus à nos étudiants à réfléchir, on les conditionne à une médecine réflexe, à une médecine de process, à une médecine GPS. L’étudiant est quasi téléguidé par les incontournables CAT (conduites à tenir).

Troisième représentation. Elle est dans le prolongement de « l’agir ». Le prestige va aujourd’hui au médecin qui maîtrise une technique plus ou moins sophistiquée. Le médecin qu’on admire aujourd’hui, c’est le médecin qui met son habilité manuel au service d’une technique. C’est le médecin réanimateur, celui qui fait du cathétérisme, de la cœlioscopie opératoire…

À ces étudiants désemparés, je propose une thérapeutique. Qu’ils revoient la série du Docteur House (2). Cette série démonte les uns après les autres les stéréotypes que j’ai pointés. Le Docteur House campe un personnage qui est l’antithèse de l’archétype actuel du bon médecin. Dès les premières minutes du premier épisode, House se fait vertement admonesté par la belle Cuddy, directrice de la clinique : « Ça fait six ans que vous n’avez pas assuré la moindre consultation. » Réponse de House imperturbable : « il est 5 heures, je rentre chez moi » C’est ainsi que House fait son apparition dans cette série qui va faire de lui un héros de la médecine ! Comme un dilettante !

Ce que House nous signifie en affichant sa scandaleuse paresse, c’est précisément qu’il n’est prêt à se soumettre à cette médecine de « l’agir ». Pourtant dès qu’on lui soumet un cas difficile House ne comptera ni son temps, ni ses efforts, avant d’avoir résolu l’énigme. Au début de chaque épisode revient la scène du staff. Toute l’équipe est réunie autour de House et discute du cas. Le temps de la réflexion est le temps inaugural de chaque épisode. C‘est seulement après le staff que les collaborateurs de House, Chase, Foreman, Cameron soumettront le malade à toutes les techniques les plus modernes. Quand nous éteignons notre téléviseur, l’image que nous gardons est celle de House en jean et baskets (il se refuse à mettre une blouse blanche) devant un tableau, un stylo à la main, transcrivant ses hypothèses diagnostiques. Curieux renversement dans notre monde épris de spectaculaire, c’est ici la démarche intellectuelle, dans sa nudité, qui est promue. Cette série affirme constamment le prima d’une médecine de réflexion sur une médecine d’action. Le président de la Fox, Gail Berman, avait averti les réalisateurs : « Je ne veux pas voir de blouses blanches s’agiter dans les couloirs ».

Comment voulez-vous que nos étudiants se retrouvent dans cette médecine qui a perdu sa finalité même : soigner. D’une médecine qui s’avère incapable de prendre du recul vis-à-vis d’elle-même. Le philosophe Michel Serres, affirme que : « Toute bonne éducation médicale devrait viser à former un médecin à “deux têtes” complémentaires : l’une toute d’intelligence scientifique, qui reste dans la science ; l’autre davantage tournée vers le soin, l’expérience, l’attention, la culture, et qui plonge dans le paysage ». La formation des étudiants en médecine tient aujourd’hui de la maltraitance intellectuelle et psychologique. Comment voulez-vous qu’ils ne soient pas malheureux ? Et que leur propose-t-on pour en sortir : « une cellule psychiatrique, des lignes d’écoute, des outils de prévention (3) ». C’est ainsi que le piège se referme sur eux. Car, ils ne sont pas plus malades que vous et moi, ils souffrent certes, mais ce n’est pas eux qu’il faut soigner c’est la médecine qu’on leur inflige.

Ma fille médecin me disait que les tonus avaient disparu des salles de garde. Je me souviens de ces soirées où l’on jetait par-dessus bord les valeurs, où l’on chantait des paillardes, où on se moquaient des patrons, où les plus délurés montraient leur cul. Ces débordements dionysiaques avaient une fonction : ils permettaient aux jeunes médecins d’évacuer leur stress, de rire d’eux-mêmes et de la médecine.

Notre médecine est-elle capable d’autodérision ? J’en doute. Si l’on regarde bien, depuis Molières, le Knock Jules Romains et les Morticoles de Léon Daudet, sont les dernières grandes satires du monde médical.

(1) la thèse du Dr Alban Danset, médecin généraliste
(2) À propos du Dr House, j’ai consacré un livre : GREG HOUSE ET MOI SIMPLE PRATICIEN HOSPITALIER, L’Harmattan 2014. (Pub !)
(3) QDM du 27 /11/2017.
(4) Publié en 1894. Léon Daudet était le fils d’Alphonse Daudet. Félix Canelon, parti à la découverte du monde, échoue sur l’île des Morticoles, le pays où les médecins règnent en maîtres. Pour survivre, il deviendra lui-même médecin, passant des concours, recourant aux lèchements de pieds indispensables pour s’établir.

Laurent Vercoustre

25 Commentaires

  1. J’ajouterais que tant que l’élément prépondérant du recrutement des PU-PH sera l’impact factor, on est pas sorti de l’auberge…
    Pourquoi n’existe il pas, à côté de l »habilitation à diriger la recherche, une habilitation à diriger l’enseignement et une habilitation à animer une équipe?
    Je sais que les PU-PH ne sont pas les seuls enseignants,mais ils sont au sommet de la pyramide et la théorie du ruissellement risque de produire ses effets!

