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DMP, la grande illusion du numérique

Le DMP annoncé à grand bruit en 2004 à l’occasion de la réforme Douste-Blazy, fut un cuisant échec. La version numérique d’abord envisagée n’a jamais vu le jour et fut remplacée par un misérable carnet de santé en papier confié aux patients et rempli facultativement par les médecins.

Aujourd’hui le DMP est relancé : objectif : ouvrir 40 millions de DMP d’ici à 2022. L’heure est à l’enthousiasme, cette fois ça va marcher ! Le DMP porté en grand pompe par Agnès Buzyn et Nicolas Revel directeur général de la CNAM, ne connaîtra pas le triste de sort du carnet de santé !

Quel service offre le DMP ?
– L’accès immédiatement aux informations médicales du patient lors d’une hospitalisation, d’une 1ère consultation ou en cas d’urgence.
– Éviter de prescrire des examens ou traitements déjà demandés par d’autres praticiens confrères
– Éviter les interactions médicamenteuses.
Voilà ce qu’en disent les promoteurs. Certes l’avancée n’est pas négligeable, mais c’est peu. C’est peu en regard des moyens déployés. Avec ce DMP on va constituer une gigantesque archive numérique constituée d’un empilement de données, comptes rendus d’hospitalisation, de consultations, examens radiologiques, biologiques.

Données qui ne seront exploitables ni sur le plan économique, dans ce domaine les outils existent déjà, ni sur le plan épidémiologique. Pour qu’une exploitation épidémiologique soit possible, il faut une saisie de données préformées et non de textes libres. Bref on va créer une usine à gaz !

Il y a une sorte de surestimation des retombées du DMP. Comme il y a plus généralement une surestimation du numérique. Nous faisons des gorges chaudes des big data, de la télémédecine, de l’e-médecine, bref nous prêtons au numérique des vertus magiques.

Certes le partage de l’information offert par le DMP est un premier vers la coordination des soins. Et c’est bien de l’absence de coordination dont souffre notre système de soins. Aujourd’hui en effet notre médecine ambulatoire atomisée autour des exercices isolés, abandonne les patients à leur sort d’errants. « Notre système produit des soins mais sûrement pas du mieux-être pour ceux qui sont affectés par la maladie ».

Or ce n’est pas le numérique qui résoudra ce problème, il se peut même qu’il l’aggrave. La floraison des logiciels spécifiques dans les spécialités médicales, encouragent les médecins à stocker les informations sur leur propre logiciel plutôt qu’à les partager.

Il n’est pas question de nier les prodiges du numérique, mais de faire comprendre qu’il n’est qu’un moyen. Un moyen qui ne doit pas nous dispenser de repenser l’organisation du système.

Cette réorganisation suppose l’instauration d’un régime de droit et de devoir entre les praticiens. Le DMP numérique ne sera pas plus renseigné que le carnet de santé s’il n’est pas encadré par une règlementation. L’adhésion au DMP ne sera pas spontanée, déjà les réactions sont dissonantes, certains sont enthousiastes d’autres beaucoup plus réservés. Ce n’est pas de la qualité du logiciel dont dépend l’adhésion mais de son appropriation. Cette appropriation n’est possible qu’à la condition de désigner un responsable. Il y a une confusion entre le partage de l’information qui est la vocation du DMP et le partage de la responsabilité de la tenue dossier. S’il appartient à tout le monde, il n’appartiendra à personne et ne sera pas correctement géré.

C’est naturellement au généraliste que revient la responsabilité de la gestion DMP. Mais c’est lui imposer une bien lourde tâche. Il ne suffit pas de jeter pêle-mêle les informations à moins de faire du DMP une poubelle, une synthèse est indispensable si l’on veut que le DMP ait un sens. Comment demander aux généralistes un effort aussi chronophage alors qu’ils sont déjà submergés par des tâches administratives. D’autant qu’il n’est prévu aucune incitation financière. Nicolas Revel considère que la rémunération du forfait structure liée au fait d’avoir un logiciel métier compatible avec le DMP est suffisant…

Par ailleurs, il faut que le généraliste puisse compter sur la coopération des autres acteurs de santé pour renseigner le DMP. En Grande Bretagne, les généralistes qui pilotent le système de santé, peuvent imposer des règles à leurs correspondants. Ainsi les hôpitaux ne sont payés qu’à réception de la lettre de séjour. Aucune mesure contraignante n’est envisagée par les autorités de santé. Mesure en réalité inenvisageable dans notre pays où les médecins sont allergiques à toute forme de coercition. Mais Nicolas Revel nous rassure « Nous avons créé les conditions techniques pour l’alimenter automatiquement. » Ce DMP est décidément magique, et ses pouvoirs magiques nous garantissent son succès. Stupéfiante naïveté de nos responsables !

