Tout récemment deux sages-femmes sont venues me demander une lecture critique d’un ouvrage intitulé Accouchement à domicile(AAD), guide pratique Elles avaient prévu un questionnaire très détaillé, auquel je devais répondre chapitre après chapitre. J’étais bien en peine de trouver une critique, rien ne manquait dans ce guide réalisé par un collectif de sages-femmes. Je félicitais donc les portes paroles de cet écrit qui témoignait d’une impressionnante somme de travail.
Mes compliments se doublaient d’un petit pincement au cœur. Je me demandais si une œuvre aussi achevée n’était pas au fond une façon de tendre la main vers « l’autorité obstétricale ». J’entends par autorité obstétrical les chefs de service des différents CHU. l’AAD est et a toujours été l’objet d’une certaine hostilité de la part de notre élite obstétricale.
La sécurité des patientes occupe la totalité du débat sur le lieu de l’accouchement. Je reviendrai sans doute sur cet aspect dans un prochain billet. Je voudrais maintenant examiner la question de l’AAD dans une perspective radicalement différente, une perspective où il est question d’éthique.
Hôpital ou domicile, c’est bien le choix d’un lieu qui est en question. Or dans l’Antiquité grecque, l’éthique ou l’êthos avait à l’origine le sens d’un lieu. Chez Hésiode et Hérodote, êthos désigne les lieux d’habitation des êtres humains. C’est dans ce sens très concret qu’apparaît le mot êthos, avant tout emploi philosophique. Dans le sens philosophique, il signifie tout lieu où quelque chose est proprement à sa place et chez soi. Et le fait d’habiter chez soi, en ce lieu, crée l’habitude, la manière d’être. On peut donc d’une certaine manière considérer l’éthique comme « une doctrine de l’êthos », c’est-à-dire comme l’effort pour penser l’être humain dans sa manière d’habiter, d’être chez soi dans le monde.
Les patientes qui souhaitent accoucher à domicile ont un certain nombre d’aspirations : besoin d’intimité familiale, d’indépendance, d’inclure les enfants dans l’expérience de l’accouchement. Il y a souvent dans leur choix d’accoucher en dehors de l’hôpital, une volonté d’affirmation, d’aller jusqu’au bout d’un chemin initiatique, d’éprouver un sentiment de puissance procuré par la réussite de ce défi. La maison est donc le lieu , l’êthos où elles peuvent réaliser leur accouchement conformément à leur désir.
Et l’hôpital ? Pour comprendre ce qui se passe à l’hôpital il est nécessaire de remonter dans son histoire. La configuration épistémologique de notre médecine reste encore à bien des égards très proche de « la clinique ». Qu’est que la clinique ? C’est ce moment, à la fin du XVIIIe siècle, siècle des Lumières, où surgit, dans un paysage médical se référant encore à la médecine d’Hippocrate vieille de presque deux millénaires, ou dissimulant son ignorance derrière un langage ésotérique tourné en dérision par Molière, un extraordinaire effort de pensée qui se donne pour objectif de décrire le réel, c’est-à-dire la maladie telle qu’elle se présente dans la corps du malade (1).La clinique c’est donc avant tout la rencontre avec le corps du malade. Dans cette rencontre l’hôpital a joué une rôle décisif. Parce qu’il a permis d’envelopper le malade dans un espace collectif et homogène. Cet espace collectif et homogène, espace de visibilité de la maladie n’a été possible qu’au prix d’une discipline exemplaire, ou comme dit Foucault d’un quadrillage disciplinaire. La discipline des hôpitaux qui dans l’Encyclopédie avaient pris le nom de « machines à guérir » surprenait les visiteurs. Elle égalait celle de l’armée.
La clinique c’est ce pur regard sur le corps du malade, ce regard qui ne dit que ce qu’il voit. L’objectivité́ ne s’est pas donnée spontanément. Pour parvenir à ce pur regard dont la seule tâche est de décrire dans un langage approprié les symptômes de la maladie, il fallait proscrire tout débordement (1). Il s’agissait de faire de l’homme un objet de savoir positif, de détacher la maladie de la métaphysique du mal à laquelle elle était, depuis des siècles, apparentée.