    • Merci pour votre réaction. Vous dites habilitation, mais selon quels critères. La capacité à enseigner ou la capacité à animer une équipe sont des choses qui ne s’apprennent pas. On peut avoir appris la pédagogie et être un mauvais enseignant. Et c’est bien là le drame de notre société qui prétend à formater les comportements humains en vue de telle ou telle fonction; les résultats sont catastrophiques. Il faut je crois, comme le dit Michel Serres mieux que moi dans la citation que j’ai rapportée, réintroduire dans les études de médecine la dimension de la culture et tout simplement de la pensée. Et que les élites médicales soient sélectionnées sur d’autres critères que ceux qui prévalent aujourd’hui : le bourrage de crâne, sans aucune distanciation. Comme le dit le penseur Jean Clavel  » le savoir médical fonctionne dans la méconnaissance du discours qui le constitue ».
      Quand la pensée occidentale dans s’est éveillée dans la Grèce antique, philosophie et médecine étaient unies. Il est grand temps que se retrouvent comme au premier temps de la rationalité, médecins et philosophes.Bref il est grand temps que que la pensée médicale revienne aux interrogations initiales sur le bon usage du savoir et du savoir-faire médical. Ce que les élites médicales transmettent aujourd’hui à la jeune génération est d’une terrifiante pauvreté. Combien de fois je l’ai constaté parmi les internes de mon service, ils n’ont plus de repère, ils sont mal dans leur peau.

  2. Magistral Dr Vercoustre!
    Mille fois vraies vos réflexions!! Touchantes et claires comme l’eau de roche…
    Ayant moi même dépassé 30 ans de médecine,je voie la dérive des coûts de la santé,le tout technologique,le manque d’empathie ,de respect vis à vis du patient,le désespoir des jeunes médecins qui ne font que se perdre dans la jungle technique des Ipads et autres I phones…
    La santé est dans les mains des politiques-technocrates et autres pouvoirs publiques et le patient devient « matière à dépenser », »chair à opérer »,cataracte-prothèses-implants et autres bidules techniques font vivre les machines et les politiques…au secours Hippocrate qui doit se retourner dans sa tombe millénaire…que faire?!!
    Le Dr House on l’adore,oui,le Socrate de la médecine,le sage modeste et soucieux de aider…très rare de nos jours…

    • Merci pour votre réaction :vous avez parfaitement raison de comparer Socrate et House, j’ai intitulé un chapitre de mon livre « House et Socrate ». Notre médecin a tout simplement oublié de penser. Et Socrate plus que tous les autres philosophes est le philosophe non des systèmes philosophiques ( voire Hannah Arendt) mais de la pensée pure celle qui nous oblige constamment à nous remettre en question.

  3. Knock n’est pas médecin;c’est une satyre des patients face à un charlatan habile.

    • Certes, mais il faut voir dans Knock une satire très pertinente du pouvoir médical. La fameuse réplique « tout bien portant est un malade qui s’ignore » a une fortune considérable. Il y a au fond de chacun de nous un Knock qui sommeille !

  4. Bonjour , je suis une vieille chirurgienne de 63 ans( APHP) , j’ ai connu les tonus et j’ en garde une jolie nostalgie .J’ étais du genre sage mais je n’ ai jamais estimé que c’ était excessif ..Et cela créait des liens intergénérationnels et inter statuts.
    Je suis entièrement d’ accord avec ce point de vue , et je suis ravie quand ma fille , actuellement en médecine , fait la fete avec ses condisciples , mais c’ est hors contexte hospitalier et ils restent entre étudiants .Ensuite des l’ internat , c’ est complètement différent .Quand je vois l’ enthousiasme de ces très jeunes futurs médecins , je suis admirative mais angoissée ..J’ aimerais tant que cette passion perdure , mais quand je vois l’ hopital au quotidien , j’ ai , hélas , des doutes .
    Moi-meme , pour pouvoir prendre des distances avec ces réalités , je me suis mise à la méditation ( enseignée aux étudiants en médecine au Canada par exemple ) et à l’ hypnose .
    Et j’ espère encore …

    • Merci pour votre réaction.En plus l’internat où les jeunes médecins vivaient en communauté était en quelques sortes pour eux une seconde famille.Aujourd’hui, il rentre chez eux et sont abandonnés à leur solitude..

