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Blaise Pascal : l’improbable pari

Blaise Pascal (1623-1662)

C’est l’année Pascal. Ainsi en a décidé le Ministère de la culture à l’occasion du quatre centième anniversaire de sa naissance. Clermont-Ferrand, sa ville natale,  multiplie les commémorations et notre médiatique mathématicien, Cédric Villani, grand admirateur de Pascal, a été chargé au mois de janvier dernier de la conférence inaugurale sur ce grand homme.[1]

J’ai choisi de parler du pari, car, assez souvent, il reste le seul « morceau choisi » qu’on retient de la pensée de Pascal. L’idée est donc d’aller à sa rencontre à partir du pari. Que nous dit Pascal ? Si Dieu existe et si nous obéissons à ses commandements tout au long de notre vie terrestre, nous irons au paradis où nous vivrons une béatitude éternelle, les libertins et tous ceux qui auront préféré les divertissements à une vie pieuse connaitront l’enfer à perpétuité. Si je joue et si je perds ( Dieu n’existe pas) ce que j’ai perdu est modeste à l’égard de ce que j’aurais pu gagner. Autrement dit , si nous faisons le pari que Dieu existe, le gain est de l’ordre de l’infini et cette possibilité d’infini fait passer pour dérisoire ce que nous risquons de perdre ici-bas. Le pari déclencha un flot de critiques. Un obscure religieux, du nom de Duvillard se déclarait horrifié. Voici ce qu’en dit Voltaire : « cet article me paraît un peu indécent et puéril. Cette idée de jeu, de pertes et de gains ne convient pas à la gravité du sujet » [2].

Que représente ce pari dans l’œuvre de Pascal ? Il est à vrai dire radicalement contraire à l’esprit des Pensées. Expliquons-nous. Pascal est un personnage inclassable, « un effrayant génie » pour Chateaubriand. Chez Pascal coexistent deux personnes le scientifique et le mystique. Le scientifique est à mettre au rang des plus grands savants de l’histoire. Rappelons brièvement ses travaux sur  le vide. Pascal aime relever les défis, attiré par la controverses, il veut prouver l’existence du vide et tordre le coup à un adage datant d’Aristote qui prétend que « la nature a horreur du vide ». L’épisode du Puy de Dôme , le 15 novembre 1647, représente la consécration de ses recherches. Blaise Pascal avait confié à  Florin Périer, son beau-frère, le soin de mesurer la pression atmosphérique au sommet du Puy de Dôme , et là miracle, le niveau de la colonne de mercure descendit de neuf centimètres laissant derrière lui… le vide ! 

Pascal vit alors une intense période mondaine. Il fréquente les milieux libertins. Parmi eux, un de ses grands amis, le chevalier de Méré, interpelle Pascal au sujet des jeux de hasard. La question est  à peu près celle-ci : comment répartir équitablement  les mises de chaque joueur quand le jeu est interrompu et que les gains entre les joueurs sont inégalement répartis. En résolvant le problème, Pascal découvre une forme de rationalité jusque là méconnue, les probabilités. C’est donc  à Pascal que revient le mérite  d’avoir semé les germes  d’une science probabiliste qu’il appelait géométrie du hasard. Tout à fait conscient de l’importance de sa découverte qui allait occuper une place majeur dans le domaine scientifique, il adresse une dédicace à l’académie parisienne de médecine.

Voilà pour le scientifique, avant de le quitter n’oublions pas qu’il fut aussi un mathématicien d’une incroyable précocité, à 11 ans il aurait démontré la 32e proposition d’Euclide et à 16 ans il publie un essai sur les coniques. Il y a aussi sa contribution au calcul infinitésimal qui est indiscutable.

Venons-en au mystique. Au mois d’octobre 1654, retournement complet du personnage. Il dit alors éprouver « un grand mépris pour les affaires du monde et un dégoût presque insupportable  de toutes les personnes qui en sont » Pascal va alors vivre sa fameuse nuit de feu. Dans la soirée du lundi 23 novembre 1654, de dix heures et demi à minuit et demi environ il éprouve un moment d’extase extraordinaire,  moment qu’il consigne dans un texte qu’on nomme le mémorial. Le texte est une succession d’exclamations « certitude », « paix » « joie, joie, joie, pleurs de joie », le manuscrit s’achève sur cette décision : « Renonciation totale et douce. Soumission totale à Jésus-Christ et à mon directeur. » Il coud soigneusement ce document dans son manteau et le transfère toujours quand il change de vêtement ; un serviteur le découvrira par hasard après sa mort.