Aujourd’hui, même si beaucoup de choses ont changé, la patiente se trouve dans un système où elle n’existe que comme un cas médical assujetti à la toute puissance du pouvoir médical. Certes il y a mille façons d’atténuer les rigueurs de cette relation mais c’est bien le pouvoir disciplinaire qui la structure. Il est stupéfiant de constater que le patient hospitalisé n’est réellement devenu un sujet de droit et non plus un simple objet de soin depuis seulement la loi du 4 mars 2002. La loi Kouchner impose que «L’information données au patient soit accessible et loyale» et que «le patient participe au choix thérapeutiques.» ..
Résumons. En choisissant d’accoucher à domicile, les patientes affrontent une épreuve , épreuve qu’elles se sont données, épreuve mettant en jeu le rapport à elle-même, à l’enfant à naître, à l’entourage familial. Dans la réussite de cette épreuve, elles trouvent leur accomplissement. Réaliser leur accouchement dans l’environnement qu’elles ont choisi, a pour ces femmes valeur d’une épreuve de subjectivation et confère à leur expérience sa substance éthique.
Les patientes qui accouchent à l’hôpital rencontrent une forme de pouvoir disciplinaire. Le médecin affirme pleinement son pouvoir dans les limites de son service qu’il considère comme son territoire. Plutôt que d’invoquer un ordre disciplinaire, et pour en atténuer le sens coercitif on parlera aujourd’hui de protocoles. Ces protocoles imposent des examens ou des gestes systématiques : pose d’une perfusion, enregistrement cardiaque fœtale, échographie. Les rythmes qui scandent le temps hospitalier, visite du médecin, horaires de la distributions des repas, rituel du thermomètre à 6 heures du matin, horaires de visites rigides, reconduisent en plus estompée la vie disciplinaire de l’hôpital qui n’a jamais cesser de se manifester depuis son origine. Entendons-nous bien il n’est pas question de dénigrer le bien fondé de ces gestes thérapeutiques ou de surveillance, mais de montrer qu’ils sont prodigués par des soignants qui se complaisent dans des postures disciplinaires.
(1) Voici comment Michel Foucault formule ce nouveau regard du médecin sur le patient : « On a l’impression que, pour la première fois depuis des millénaires, les médecins, libres enfin de théories et de chimères, ont consenti à aborder pour lui-même et dans la pureté d’un regard non prévenu l’objet de leur expérience. » Michel Foucault, Naissance de la clinique, p169.
Merci pour ce billet! En effet, la disparition des petites maternités de proximité, plus conviviales et humaines que les usines à naissances des grands CHU, dont la saturation a occasionné des drames ces dernières années, incite de plus en plus de femmes à recourir à l’AAD, sous surveillance d’une sage femme, et non sans possibilité d’un transfert possible rapide en CH en cas de complications. Ce besoin de se réapproprier et devenir pleinement actrices de cet événement intime qu’est une naissance est rarement revendiqué pour une première naissance, mais davantage pour une deuxième ou troisième, quand les précédentes se sont déroulées sans problème. les parturientes faisant ce choix le font de façon réfléchie et ne sont certes pas des écervelées. Pour reprendre les paroles du député Lucien Neuville en pleins débats sur la loi Veil, « en matière de respect de la vie, les femmes n’ont pas de leçons à recevoir des hommes »
si l’on veut diminuer le risque de l’accouchement et plus particulier celui de l’AAD , il faut repenser l’organisation complète de l’Obstétrique , et surtout comment résoudre le risque en facilitant le transfert: il suffirait d’avoir une organisation telle que le secours en mer ou en montagne , facile à dire difficile à faire en pratique .