Enfin imposer le même outil informatisé à tout le monde, c’est encore faire preuve de notre Jacobinisme invétéré. Il aurait été sans doute plus judicieux d’orienter l’effort numérique vers les réseaux de soins en soutenant les initiatives locales. L’effet centralisateur du DMP risque de contrarier l’émergence de systèmes plus souples, plus inventifs développés à l’échelle régionale.

Laurent Vercoustre

16 Commentaires

  1. Petit dialogue datant d’hier: Une patiente me tend sa carte vitale recouverte de la petite vignette DMP. « Tiens vous avez ouvert un DMP? » « Non » Qui a collé cette vignette? » «  La pharmacie. Mais elle ne m’a rien expliqué. «  « Voulez vous que je complète votre DMP? » « Non, surtout pas. Cela ne m’intéresse pas. D’ailleurs je n’ai pas Internet. » Ma conclusion: DMP librement accepté, oui. DMP imposé, non.

  2. Revoici mon point de vue sous une forme simplifiée: La Poste a du souci à se faire. A terme tous les hôpitaux et cabinets de spécialistes préfèreront poster leurs compte rendus sur le DMP. Et les généralistes n’auront rien d’autres à faire que d’aller piocher sur le DMP, ce qui sera necessaire au suivi de leurs patients. Le DMP sera donc au service du médecin traitant et ne lui ajoutera que très peu de travail (Pourquoi pas une petite synthèse annuelle facultative?).

  3. Bonsoir. Beaucoup à dire sur le DMP. Mais énormément d’espoirs de ma part. Sur six consultations sur l’aphp aucun des médecins n’a utilisé un ordinateur. Les lourds dossiers papiers qui pourraient tenir sur une clef usb au maximum……sont rédigés à la main par des médecins payés à quel fout horaire ? Deux mois pour obtenir un compte rendu envoyé par la Poste. Un sur trois arrive au médecin traitant, qui ne sait quoi en faire, n’ayant plus de secrétaires pour classer ou scanner; lui n’a pas le temps, c’est clair. Et tutti quanti au niveau organisationnel. Je rêve du moment ou la synthèse des précédentes visites sera sur l’écran du praticien quand j’entrerais dans son cabinet, ou son tensiomètre ou autre appareil remplira les cases du dossier automatiquement…. Et ma santé entre mon médecin traitant et mes spécialistes, en cours ou à venir, je souhaite au contraire la partager, afin que ceux ci puissent communiquer rapidement. Donc oui pour le DMP. Mais c’est bien actuellement une usine à gaz. Qui commence au moment de l’inscription avec codes et recodes et sms de validation. Il aurait été si simple d’utiliser la carte vitale qui comporte une puce si je ne m’abuse…..Il est urgent que ce dmp évolue, vite et grandement. Mais enfin il est commencé. Mais n’oublions pas tous ceux qui ne peuvent s’en occuper ou le remplir eux mêmes, trop malades par exemple. Cordialement

  4. Bonjour. Il existe un excellent livre avec lequel on peut ou pas être d’accord à propos de l’utilisation de l ‘ >IA pour tout et pour tout : « Homo deus ». Une excellente analyse parue dans « La recherche » décortique un peu tout ça :
    https://www.larecherche.fr/livre-lu-dailleurs-prospective/le-nouveau-souffle-de-yuval-noah-harari
    et si vous voulez une vison de fiction et tellement possible de ce qui nous attend avec l’IA, Google etc. Je conseille les 4 tomes de l’intégrale de « l’étoile de Pandore » de Peter F. Hamilton, auteurs de S.F. Epoustouflant et quelle vison…
    Après ça , réfléchissez au DMP et à l’IA.