  5. Brillante illustration de cette juste réflexion
    Il faudrait aussi absolument « rééduquer » nos patients devenus toxicomanes de paraclinique faussement rassurante surtout quand ils n’ont à l’évidence aucune pathologie après un interrogatoire et un examen biens conduits trop souvent négligés

    • Bonjour,
      je ne suis pas médecin mais le mère d’une jeune fille qui vient de commencer son internat dans un service de médecine interne . Elle était très enthousiaste et motivée avant de commencer. Elle pleure maintenant tous les soirs, de dépit et de rage, car elle est seule et abandonnée et ne reçoit… aucune formation. Elle est corvéable à merci et elle est moquée ou engueulée des qu’elle se trompe alors qu’on ne lui a pas la marche à suivre la plupart du temps.
      On lui explique qu’elle n’est sans doute pas à la hauteur de la tâche si elle est tellemt em souffrance . Personne n’a le bon sens de dire qu’une personne qui n’arrive pas à finir son travail ou à le faire correctement n’est peut être pas incompétent mais qu’il a juste une charge de travail trop importante. Et donc on la culpabilise comme on culpabilise tout le monde. Il y a une injonction à s’adapter! Même si c’est à « l’inadaptable »!
      Et aussi comme vous le dites bien une reproduction: faire vivre à l’autre ce que l’on a subi. Est considéré comme et respectable celui qui a l’air très occupé ou débordé.
      Les étudiants en médecine et les internes sont maltraités au sens le plus grave du terme.

  6. j’ai commencé mes étude de médecine en 1962 à Bordeaux. Tous les Maitres que nous avons eu à cette époque privilégiaient l’écoute: « écoutez ce que Mme, Mr vous dit, attendez qu’il ait fini son récit avant de poser des questions ». Je viens juste de prendre ma retraite et je n’ai jamais cesser de penser à cette phrase tout au long de mon exercice. Une grande partie des difficultés actuelles de l’activité médicale est la perte de la relation médecin-patient, pas d’écoute, pas d’échange de confiance. Il n’y a pas que les soignants en cause, il y a les « demandeurs de soins »…

  7. Un jour lors de mon internat un grand patron à éructé « sous prétexte qu’ils sont gentils ils pensent être de bon medecin »
    Avait-il raison ? Peut être un peu mais je reste persuadé que toutes nos connaissances techniques doivent être au service de notre humanité
    Et ca n’existe pas au concours ni au ECN
    Ca s’apprend avec l’expérience et l’influence de nos aînés

  8. Merci Monsieur Vercoustre pour votre analyse que je partage.
    Tant de choses restent à faire pour que la médecine redevienne un plaisir pour les étudiants, et non un long chemin bien trop souvent maltraitant…
    Je fais partie de ceux qui pensent qu’une lumière existe dans les méandres de cette problématique, et je suis persuadé que nous finirons par la trouver.

  9. Tout est dit. Et maintenant, si vous faites la fête à l’internat, on vous accuse d’être incorrect, irrespectueux, et vous êtes condamnable. Effectivement, on n’a rien compris: c’est une thérapie. Et sur la façon d’instruire les étudiants ( on ne parle plus aux patients ou bien le discours est kafkaïen), laurent Vercoustre fait un bilan très pertinent. Ça fait du bien de lire ce billet. Sera-t-il lu plus haut?

  10. Très bien vu cher confrère. Bravo ! J’ajouterai que l’on oublie de leur apprendre l’essentiel : la médecine est D’ABORD une relation humaine, le reste : la science, la technique, viennent en plus. C’est bien joli de regarder radios, scanner, biologie etc..mais si on n’a pas commencé par dire bonjour, interroger le patient, discuter avec lui et l’ EXAMINER de façon large (et pas seulement le coeur, ou l’abdomen, ou un autre organe isolément), on n’a pas fait grand chose.

    • Bien vu!C’est vrai que les études médicales éludent complètement la dimension dimension relationnelle entre le médecin et le patient.Pire, cette dimension relationnelle on la confie au psychologue sur lequel on se défausse constamment de son devoir d’humanité.

      • Cher Collègue, Comment mieux dire… Et « les psychologues sont sur place », quand l’accident est survenu, alors qu’il faudrait soigner le mal à la racine…
        Richard Torrielli, ancien PH au CHU de Bordeaux, auteur de « L’anesthésiste », publié chez Arléa en 2016, qui aborde par la fiction romanesque la question du « comment » certains confrères en arrivent aux solutions extrêmes…

  11. Excellente démonstration à laquelle il faut ajouter que la sagesse vient avec l’expérience. La peur de mal faire les font se retrancher derrière la multiplicité des examens et des avis. La judiciarisation des échecs aggrave cette peur juvénile et les patients oublient trop que la vie est mortelle attaquant sans vergogne ceux qui les soignent mais refusant la limitation de vitesse à 80!!! À nous de rassurer ces jeunes en leur racontant nos échecs autant que nos succès.

  12. M’estimant trop jeune et immature, je plaque les études de médecine en 3ème année, à l’age de 20 ans. Je les reprends à 26 ans, poussé par mon épouse. Cette fois, j’ai enfin la vocation. Les études passent comme une lettre à la poste. Installation presque immédiate après la thèse, à 32 ans. Aujourd’hui, à 66 ans, je joue les prolongations et je n’ai aucune envie d’arrêter. Je souhaite donc bon courage aux jeunes générations: le contexte de l’époque actuelle, avec un concours très difficile (en 70, il n’existait pas), et la longueur accrue des études, rendent la sélection naturelle encore plus impitoyable qu’à mon époque.

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