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Anti Raoult contre pro Raoult, une bataille qui aurait pu être évitée

Antoine Flahault a fondé de l’Institut de Santé globale de Genève dont il est aujourd’hui le directeur. Un petit tour sur internet nous dévoile son impressionnante biographie. Ancien interne santé publique, docteur en médecine et en biomathématique, il se signale surtout par ses travaux d’épidémiologie prévisionnelle et de modélisation mathématique. Il développe avec l’OMS le système mondial de surveillance de la grippe, appelé FluNet, et en 2006 coordonne les recherches sur le chikungunya qui sévit dans l’océan Indien. En novembre 2007, il crée une cellule de recherche et de veille sur les maladies émergentes dans la région Antilles Guyane.

Régulièrement interviewé par les médias, il se montre affable, prudent et fait contraste avec notre grand gourou national, le Professeur Raoult aux allures de vieux druide et à la faconde désabusée.

 Ils ont pourtant un point commun, ils ont tous deux travaillé sur la chloroquine. Le Professeur Flahault a expérimenté la chloroquine lorsqu’il était en charge de l’épidémie de chikunguya dans les années 2006. Son équipe avait trouvé un pouvoir antiviral exvivo de la chloroquine sur les cellules infectées par le chikungunya.  Il pensait qu’il tenait là un médicament efficace. Le Professeur Flahaut avait d’ailleurs fait une communication sur son expérience en collaboration avec l’équipe de Marseille. Cette communication avait été reprise par un journal de la réunion qui avait mis en grand titre à sa une « Un médicament en vue !».

C’est alors que le Ministre de la santé de l’époque Xavier Bertrand très excité par cette expérience prometteuse, avait convoqué Flahault et son équipe pour proposer dès le lendemain une extension de mise sur le marché de la chloroquine dans l’indication du chikungunya. Il est vrai que les circonstances étaient exceptionnelle, l’épidémie avait touché 40% des habitants de la Réunion. La réponse de Flahaut telle qu’il la raconte fut « Surtout ne faites pas ça Monsieur le ministre ! Si vous faites ça on n’aura jamais la possibilité de confirmer l’efficacité de la chloroquine chez les patients atteints de chikungunya, il nous faut faire un essai clinique »

Au début Xavier Bertrand ne comprenait pas, il pensait que Flahault et son équipe étaient plus motivé par la recherche et la production de beaux papiers plutôt que par la guérison des malades. » Xavier Bertrand finit par accepter, et un essai clinique en bonne et due forme a été réalisé sur l’homme et sur des macaques de l’île Maurice qui présentaient une maladie tout à fait semblable à celle de l’homme. Résultat des courses : aucune efficacité, la déception de l’équipe fut énorme, à la mesure de la certitude qu’elle avait de tenir un bon médicament.

La polémique sur la chloroquine n’aurait pas flambé comme elle l’a fait si le professeur Raoult avait eu la même loyauté scientifique que celle du Professeur Flahault.

D’autant que l’aventure de la chloroquine avec le covid-19 risque bien de se terminer aussi piteusement. Les études négatives s’accumulent et la dernière en date celle du Lancet permet sans doute de siffler la fin de la partie. Certes on argumentera que c’est une étude observationnelle. Mais elle porte sur des effectifs considérables :  96 032 patients hospitalisés entre le 20 décembre 2019 et le 14 avril 2020, tous positifs au Sras-CoV-2, dans 671 hôpitaux répartis sur 6 continents. À l’issue de l’étude, tous les patients étaient soit décédés, soit sortis de l’hôpital. Quatre groupes se sont vu administrer l’un des quatre traitements. 1 868 patients ont reçu de la chloroquine seule, et 3 783 patients de la chloroquine associée à un macrolide (soit de l’azithromycine, soit de la clarithromycine). L’autre groupe a reçu, soit de l’hydroxychloroquine (3 016 patients), soit un cocktail d’hydroxychloroquine et d’un macrolide (6 221 patients). Les 81 144 autres patients ont intégré le groupe contrôle.

Les résultats sont éloquents. « Nous avons été incapables de confirmer un bénéfice de l’hydroxychloroquine ou de la chloroquine (…) sur le pronostic des malades de Covid-19 hospitalisés », écrivent les auteurs. En revanche, « chacun de ces protocoles, quand il a été utilisé pour le traitement de Covid-19, a été associé à une diminution de la survie à l’hôpital et une augmentation de la survenue des arythmies ventriculaires ». Dans les groupes traités, la mortalité oscille entre 16,4 % et 23,8 %, alors qu’elle atteint seulement 9,3 % dans le groupe témoin. Le cocktail hydroxychloroquine-macrolide est le plus problématique, s’étant soldé par le décès de 23,8 % des patients, soit un sur quatre. Pour les malades soumis à ce traitement, conclut l’étude, le risque de décès est donc multiplié par cinq.

