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Complotiste, vous avez dit complotiste ?

En ces temps troubles, le mot a fait fortune. On en use et on en abuse. Il renvoie pourtant à une anomalie cognitive qui n’est pas vraiment simple à définir. Ce n’est que tout récemment, en 2017, que « complotiste » fait son entrée dans le Petit Larousse qui en donne la définition suivante : « se dit de quelqu’un qui récuse la version communément admise d’un événement et cherche à démontrer que celui-ci résulte d’un complot fomenté par une minorité active. » Il manque à cette définition trois précisions essentielles. D’abord le complot n’existe que dans l’imaginaire du complotiste, ensuite l’invention par celui-ci d’un récit alternatif à la version communément admise. Enfin les personnages mis en scène dans ce récit alternatif agissent dans leur intérêt et tiennent cachés leur action.

Le complotisme tel qu’on l’entend dans le monde médical dans cette période de crise sanitaire ne coche pas toutes les cases de cette définition. Le mot dans ce contexte a plutôt valeur d’anathème, c’est à dire de réprobation et de mise à l’écart. Dans ce billet j’examinerai les différents visages du complotisme qui répondent à la définition et je réserverai le prochain pour examiner le sens et la fonction du mot dans la crise du covid-19.

Dans le cadre du complotisme, je dirais ordinaire, on cite souvent celui qui prétend que l’alunissage d’Apollo 11 n’a jamais eu lieu, il s’agit d’une mise en scène de la Nasa, possiblement réalisée par Stanley Kubrick… Les thèmes complotistes sont souvent médicaux. Par exemple l’affirmation qu’il existe un remède contre le cancer mais que l’industrie pharmaceutique le cache pour continuer à faire des profits. Dans la même veine, un sondage de l’IFOP en 2018, révèle que 17% des personnes interrogées se disent « tout à fait d’accord » avec l’allégation selon laquelle « le ministère de la Santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins ».

Les attentats du 11 septembre 2001ont joué un rôle fondamental dans l’histoire du complotisme. C’est à partir de ces attentats que se sont développés les théorises du complot à large échelle. Tout le complotisme de ces vingt dernières années les ont pris comme modèle. Le récit complotiste prétendait que ces attentats avaient été perpétrés par le gouvernement américain pour justifier ses projets de guerre au Moyen Orient. La CIA aurait placé des explosifs dans les tours !

Chaque fois qu’est survenu une tragédie analogue au 11 septembre, on a vu ressurgir les thèses complotistes. Les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan ont montré l’imagination débordante des complotistes pour disqualifier le discours officiel à partir d’infimes observations. Dans l’attentat de Charlie Hebso, les rétroviseurs de la Citroën utilisée par les terroristes au cours de leur fuite apparaissent chromés sur certaines photos et noirs sur d’autres, ce qui devrait prouver qu’« on nous ment»…

Il y a le complotisme à l’américaine qui a engendré l’intrigant phénomène appelé QAnon. Q est le nom d’un mystérieux personnage ou d’un groupe d’extrême droite. Anon signifie Anonymous. Q finira par désigner les théories du complot aussi délirantes que sordides proférées par cette mouvance aux délimitations incertaines. Ces théories prétendent que les élites, en particulier des vedettes d’Hollywood et des personnalités du Parti démocrate (désignée comme l’État profond ou Deep State), sont coupables de pédophilie et prennent le sang des enfants pour en extraire une substance qu’elle considère comme une cure de jouvence, l’adrénochrome. Dans ce crime organisé seraient impliqués Hillary Clinton, Barack Obama, la famille Rothschild et des stars hollywoodiennes. En dépit de ces théories, qui ne tiennent pas une seconde le test de la réalité, les adeptes de QAnon sont maintenant disséminés dans le monde entier et la France n’échappe pas au phénomène. Le succès de ce mouvement tient sans doute au fait que chacun peut apporter ses propres théories. QAnon est un trou noir complotiste, qui avale toutes les autres conspirations. Il faut savoir aussi que cette mouvance est étroitement liée au trumpisme. Tout au long de son mandat elle a soutenu inconditionnellement Donald Trump qui lui-même a dialogué avec le mouvement à travers les réseaux sociaux. Les adeptes de QAnon sont convaincus que Trump a gagné l’élection américaine du 3 novembre 2020, et qu’elle lui a été volée. Rien d’étonnant, donc, qu’un bon nombre d’entre eux se soient retrouvés le 6 janvier 2021 aux marches du Capitole pour renverser un establishment qui représente tout ce qu’ils détestent.