  5. « Aujourd’hui, on utilise des machines qui auraient leurs places dans un musée dans certains bureaux de l’administration américaine. C’est en substance ce que l’on conclut d’un rapport récemment publié par le Government Accountability Office. Dans ce rapport, il est par exemple indiqué que le Pentagone, pour coordonner « des fonctions opérationnelles de la force nucléaire des Etats-Unis », utilise encore des machines IBM Series/1 datant des années 70 ainsi que des disquettes de 8 pouces. Cette information, en particulier, a fait le tour du web. Et si de nombreux internautes trouvent cela insensé, des spécialistes en sécurité pensent qu’il y a aussi du bon »…..Évidemment il ne sera question pour le DMP que du secret médical .

  6. Encore faudrait-il ajouter:
    – Les risques certains d’un piratage massif …
    – l’inutilité non moins certaine du DMP tel qu’il est conçu pour un MG qui trouverait plus utile l’accès (sécurisé par CPS) directement au serveur hospitalier (les données pour son patient y sont au moins parfaitement historisées et classées ce qui ne sera probablement jamais le cas hélas du DMP). Dans ce scénario de « pull » contrairement au « push « des données: rien à faire (ou presque) pour les hôpitaux!
    – Enfin l’argument de l’apport possible de l’intelligence artificielle pour l’analyse épidémiologique demeure un doux rêve à courte échéance! Voyez ce qui est fait aujourd’hui dans l’analyse des données du PMSI qui pourtant sont déjà structurées!
    ….

  7. Vous oubliez une chose : l’intelligence artificielle. Le text mining permet d’extraire des données du texte libre. Le health data hub qui est en train d’être créé va effectivement permettre d’énormes progrès en épidémiologie mais aussi pour tout ce qui est étude de phase 4. On est pas en 2004. Le monde vit actuellement une révolution eviquivalente à celle de l’arrivée d’Internet : il faudra 10 ans pour s’en rendre compte vraiment.
    Autre info : tous les logiciels ont l’obligation d’être compatible DPM. S’ils ne le sont pas la CPAM arrêtera de s’y connecter = plus de compatibilité carte vitale.

  8. Après avoir souscrit une option complémentaire pour mon logiciel, j’ai pu faire ces derniers jours, quelques essais de DMP . Grace à l’historique des remboursements, le dossier n’est pas tout à fait vide au départ. Je ne suis pas trop pessimiste sur l’avenir du DMP. Si déjà les hôpitaux comprennent qu’il est plus facile de mettre les compte rendus en ligne, que d’envoyer des courriers papier, nous serons sur la bonne voie. Et si les médecins de ville comprennent à leur tour, que le DMP est devenu le seul moyen d’avoir des nouvelles des patients hospitalisés, alors ils s’y mettront. Les spécialistes apprécieront alors tout l’avantage de pouvoir distribuer par internet, les compte rendus de consultations. Les généralistes seraient alors les derniers à ne plus avoir le choix. Ces derniers se feront évidemment un plaisir d’ajouter une petite synthèse annuelle, au moins pour les patients ayant des pathologies chroniques. Je suis trop proche de la retraite, pour assister à ce scénario idéal avant la fin de ma carrière. Mais j’espère bien en être le témoin privilégié, en tant que patient du 3ème âge.

    • @ SCALEX : Sans vous offenser, vous rêvez ou quoi ,  » Ces derniers se feront évidemment un plaisir d’ajouter une petite synthèse annuelle, au moins pour les patients ayant des pathologies chroniques ». Les médecins n’ont déjà pas le temps d’ ausculter un patient correctement et vous voulez qu’ils fassent une synthèse annuelle ? et vous croyez qu’il n’y aura une manipulation des données ou des appréciations par Internet ? Du suivi des études ?
      Rien ne vaut les courriers papier, comme le dit l’adage  » Les paroles s’envolent , les écrits restent. » Le net, c’est des paroles en l’air, dans le Cloud avec d’ autres « réservoirs  » à renseignements du net. On n’a pas à partager sur le net des renseignements confidentiels qui ne regardent que le médecin traitant ou le patient, et si ce médecin veut avoir des nouvelle de ce dernier hospitalisé, il n’a qu’à se déplacer pour se rendre compte de visu si ce dernier est bien traité ou de son évolution.
      Bon sang, ce n’est quand même pas Big Brother qui va faire la médecine!