Compte tenu de ces résultats catastrophiques une étude randomisée est-elle encore envisageable ?


Il semble que l’hydrocloroquine soit définitivement disqualifiée par ces études. Il ne faudrait pas pour autant rejeter l’azythromicine. Car de nombreux généralistes, privés de la possibilité de prescrire de la chloroquine, ont eu de bons résultats avec l’azythromicine. Certes l’étude reste à faire.

La science est une leçon de modestie, c’est toujours celui qui en sait le plus qui est capable de dire je ne sais pas. Faute de ne pas avoir eu l’humilité et la prudence du Professeur Flahaut, nous avons perdu beaucoup de temps …

Laurent Vercoustre

15 Commentaires

  1. Merci pour cet excellent billet qui remet les choses en place.
    L’humilité et la rigueur d’Antoine Flahaut contrastent avec la mégalomanie du gourou de Marseille…

  2. Franchement, je ne prescrirai pas le plaquenil, encore moins associé avec l’azythro, à six fois la dose en ville. L’HCQ, je ne le connais pas en prescription , mais les torsades de pointe et le QTc allongé, je le connais, et des QTCc à 500 ca peut faire peur . Aussi, sans ECG, Kaliémie, scope et défibrillateur à coté, pour une maladie à 95% bénigne, ben que dire…..le bénéfice a interêt à être vachement élevé pour en valoir la chandelle.

  3. Regardons l ‘histoire pas si ancienne, de la médecine et des médicaments.
    Dans l’AFRIQUE coloniale des années 1970/1980, 1ére façon de se suicider chez l’expatrié trans-méridien: le tube complet de NIVAQUINE !!!
    décés assuré à 100%.
    Quant au maniement chez l’enfant de notre anti-paludéen, sans forme pédiatrique à l’époque !!! SOUVENEZ VOUS BON SANG !!!

  4. Tout est dit: Avouer que le Pr Raoult a raison de prescrire , dés le DC fait et donc au tout début , dès les premiers symptômes , c’est avouer que l’on peut prescrire , en toute liberté médicale , un traitement , parce-que l’on est certain , dans son expérience clinique du moment , que celà « marche » , sans attendre de réaliser des essais cliniques…Mais , la judiciarisation de la relation mèdecin malade , le refus des compagnies de RCP d’assurer des soins hors AMM expose le mèdecin à des risques qu’il ne peut plus prendre , pour lui et sa famille , sans compter les sanctions ordinales…Pour se protéger avant tout, il lui faut obtenir un consentement éclairé après avoir détaillé toutes les possibilités thérapeutiques recommandées par les sociétés savantes….Ni plus ni moins…Ne rêvons pas , la liberté de prescrire n’existe plus…sauf dans d’autres régions du globe où nécessité fait loi…comme en Afrique ou l’ HCQ et l ‘azytromycine reste le seul espoir…et on attendra avec patience et malice leurs publications dans quelques mois…La relation médecin -malade y est encore très largement respectée…

  5. Bonjour Monsieur Vercoustre,
    J’aime souvent vos articles, mais là je suis déçue. Médecin généraliste, j’ai travaillé quelques années dans une entreprise fabriquant entre autres dispositifs , des pansements. Il fallait faire des  » études cliniques  » pour rassurer les prescripteurs. Et j’ai appris à les décoder : qui finance, que veut on.prouver? Et on a.les résultats attendus en posant les.bonnes questions et surtout en.faisant une belle conclusion. Qui lit les études dans leur entier?
    Une étude aussi grande, multicentrique, multilingue, avec des résultats aussi rapides c’est impossible! Et vous acceptez leurs conclusions sans sourciller. Comme les.médias qui répètent ce que leur soufflent les.politiques.
    Dans l’attente d’autres articles, cordialement, Dr Claudine Weck

    • Dr. Weck vous avez entièrement raison la publication de Lancet n’est pas une étude mais une hative compilation d’observations de malades déjà hospitalisés , voire juste avant intubation ,traités parfois avec de fortes doses et toujours trop tard . Rien à voir avec le protocole Raoult , ce que l’on voudrait nous faire croire ! Nous ne sommes pas assez débiles pour croire qu’il a été possible de coordonner cela en un temps si court pour 600 hôpitaux dans le monde . D’ailleurs les auteurs ne sont pas aussi affirmatifs que ça puisqu’ils jugent nécessaire de faire une etude randomisée pour confirmer leur propos .

