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Loi sur la prostitution : autres temps autres mœurs !

Le bilan sur la loi de la pénalisation du client est diversement apprécié : le Haut Conseil à l’égalité salue des débuts prometteurs (QDM du 13 avril). Médecins du monde dénonce les effets sanitaires délétères (QDM du 12 avril). La question de la prostitution suscite un débat souvent confus et toujours passionnel. J’en avais parlé dans un de mes premiers billets. Pour clarifier le débat il faut d’abord formellement distinguer la prostitution choisie de la prostitution subie qui n’est autre que de l’esclavagisme. C’est sur la prostitution choisie que les opinions divergent au sein même des différents courants féministes. Les unes, dans la lignée de Kant, considèrent que la prostitution est une atteinte à la dignité des femmes : « Aussitôt qu’une personne devient un objet s’appétit pour autrui, tous les liens moraux se dissolvent et la personne ainsi considérée n’est plus qu’une chose dont on use et se sert ». Les autres soutiennent que dès lors que le contrat est librement consenti, la relation n’est pas aliénante. Dans ces conditions la prostituée n’est pas réduite à un objet.

Il n’était pas question dans ce billet de prendre position dans le débat entre abolitionnistes et antiabolitionnistes. Mais de regarder les choses sous un autre angle. Force est de constater le bouleversement que notre société a opéré en un plus de cinquante ans dans le domaine du sexe.

Du côté de l’homosexualité, quel chemin parcouru depuis l’ordonnance de 1960 qui classait l’homosexualité parmi les fléaux sociaux ! trois dates jalonnent cette évolution : 1980, l’homosexualité classée auparavant comme maladie mentale est retirée du fameux manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux DSM, (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), août 1982, dépénalisation de l’homosexualité, mai 2013 légalisation du mariage entre individus du même sexe.

Du côté du couple, la justice est moins sévère : l’adultère n’est plus une faute pénale depuis loi du 11 juillet 1975 et n’est plus depuis lors une cause péremptoire de divorce. Du côté des mœurs, les obligations morales imposées par la religion catholique sont en net recul. On est plus choqué comme pouvaient l’être nos grands-parents que les jeunes filles aient des relations sexuelles avant le mariage. Du côté des pratiques, tout est aujourd’hui possible et les sexologues nous enseignent que leur diversité a enrichi la vie sexuelle du couple. Ajoutons à cela, internet qui offre une profusion d’images pornographiques.

Du côté de la prostitution, l’étreinte judiciaire s’est resserrée dans notre pays avec la loi de la pénalisation du client entrée en vigueur en avril 2016.

Tout au long de l’histoire de l’humanité, la prostitution a été considérée comme un mal nécessaire. Saint-Augustin, si intransigeant à l’égard du sexe, en est convaincu : « Supprimer les prostitués et les passions bouleverseront le monde ». Au Moyen-Âge, surtout dans les cités médiévales, on trouve « filles de joie » à chaque coin de rue. Ainsi selon un adage médiéval « on ne peut traverser le pont d’Avignon sans rencontrer deux moines, deux ânes et deux putains ». La taxation de la prostitution représentait pour l’Etat comme pour le clergé une importante source de revenue. Voltaire témoigne que l’évêque de Genève gérait personnellement tous les bordels situés sur son territoire. Il ne s’agit pas ici de stigmatiser une certaine connivence entre l’Église et la prostitution. En réalité les pouvoirs en place se sont tout au long de l’histoire préoccupés de la prostitution.

Plus près de nous l’écrivain Stéphane Zweig évoque les « armées de prostituées » qui grouillaient dans toutes les villes d’Europe dans les années 1930. Alors même que la virginité de la jeune fille bourgeoise était sous haute surveillance. À partir du 19e siècle, c’est sous la forme de l’hygiénisme que se manifeste l’autorité publique. C’est à cette époque où règne la grande peur de la syphilis qu’apparaît tout une médicalisation de la prostitution.

Nouveau partage donc, aujourd’hui, entre le licite et l’illicite tant sur le plan juridique que de l’obligation morale dans le domaine du sexe. Notre société prône une sexualité libérée. À une seule exception : la prostitution récemment réprimée par la loi du côté du client.

Dans la doctrine chrétienne, le plaisir sexuel est associé à la chute, à la mort, au mal, au péché. L’acte sexuel porte la marque d’une déchéance première.  Le plaisir sexuel a une valeur négative. Or le christianisme, qui a été la référence morale de notre société pendant 20 siècles, a montré une certaine tolérance à la prostitution. En ce début de 21e siècle, le plaisir n’a plus cette valeur négative, bien plus notre société manifeste sous bien des formes une injonction au plaisir. Pourquoi est-elle si répressive à l’égard de la prostitution ? Autres temps, autres mœurs ! Notre société met la barre très haut, elle exige un plaisir partagé dans le cadre d’une relation intersubjective fondée sur l’amour.

Laurent Vercoustre

8 Commentaires

  1. Cher Laurent Ta réflexion sur « la doctrine chrétienne » , montre que tu as sans doute plus lu Foucault que la Bible : celle ci est pleine de couples qui forniquent joyeusement sous le regard tantôt bienveillant (les patriarches , Ruth…) , tantôt irrité de Dieu…En cherchant bien tu trouverais même une prostituée das les ancêtres de Jésus ! La condamnation dont tu parles est le fait de certains. humains et de certaines institutions humaines. Il n’y a pas une condamnation de la sexualité par une « doctrine chrétienne », mais des approches différentes par des humains différents…

    • Merci Jacques pour ta contribution et heureux de te retrouver sur mon BLOG . Ce que Foucault a montré c’est qu’il y a une continuité très directe entre les premières doctrines chrétiennes et la morale de L’Antiquité sur le plan de la sexualité. Il prend l’exemple du premier grand texte chrétien consacré à la pratique sexuelle dans la vie de mariage. Ce écrit par Clément d’Alexandrie dans son livre le Pédagogue (chapitre X du livre II) s’inspire de principes directement empruntés à la philosophie païenne. Donc, c’est vrai, la Bible qui est antérieure, est prolixe sur le sexe et n’a pas mis le sexe sous haute surveillance comme l’a fait la doctrine chrétienne. Marie Madeleine qui était au pied de la croix était une prostituée. Il reste que la « chair chrétienne » telle que le dernier Foucault ( les Aveux de la chair) nous la rapporte, c’est pas très folichon ! Et les positions prises par l’Eglise sur la contraception, l’ivg, sont très contraignantes. Je ne sais ce qu’il est dans les religions issues de la réforme.

  2. « Notre société met la barre très haut, elle exige un plaisir partagé dans le cadre d’une relation intersubjective fondée sur l’amour. »
    Hum…Je n’ai pas l’impression que ce soit la tendance actuelle.J’ai plutôt l’impression que notre société de relations basées sur  » l’amour » , du plaisir « partagé ». Je dirais plutôt nous allons dans le sens de grandes solitudes.
    Ce qui n’empêche pas l’hypocrisie.

    • Merci pour votre réaction. Vous avez tout à fait raison. Mais, d’une certaine façon, ça ne va pas à l’encontre de ce que j’ai dit, car dès qu’ils n’atteignent plus à cet idéal d’amour et de plaisir partagé que notre société leur impose, les couples se désunissent et chacun se retrouve abandonné à sa solitude.

  3. Je trouve ce billet très bien construit. Par contre, je ne trouve aucun contradicteur parmi les commentaires. Absence d’arguments?

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