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Loi sur la prostitution, la leçon de Michel Foucault

Une nouvelle loi sur la prostitution est en discussion au Sénat, décidemment nous vivons une curieuse époque. Mais le philosophe Michel Foucault n’avait-il pas annoncé la tendance, toujours plus accentuée, de notre société à exercer un pouvoir sur le sexe tout en intensifiant tous les discours qui s’y rapportent. Nous sommes pris dans ce que Foucault avait nommé le dispositif de sexualité [Michel Foucault – La volonté de savoir, éditions Gallimard | Paris, 1976].Depuis deux siècles nous constatons une prolifération sans précédent des discours sur la sexualité, discours médicaux, psychologiques, moraux, juridiques. Explosion discursive qui produit des normes, stigmatise les écarts à la norme, offrant à la médecine, à la psychiatrie et à la justice tout un nouveau champ d’action, allant du soin à la punition.

La prostitution telle qu’elle est peinte dans les médias actuellement a un visage bien sinistre. À l’époque d’un Maupassant on en découvre un autre, moins glauque. Relisons la Maison Tellier, délicieuse nouvelle de cet auteur. « La maison Tellier où on allait […], chaque soir, vers onze heures, comme au café, simplement », ainsi que nous l’annonce la toute première phrase de la nouvelle. Un soir, pourtant une petite affiche signale que la maison Tellier est « fermée pour cause de première communion » au grand dam des habitués. Madame, la tenancière, ayant décidé d’emmener toutes ses filles à la communion de sa nièce à Virville. La scène de l’Eglise est tout à la fois comique et empreinte de grandeur triste : les prostituées pleurent bruyamment lors de la communion, se souvenant de leur innocence perdue…Ces Madeleines aux larmes contagieuses provoquent chez le vieux célébrant une extase qu’il assimile à une manifestation divine : une fois les hosties distribuées il les remercie de la qualité de leur piété.

Se souvient-on aussi de la Nana de Zola ou de la figure lumineuse d’une Liane de Pougy qui à la fin de sa vie entre comme novice dans le Tiers-Ordre de Saint-Dominique et devient sœur séculière. Liane de Pougy dont l’anecdote la plus célèbre est celle où elle déambule, absolument nue dans les couloirs d’un grand hôtel, précédée par sa servante portant un coussin sur le quel sont exposé ses rivières de bijoux. À l’époque on appelait ces femmes des courtisanes, maintenant on parlerait de prostituées de luxe. Et aujourd’hui on considère la prostitution comme l’expression du pouvoir masculin. Au temps des courtisanes, le rapport de pouvoir était inversé. Ce sont elles, ces courtisanes, qui exerçaient une véritable tyrannie sur les hommes. Le Comte Muffat s’abaissera à une humiliation inhumaine et une complaisance révoltante, contraint d’accepter les moindres caprices de Nana qui lui fait subir les pires infamies jusqu’à lui faire accepter la foule d’amants qu’elle fréquente.

Tout ceci pour dire quoi ? Que la sexualité, et sa manifestation la plus contestable, la prostitution resteront toujours une inquiétude dans notre Occident chrétien. Qu’elles ont leur part d’ombre et de lumière et que chaque époque les considère à sa manière. N’est-ce pas la dignité d’une société que d’assumer cette inquiétude plutôt que de la pourchasser et de ne lui laisser que des espaces obscurs ? Nous ne sommes plus capables aujourd’hui d’avoir le regard amusé et affectueux de Maupassant sur les prostituées de la maison Tellier. Aujourd’hui le carcan du dispositif de sexualité a enfermé la prostitution dans ce triste projet de loi. Comprendre la leçon de Foucault, c’est admettre que la prostitution existera toujours et qu’elle prend le visage que la société veut lui donner. Pénaliser le client, c’est mettre la prostitution hors la loi et par là l’inviter à nouer des parentés avec le monde de l’illégalité c’est à dire celui du proxénétisme, du crime, de la drogue.

Laurent Vercoustre

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