    • Je suis désolé de vous avoir déçue, à vrai dire avec un peu de recul j’admet que l’étude du Lancet est très suspecte. Il y a derrière tout ça dans enjeux financiers colossaux qui poussent certains à critiquer le protocole de Raoult !

    • D’accord avec vous Madame Weck, d’autant plus que cette étude Lancet est maintenant remise en question par de nombreux scientifiques, même non adeptes de l’HCQ

  6. Votre conclusion est enfin la bonne : il faut ou il aurait fallu faire une étude avec l’azithromycine seule en le prenant assez tôt( Pendant 5 à 10j) en respectant les interactions et les allergies. Ré étudiez la courbe de la charge virale PCR dans la première étude de Raoult : 50% de moins avec HCQ ( pas terrible) et 98% si on introduit l’azithro, il y a un truc qui doit tilter non ?
    In vitro : activité anti viral et anti inflammatoire connue . In vivo : traitement souvent proposé dans infections virales à virus ARN monocaténaire + comme le covid 19 ( grippe, Zika, dengue, rhinovirus enterovirus)
    In pratico : médecins de ville du grand Est et Grenoble ont soulagés et éviter les complications à beaucoup de patients. J’ai traité ma famille proche avec succès.
    Traitement « anti surinfection » dans les infections rhino Pulmonaire qui fonctionne très bien si pris rapidement.
    Chez les bactéries, blocage de la sous unité 50S du ribosome donc arrêt de la lecture de l’ARN messager et de la réplication. Voie de recherche pour établir si ce même mécanisme bloque la partie 60S du ribosome de la cellule infectée ?
    La chlorocoquine est peut-être un potentialisateur mais pas le traitement salvateur.
    Arrêtons cette querelle.

  7. Vous avez oublié, cher confrère, un tout petit détail : ce traitement doit être prescrit AVANT l’hôpital, dès les premiers signes, après c’est trop tard. Une étude sur 93032 patients publiée à une vitesse pareille vous ne trouvez pas ça un peu curieux? Il y a urgence, pas le temps d’attendre des résultats quand l’épidémie sera terminé. Ca marche? Tant mieux. Ca ne marche pas? Tant pis, mais au moins on aura essayé quelque chose. Des risques? Vous en prenez aussi quand vous conduisez votre voiture. Raoult a essayé: il traite et on verra bien ce qui se passe.

  8. « Humilité et prudence » … ou aveuglement dogmatique ?

    Chers Confrères,
    Il serait temps de remettre les pendules à l’heure en effet, mais de la part des grands pontes parisiens, hospitaliers, administrativo-médicaux et consort, se réfugiant derrière des études touchant des cas hospitalisés donc déjà graves pour descendre en flammes le traitement proposé par Didier Raoult.
    Falsification et mensonge ? ( pour quelles raisons ? orgueil ? aveuglement dogmatique ? sentiment d’omniscience ? refus de discuter ? bien peu dignes de l’esprit de la médecine … ) : car le Pr Raoult préconise ce traitement en phase débutante « de ville », et ne l’a jamais préconisé à ma connaissance au stade de réa où « les carottes sont cuites » !
    On peut s’étonner que de « hauts responsables » médicaux détournent à ce point la vérité. Et surtout dans quel but ??
    Quant à la toxicité des deux molécules incriminées, qu’on me permette d’en sourire : avec quarante années de médecine de terrain derrière moi, au cours desquelles j’ai manié auprès de mes patients et même de ma famille ( et nous sommes des centaines voire des milliers de confrères dans ce cas ) Plaquénil et Azythromycine, seuls ou associés pour diverses raisons avant qu’on ne parle de Covid-19, et toutes précautions prises comme dans n’importe quel traitement, je n’ai jamais tué personne ni eu le moindre problème . Paracétamol et aspirine ont dû tuer dix, cent, mille fois plus de patients dans le monde au cours de leur histoire …
    Ma réaction ne se veut nullement agressive, mais il m’est insupportable de voir la vérité ainsi détournée et travestie.

    Un ex-généraliste « de terrain ».

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