    • Mon arrière grand père, généraliste, a soutenu sa thèse en 1896. A l’époque, le brassard à tension n’était pas d’usage courant. Je ne l’ai pas connu. J’ai un peu connu mon grand père, radiologue. J’ai surtout connu mon père, généraliste, retraité en 1990 et décédé en 1996. Le métier a tellement évolué ces dernières années, qu’il serait bien surpris, si il revenait. Vous contestez le progrès apporté par le DMP. Imaginez le temps gagné par tous les intervenants, si mon petit scénario se réalisait. Je passe un temps fou à scanner les compte rendus, divers et variés. Actuellement, l’anarchie est de mise. Tantôt je ne reçois pas le compte rendu attendu. Par exemple si le patient a consulté un autre spécialiste que celui que j’ai conseillé. Parfois j’en reçois trop. La patiente cancéreuse pour laquelle on m’envoie à chaque cure de chimiothérapie, une nouvelle version, peu différente de la précédente, mais reprenant la totalité du dossier (6 pages à chaque fois). Et le plus souvent les compte rendus arrivent tardivement. J’ai déjà revu le patient. Les médecins manquent de temps? Mais nombreux sont ceux qui rédigent encore les ordonnances à la main (2 minutes pleines pour 15 médicaments).
      Si l’informatique vous rebute, choisissez une FMC en rapport. Et vous serez surpris des résultats après une petite remise à niveau…

      • @ SCALEX. Je suis heureux pour vous que vous soyez une 4è génération de médecins. Mais que ça ne vous éloigne pas de la réalité, les patients ne sont pas que des comptes rendus ou des chiffres d’analyses. Mais bon, il y bien des génération d’artisans plombier ou boulanger et autres.
        Mais ça ne vous donne pas le droit de jongler dans la « nébuleuse du Net » avec les données de santé de vos patients, données qui pourront être facilement récupérées ( le piratage ça existe, j’en ai été victime…) pour des industries pharmaceutiques sans vergogne et sans scrupule ou des assurances.
        Vous perdez certainement du temps avec l’anarchie des comptes rendus, c’est regrettable mais ce qui se passe entre vous et le patient ne regarde que VOUS et LUI.
        Je ne suis qu’un patient, mais un patient qui essaie de se tenir au courant des découvertes ou des progrès scientifiques ou même des médecines complémentaires qui permettraient d’améliorer la/ma santé et c’est à ça que peut et doit servir le net. Je prendrais très mal le fait que le M.T que je consulte – qui est et doit rester le médecin REFERANT – partage des renseignements sur ma santé avec un spécialiste que je n’aurais pas agréé.
        Par contre, pour les ordonnances rédigées à la main dans une écriture kabalistique prescrivant 15 médocs, je suis d’accord avec vous. C’est mieux et plus lisible pour tous que ce soit enregistré sur son ordinateur et imprimé si besoin. C’est bien pour les chiffres d’analyses ou de médicaments prescrits et ça lui donne la possibilité de DISCUTER et d’ECOUTER le patient sur ses symptômes et « corriger le tir » si nécessaire au besoin en faisant appel au « spécialiste » pour l’aider. Mon référant rédige à la main, heureusement il a une très bonne mémoire et est encore jeune et prend le temps de m’écouter ce qui lui permet d’éviter de me faire des prescriptions médicamenteuses qu’il sait bien que je ne suivrai pas et je lui en suis reconnaissant.
        Mais bon, si vous pensez que vous faites pour le mieux, c’est l’essentiel pour vos patients.
        Sincères salutations.

  9. Perso, je n ai rien à cacher surtout à bientôt 73 ans
    Cela dit, retrouver dans le DMP l essentiel des infos médicales me concernant, je trouve ça très bien.
    Surtout quand on est vraiment seul dans la vie sans femme ni enfants avec une famille dite proche en réalité fort éloignée
    Et je ne pense pas être le seul dans cette situation.

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