Quels sont les ressorts psychologiques du complotisme. Sans doute, avant tout une manière de se distinguer, de se sentir original, voire unique. Le complotisme répond aussi à un désir de comprendre, de rendre intelligible le monde. Il donne accès à une vérité cachée, valorisante pour qui y croit. Certains voient dans le complotisme la faillite de l’éducation. L’école ou la famille n’ont plus le rôle structurant qu’ils avaient il y a encore une vingtaine d’années. Les canaux de transmission du savoir sont en crise. De ce fait des millions d’internautes vont sur internet pour regarder les sites fumeux sur le nouvel ordre mondial. L’imaginaire complotiste sort ainsi de l’ombre pour devenir mainstream. Il répond en définitive à une demande toujours présente d’éducation et de savoir scientifique. Le complotisme est en quelque sorte l’éducation politique lowcost d’aujourd’hui.

Il est aussi le symptôme d’une crise de la démocratie libérale. Nos politiques ont pris la mesure de la menace complotiste. En atteste la commission Bronner, lancée par Macron tout récemment, à qui on a donné le nom de « Les lumières à l’ère numérique”. Est-ce la bonne solution, j’en doute. J’y voit plutôt le reflexe bien français de créer une commission chaque fois qu’il faut faire face à un nouveau problème. Cette police de la vérité aux mains de l’État ne me dit rien qui vaille.

Laurent Vercoustre

2 Commentaires

  1. Bonjour Cher Confrère,
    J’ai un peu attendu pour commenter ce blog car faute d’autres commentateurs, ça tourne au dialogue.
    On parle tellement et à tout propos de complotisme que vous avez bien fait d’en parler.
    J’ai même vu dans je ne sais plus quelle publication, un authentique comploteur qui voulait prendre l’Élysée, être traité à longueur d’article de complotiste!
    Vous dites à peu près tout mais sans situer clairement les choses au départ, même brièvement. Pour parler de complotisme il convient d’abord de parler de complot
    En gros, un complot est une menée secrète, à un ou plusieurs, pour aboutir à un but parfois peu avouable parfois justifié ou dont la découverte avant son aboutissement pourrait être dangereuse pour les comploteurs.
    Le secret se justifie par la malhonnêteté du but, par le risque encouru ou par l’échec en cas de découverte prématurée.
    Il est des vrais complots. En mai 1958, les gaullistes ont véritablement comploté pour assurer le retour du général de Gaulle. Ici, vrai complot, vrais comploteurs.
    Il en est de faux, dénoncés par des adversaires. L’incendie du Reichstag a été une mise en scène des nazis pour dénoncer un faux complot communiste. Le faux complot des Généraux en 1939, qui a fait que Staline a entièrement décapité son État-Major, a été entièrement monté par les Nazis par l’intermédiaire d’un agent double. Ici, faux complots, vrais comploteurs mais à rebours: les comploteurs ne sont pas ceux qu’on croyait.
    Il y a des fumisteries, drôles ou malveillantes, que l’on peut à la rigueur rattacher aux faux complots, car il y a un ou des auteurs.
    Dans ces trois cas, celui qui dénonce est un dénonciateur, un lanceur d’alerte ou un justicier ; voir le célèbre « J’accuse ».
    Enfin, dernière catégorie de « complots », les guillemets s’imposent, Il en est d’illusoires, d’imaginaires, de délirants, ne reposant sur rien, sans comploteurs vrais ou faux, sans fumisterie ou canulard. Celui qui voit là des complots en voit où il n’y a rien à voir. Il ne voit donc pas; il croit ou croit voir. Là repose le vrai complotisme.
    Si dans les premiers cas on est dans le domaine de la certitude ou du doute, selon les éléments qu’on possède, dans le dernier cas, on est strictement dans le domaine de la croyance, personnelle ou collective, spontanée ou susurrée par un tiers.
    Le complotisme est donc une croyance totalement infondée comme toutes les croyances, plus ou moins étayée ou structurée mais sur les plans matériel et rationnel, basée sur le vide.
    On est là dans le raisonnement subjectif : tous les développements, tous les raisonnements peuvent être parfaitement logiques mais la base initiale est fausse ou inexistante. Un raisonnement vrai à partir d’une base fausse ou inexistante a peu de chances d’arriver à une conclusion vraie.
    Après ça, vous développez très bien les variétés de complotisme, dans le passé et à notre époque et , je le répète, vous le faites très bien.
    Mais il faut toujours avoir à l’esprit d’une part que le « complot » du complotiste repose obligatoirement sur du vide et, que d’autre part, la défense naturelle du vrai comploteur découvert est de clamer son innocence et de crier au complotisme, d’où l’intérêt d’être toujours rationnels et très prudents dans ces affaires.

    • Merci pour votre intéressant commentaire d’autant que c’est un peu la disette en ce moment. Certes j’ai omis de parler du vrai complot, il y en a eu tant dans l’histoire….Ce n’était pas ce que les lecteurs attendais.. Par contre je n’ai pas parlé du complotisme dans l’histoire et notamment pendant la Révolution période où le complotisme a pris un sens tout à fait particulier.

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