Merci à vous de dire la réalité de ce que nous pouvons faire (Prof Thoulon)
Même la hollande qui faisait l’AAD a abandonné
J espère que le concert de louange de ce blog ne va pas entrainer une pratique pour le moins dangereuse
Il est apaisant de lire un tel texte écrit par un gynéco – obstétricien. Diogene cherchait un Homme, on trouve ici un Médecin.
Les patients de plus en plus veulent être au centre du système de soins, et qu on tienne compte de leur avis. A l extrème certains veulent apporter leur pierre à l édifice en demandant l apport de techniques non validées par la science. En milieu ouvert c est beaucoup plus facile qu à l hôpital. Que le médecin ou la sage femme se voit intégré dans une équipe ou il y a des praticiens de sciences occultes est un risque de conflit et de recrutement. N oublions pas que la moitié des paramédicaux, et vingt pour cent des médecins environ ont été des antivax au moins au début avec des arguments irrationnels. Et on a eu bien du mal à faire évoluer les esprits.
Merci pour l’évocation de ce mode d’accouchement qui est bien malmené en général.
Pourtant il est une demande de patientes de plus en plus présente depuis la fermeture des maternités de taille petite ou moyenne.
L’AAD est basé sur l’essence même du métier de sage-femme : la physiologie.
J’ai souvent été épatée par les connaissances sur cette physiologie des sages-femmes d’AAD en comparaison aux sages- femmes hospitalières. J’en ai rencontré de très compétentes qui m’ont appris beaucoup, y compris des éléments utiles en hospitalier.
Parce qu’une maitrise parfaite de la physiologie c’est l’élément de base qui permet de la laisser s’exécuter sans entrave, de l’accompagner, et de savoir dépister précocement une évolution pathologique.
C’est aussi la capacité à adapter ses conduites à tenir à chaque patiente et chaque fœtus en tenant compte de leurs spécificités, et de les intégrer pleinement dans le processus de grossesse, d’accouchement et de suites de couches qui est bien d’avantage leur histoire que la nôtre.
Plutôt que de les diriger d’une étape à l’autre du parcours périnatal, respecter et renforcer les parents dans leurs choix responsables semble un bon chemin pour aider leur parentalité future,
Ancien obstétricien je trouve cet article désolant
L accouchement n a rien de banal car même quand tout va bien la fin est imprévisible
Quel obstétricien n a pas vécu des drames (suivi de procès et vu la bonhomie de la justice ,à domicile,j ose pas imaginer la fin)
En hollande derrière un AAD il y a toute une structure que nous n avons ni pouvons assumer
Redescendez sur terre le monde a changé ou alors dépénalisons la médecine et que la mort d’un ou des 2 patients n ai pas de conséquences
« L’accouchement dit normal est une notion a posteriori ; jusqu’à l’événement c’est une prévision. Tout accouchement comporte donc un risque et doit être surveillé » C’est ça au fond que vous vouliez dire.Certes la phrase intimide mais elle est beaucoup plus proche de Knock que d’une pensée profonde. » « Toute personne bien portante est un malade qui s’ignore » Elle fait partie en réalité de ces formules recuites qu’on trouve dans le prêt à penser anti AAD des ces obstétriciens aux idées courtes.
Généraliser la formule, vous ne faites plus rien.Un voyage aérien sans risque est une notion a postériori. Jusqu’à l’atterrissage, c’est c’est une prévision. Mais là n’est pas encore l’absurdité de cette mise en garde. Car au fond c’est quoi l’obstétrique moderne c’est un immense effort de dépistage et d’évaluation des risques.Certes le risque zéro n’existe pas, mais il existez tout une gradation des risques que vous ignorez dans votre raisonnement.
Merci d’aborder la question de l’AAD autrement que dans une logique d’opposition de principe, voire idéologique. Centrer la réflexion sur le sens, le pourquoi de ce choix des femmes, ce qu’elles en attendent et y puisent en profondeur, permet d’accueillir et de respecter, et d’accompagner … puissiez vous être entendu par vos pairs !
Encore une réflexion sensée, fouillée, intelligente qui permet de s’interroger, de réfléchir sur un sujet ô combien important.