Flaubert a peint dans le plus célèbre de ses romans, les officiers de santé sous la piètre apparence du Dr Bovary. Officier de santé, dévoué mais inexistant, le Dr Bovary meurt sur un banc dans un soupir, peu après l’interminable agonie d’Emma. Inexistant mais aussi dangereux, le jour où il décide d’opérer le pied-bot d’Hippolyte, garçon d’écurie et simple d’esprit. On connaît la suite : trois jours plus tard, c’est la gangrène. Le Dr Canivet, vrai docteur en médecine, est appelé au chevet du pauvre Hippolyte qu’il ampute de sa jambe malade en s’exclamant : « (…) Nous sommes des praticiens, des guérisseurs, et nous n’imaginerions pas d’opérer des gens qui se portent à merveille »… Nous les docteurs en médecine !
Les officiers de santé avaient été créés pendant la révolution. Par le même décret-loi du 28 juin 1793, les révolutionnaires avaient en effet institué simultanément des « agences de secours » et des officiers de santé. Les « agences » avaient pour mission de distribuer les secours de la nation aux plus nécessiteux. Les officiers de santé avaient vocation d’exercer leur profession au plus près des populations miséreuses. Ainsi chaque agence devait missionner un officier de santé afin de « […] visiter à domicile et gratuitement tous les individus secourus par la nation, d’après la liste qui lui sera transmise par l’administration ». Ce décret-loi prescrivait à l’officier de santé « de faire tous les mois une visite générale chez les citoyens portés au rôle des secours ». L’officier de santé était par ailleurs « tenu de se transporter, sur le premier avis qui lui en sera donné, par l’agence, chez le citoyen indigent qui aura besoin de ses secours ». La révolution avait semé, sur le sol d’une société en pleine mutation, les germes d’un service public de santé et d’une médecine de proximité comme on dit aujourd’hui, ils ne devaient pourtant jamais éclore. Le pouvoir des docteurs en médecine a fini par s’imposer avec la loi du 30 novembre 1892, inspiré par le rapport d’Antoine Daniel Chevandier, député et docteur en médecine.
La loi Chevandier a mis fin à une guerre de cent ans qui opposait les docteurs en médecine et les pouvoirs publics. C’est à ce moment précis de notre histoire que les docteurs en médecine prennent le pouvoir et imposent leur monopole dans la distribution des soins.
Ces officiers de santé avaient pourtant représenté 41% du corps médical en 1847. Ils pratiquaient leur métier essentiellement dans les campagnes alors que les docteurs en médecine réservaient leur exercice à la clientèle aisée de la ville. Avec les officiers de santé, le problème des déserts médicaux que nous déplorons aujourd’hui était résolu. D’autant que les officiers de santé ne pouvaient exercer que dans le département où ils avaient obtenu leur diplôme.
Depuis la loi Chevandier, on est médecin ou on ne l’est pas. Il n’y a pas à l’intérieur du corps médical de degré hiérarchique, comme celui qui existait au temps de Flaubert avec les docteurs en médecine et les officiers de santé.
Cette configuration du tissu médical, tous ceux qui réfléchissent à notre système de santé l’ont sous les yeux. Ce qui est surprenant, c’est qu’ils n’ont pas conscience ou rarement de son profond retentissement sur le système. Ses effets de blocage sont multiples. Comment en l’état actuel, concevoir une répartition et un contrôle de l’offre de soins ? Comment envisager le chainage du parcours de soins, la synthèse de ses différentes étapes dans un système où chacun revendique son autonomie ? Comment, devant la segmentation des tâches médicales, ne pas percevoir l’impérieuse nécessité d’un maître d’œuvre ? D’un médecin qui ait pouvoir d’orienter, de coordonner les étapes du parcours de soins. D’orienter le patient, aujourd’hui désemparé et qui ne sait à quelle porte il doit s’adresser. Bref comment aujourd’hui peut-on concevoir d’organiser un système de soins en face d’un tissu médical où chacun se comporte comme un électron libre ?
