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« Cent pour cent santé » : fiche technique

« C’est une conquête sociale essentielle », a déclaré Emmanuel Macron le 13 juin devant le 42e congrès de la Mutualité à Montpellier : lunettes, prothèses auditives et prothèses dentaires seront bientôt remboursées à 100%. Discours acté par Agnès Buzyn qui a signé ensuite les accords avec les audioprothésistes et les opticiens. L’Assurance avait la semaine précédente paraphé une convention avec deux des trois syndicats de dentistes.

Examinons d’abord dans quel contexte cette réforme intervient.
Le reste à charge (RAC) direct des ménages en France est un des plus faibles parmi les pays de l’OCDE : 8,3% soit 248 euros par an et par habitant. Il reste néanmoins plus important dans les trois secteurs dentaire, optique et audioprothèse. Ainsi par exemple le remboursement de l’audioprothèse est 5 à 7 fois plus faible en France que dans les pays voisins,
L’ensemble des dépenses de santé est partagé entre l’assurance maladie obligatoire qui verse 77% et les complémentaires 13,3%.

Quelle est la situation actuelle ?
Aujourd’hui, pour les appareils auditifs, l’assuré doit payer plus de 900 euros par oreille, pour les prothèses dentaires au minimum 200 euros et près de 70 euros pour l’optique.

À qui s’adresse ce RAC ?
En réalité les bénéficiaires de La CMU-C et de la PUMA (ancienne CMU) bénéficient déjà d’une prise en charge totale dans ces trois secteurs sous la forme d’un panier de soins assez rudimentaire. La loi s’adresse donc aux petits revenus pour qui les prothèses dentaires ou auditives et les lunettes représentent une charge financière trop lourde. Au point que certains ne peuvent aujourd’hui payer ou simplement avancer les frais. Ainsi 4,7 millions de Français ne peuvent s’offrir des soins prothétiques dentaires et 2,1 millions des appareils auditifs. Aujourd’hui, seuls 3 % des appareillés auditifs bénéficient de la couverture maladie universelle complémentaire et sont donc intégralement remboursés. Les autres patients déboursent de l’ordre de 850 euros net par oreille.

La liberté de choix sera-t-elle préservée ?
Les professionnels devront systématiquement proposer une offre sans reste à charge. Les contrats d’assurance complémentaire devront obligatoirement proposer le panier « 100% santé ». Les patients pourront néanmoins continuer à faire leur choix pour d’autres prestations non prises en charge à 100% et remboursées par leur assurance complémentaire dans des conditions définies par leur contrat.
L’offre repose sur des paniers de soins 100%
Ce type d’offre suppose un plafonnement des prix et une gamme limitée de produits. C’est ainsi que
– Dans le panier dentaire du « 100% », les couronnes destinées aux dents « de devant » (incisives, canines, premières prémolaires) seront en céramique, tandis que celles destinées aux molaires, moins visibles, seront en métal.
– Dans le panier optique « 100% », l’assuré aura le choix entre différents modèles de montures. Les verres traitent l’ensemble des troubles de la vue.
– Enfin dans le panier audioprothèse, il y aura pour chaque catégorie d’appareils, au moins un modèle à « reste à charge zéro ».

Ces paniers de soins à 100% proposent-ils des produits de qualité ?
Pour l’optique, le panier s’annonce de bonne qualité : 17 montures différentes respectant les normes européennes, (plafonnés à 30 euros avec deux coloris seulement). Verres unifocaux pour les myopes, multifocaux ou progressifs à partir de deux pathologies, avec un traitement anti-reflet, anti-UV, et même anti-rayures pour les lunettes d’enfants. Les filtres anti-lumière bleue et les montures Chanel ne seront, en revanche, pas inclus !

Pour les prothèses auditives également. Tous les types d’appareils sont concernés : contour d’oreille classique ; contour à écouteur déporté ; intra-auriculaire ; au moins 12 canaux de réglage (ou dispositif de qualité équivalente) pour assurer une adéquation de la correction aux troubles auditifs ; système permettant l’amplification des sons extérieurs restitués à hauteur d’au moins 30 dB ; 4 ans de garantie ; au moins 3 des options (1).

Pour le dentaire, c’est beaucoup moins évident. Lionel Marslen, président de la Fédération des prothésistes artisans du dentaire, s’alarmait sur France info : « on va offrir un maximum de prothèses au détriment de la qualité ». La Fédération des syndicats dentaires libéraux met en cause la qualité des céramiques qu’ils qualifient « de céramiques de lavabo ». La profession est unanime pour considérer le retour au métal comme un bon en arrière. Lionel Marslen rappelle que la prothèse en métal est aujourd’hui utilisée pour les prothèses CMU. Il nous met en garde contre les dangers des prothèses à bon marché : « La prothèse est une production qui demande du temps, du savoir-faire, de l’humain, tout ça a un coût. C’est un investissement une prothèse dentaire, ce n’est pas un produit de grande consommation. C’est un investissement qui, s’il est bien réalisé, va durer des années et s’il est mal réalisé, ne protègera pas aussi bien et sera même responsable de dégâts sur les autres dents ou même sur votre santé. »
Malgré ces réticences, la Confédération nationale des syndicats dentaires(CNSD) a décidé de signer, le vendredi 1er juin dernier, la nouvelle convention dentaire, qui constituera le cadre de la mise en place du reste à charge zéro pour les prothèses dentaires. Les praticiens ayant obtenu en contrepartie une revalorisation des soins conservateurs. « Les soins conservateurs sont 1,8 fois mieux rémunérés en Allemagne qu’en France et 3,5 fois en Suède. Par ailleurs, les soins prothétiques sont, eux, deux fois moins rémunérés en Allemagne et au Danemark », confirme la Mutualité Française.

On peut estimer que le « cent pour cent santé » représentera un tiers des soins en optique et 45% en dentaire. L’ensemble de ces mesures entreront progressivement en vigueur durant l’année 2019 pour une application complète au 1er janvier 2020.

Voilà donc une synthèse ou fiche technique à propos du « cent pour cent santé ». Je traiterai dans mon prochain billet de son financement, et là il y a de quoi sourire ou grincer des dents. Mais il fallait d’abord avant d’être critique examiner ce “cent pour cent santé ” sous l’angle de sa pertinence dans le cadre d’une politique de santé publique. Le besoin est incontestable : voir, entendre, manger ne sont pas des luxes mais un droit essentiel pour la population de notre pays.
La réponse des pouvoirs est satisfaisante pour l’optique et l’audition. Soulignons que le déficit auditif est l’une des affections les plus courantes du vieillissement : après 50 ans, une personne sur trois est concernée et une sur deux après 75 ans. Dans une étude publiée en juillet 2017 dans le Lancet [1], les auteurs estimaient que la prise en charge du déficit auditif était le plus important facteur modifiable susceptible de prévenir la démence. Le remboursement à 100% de l’audioprothèse s’inscrit dans une stratégie du bien vieillir. En ce qui concerne le dentaire, les mesures prises paraissent moins convaincantes.

(1) Système anti-acouphène, connectivité sans fil, réducteur de bruit du vent, synchronisation binaurale, directivité microphonique adaptative, bande passante élargie ≥ 6 000 Hz, fonction apprentissage de sonie, système anti-réverbération.
(2) Commission « Dementia prevention, intervention, and care », The Lancet, 19 juillet 2017, 62 pages.

Laurent Vercoustre

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