J’avais cru comprendre que les révolutionnaires avaient dans un premier temps décidé de refuser l’exigence d’être docteur en médecine pour exercer la profession. L’idée aurait été que disposer d’un diplôme était une sorte de privilège réservé aux plus riches qui avaient les moyens de se payer des études longues. En abolissant les privilèges on aurait donc aussi aboli l’obligation d’être docteur pour exercer, comme, avais-je pu aussi comprendre, l’obligation d’avoir un diplôme pour être avocat. Après tout, disait-on, une mère (non diplômée) soigne bien son enfant. Mais c’est devant la prolifération des charlatans qu’on en serait venus à rétablir la nécessité du doctorat. Comme il y avait eu un gap de formation et que la nation avait besoin en urgence de médecins (Napoléon pour ses soldats), on avait créé en 1803 ce circuit court parallèle au circuit long du doctorat, et qui a subsisté jusqu’en 1892 : on n’en formait plus, mais ils continuèrent jusqu’au dernier à exercer. Vrai ou faux ?. Ce serait à cause de cela que les malades faisaient la différence en appelant Monsieur Bovary,l’officier de santé et Docteur Mr Larivière, thésé. Et après 1892, tout le monde étant thésé, tous les médecins sont depuis appelés docteur, contrairement aux docteurs en droit ou autres thèsés non médecins. Vrai ou faux ?
Bien sûr il faut un contrôle et une certification des acteurs de santé. ce que je voulais montrer en donnant un exemple pris dans l’histoire, c’est la nécessité d’une différentiation hiérarchique plus variée dans la profession médicale.
Les généralistes, c’est un peu Le Tiers Etat chez les médecins, les chefs de service hospitaliers représentant la noblesse et les spécialistes en ville correspondant au clergé. Les généralistes étant taillables et corvéables à merci, ayant des honoraires dérisoires les obligeant à faire beaucoup d’heures sup pour gagner correctement leur vie et n’ayant généralement pas d’employés sous leurs ordres.(…)
Les hommes politiques ne s’abaissent pas à rencontrer les généralistes et encore moins à manger avec eux. Ils ne connaissent rien de leurs problèmes et rien des solutions possibles et…de toute façon cela ne les intéressent pas. Ils préfèrent suivre l’avis des experts de leur parti politique, qui malheureusement…..ne sont pas intéressé par la médecine générale et de plus raisonnent sur des bases/connaissances fausses.(…)
L’immense richesse de la médecine générale, c’est que les généralistes sont très différents les uns des autres, malheureusement c’est aussi leur grand défaut quand ils doivent s’exprimer , car…. ils ont tous un discours très différent et des visions éloignées.
Quant à la jeune génération de médecins généralistes, elle représente notre avenir , cela fait 15 à 20 ans qu’elle n’est plus attirée par l’exercice libéral, que le pourcentage de ceux qui s’installe est ridiculement bas et que personne ne va leur demander ce qu’il faut changer pour qu’ils aient envie de s’installer ….que cela soit en libéral ou en salarié ! J’avoue qu’ignorer cette jeune génération correspond à un suicide collectif.
Merci pour votre commentaire. L’isolement et l’abandon des généralistes est c’est vrai un pur scandales, d’autant que ce sont eux qui sont l’avenir de notre médecine et non pas les spécialistes qui ont une offre de soins purement technique et inadaptée pour répondre aux grands problèmes de santé publique.
Un maître d’oeuvre? Quelqu’un qui oriente et aide le patient? Il me semble que cela s’appelle un médecin généraliste, et que nous en avons (encore) quelques uns. Mais à force de les malmener depuis des lustres les pouvoirs publics ont créé, et sont pratiquement les seuls responsables, des « déserts médicaux ». C’est curieux, tout de même, que même dans la presse professionnelle, personne, ou presque, ne se demande POURQUOI il n’y a plus de médecins ici ou là.
Merci pour cette réponse, eh oui vous avez parfaitement raison, le maître d’oeuvre, ça doit le généraliste. Mais ce généraliste, on ne lui donne pas les moyens de remplir son rôle de pivot de notre sytème de soins (voire mon précédent billet). On le laisse dans un grand dénuement aux marges de notre système. Il est temps de lui redonner le prestige et les moyens qu’il mérite.
Le corps des spécialistes soutient une offre de soins essentiellement technique. Ce qui fait leur prestige, prestige usurpé parce que l’essentiel des pathologies aujourd’hui ne relève pas d’une offre de soins purement technique.Nos responsables politique s’obstinent à mettre au centre du systèmes les hôpitaux (voire 2e billet sur l’hôpital), ce qui est absurde.
Les généralistes sont isolés par rapport au pouvoirs publics. Il n’existe pas, en effet, de bureau
en charge de la médecine générale au sein du ministère, alors que les généralistes une part très importante de l’activité de soins dans notre pays.
Merci cher confrère pour ce rappel historique sur les officiers de santé Y a t-il eu des études » scientifiques » sur leur apport en matière d’hygiène par exemple, pour diminuer la fièvre puerpérale ?
Je ne sais s’il y a eu des études sur cette question. mais c’était principalement à l’hôpital que sévissaient les épidémies de fièvre puerpérale et du temps de Semmelweiss, les femmes, à Vienne, étaient très conscientes de ce risque et il fallait les amener de force à l’hôpital.