Que nous dit ce Pascal mystique. Il faut bien comprendre que les Pensées sont d’abord une apologie de la religion chrétienne et que le but qu’elles poursuivent est de conduire l’homme à ce Dieu chrétien. En temps qu’apologiste le premier geste de Pascal est de saper toute confiance que l’homme peut avoir en ses propres forces. « Qu’est-ce que l’homme dans la nature un néant à l’égard de l’infini un tout à l’égard du néant un milieu entre rien et tout ». Cette apologie de la religion chrétienne proscrit toute démonstration rationnelle de l’existence de Dieu, celle de Descartes irrite profondément Pascal. L’accès à Dieu est une affaire de cœur, c’est ce qui fait la profonde originalité de Pascal, lui qui a été si loin sur les chemins de la raison dans le domaine scientifique, ne lui concède aucun pouvoir dans la quête de Dieu. C’est tout le sens de la célèbrissime maxime : « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ». Voilà pourquoi ce pari qui met en équation la foi en Dieu est en définitive très surprenant chez Pascal car discordant avec toute son oeuvre.

Certains, vont même jusqu’à penser, qu’à travers ce pari, Pascal se moque en réalité de son propre raisonnement. Il dit aux libertins de son temps qui sont de petits rationalistes, puisque vous êtes incapables d’ouvrir votre cœur je vais prendre un raisonnement que vous pouvez comprendre. Au cœur de ce pari qu’on prend souvent au premier degré, il y aurait de l’ironie, et  même de la moquerie à l’égard de ceux qui ne pourraient comprendre que ce raisonnement-là.

J’allais oublier de vous faire connaître une des pensées de Pascal vers laquelle va ma préférence : «.Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou, par un autre tour de folie, de n’être pas fou.»



[1] Cette conférence est visible sur youtube, l’approche de Pascal par Villani est pleine d’intérêt.

[2] Voltaire 25e lettre philosophique.

Laurent Vercoustre

12 Commentaires

  1. Cher confrère,
    J’ai bien apprécié votre article qui m’a fait découvrir un Pascal que je ne connaissais que peu : philosophe et mathématicien, certes, mais aussi mystique sur le tard après sa « nuit de feu ».
    Vous écrivez :  » ce pari qui met en équation la foi en Dieu est en définitive très surprenant chez Pascal car discordant avec toute son œuvre. »
    Je me suis personnellement beaucoup intéressé à la psychologie jungienne, dans laquelle on trouve le concept particulièrement intéressant d’énantiodromie, qui est le renversement d’une posture en son contraire. Il me semble que c’est ce qui est arrivé à Pascal, mais à bien d’autres comme Liszt ou Charles de Foucauld qui eurent tout d’abord des vies dissolues puis finirent par basculer dans le mysticisme.
    En cela, la trajectoire de Pascal ne me parait pas incohérente, mais « énantiodromique ». Bien cordialement à vous.

  2. Vous m’avez fait découvrir un Pascal que je ne connais pas bien (souvenirs scolaires) . Il était un grand mathématicien et c’est peut-être pourquoi il croyait en Dieu et en cela il est en accord sans doute avec les auteurs du livre que j’ai lu dernièrement et qui m’a impressionné : « Dieu, la Science, les preuves » de Michel Yves Bolloré et Olivier Bonnasies aux éditions Trédaniel duquel il ressort clairement que Dieu est le Mathématicien Suprême, toute la « création » est mathématique et c’est pour cela peut-être que Blaise Pascal comprenait si bien Dieu. ‘

  3. Très heureux de voir un collègue passionné par Pascal . J’ai eu également souvent l’occasion de faire référence à ce grand penseur et plus particulièrement à l’esprit de géométrie et surtout celui de finesse à la base de la flexibilité sur laquelle nous avons beaucoup réfléchi au sein d’un groupe d’enseignants européens de MG. J’y fais également allusion dans un essai d’un autre ordre (« Macron et les assis » dans lequel toutefois Rimbaud à davantage la vedette..) . Merci d’apporter une touche de philosophie dans ce journal . Amicalement.

      • Merci pour votre aimable réponse. Ma culture , sans être nulle, n’est pas exceptionnelle . Mais je suis néanmoins un peu inquiet : mon essai est souvent taxé « d’intellectuel » , pourtant ce n’est pas Kant ou Spinoza . A propos de Pascal j’aime aussi me référencer à son concept des trois ordres (la chair , la raison et l’esprit si je ne trompe pas ) . Mais je me demande s’il faut considérer qu’il y a une hiérarchie ? Il y a de quoi y passer des heures passionnantes..Amicalement.

  4. Finalement, Pascal, sur la folie, était pertinent. Merci pour cette citation.
    Et Dieu, dans tout cela, aurait dit Chancel( qui ne l’a dit qu’une fois en réalité).

    • Merci Gérard, je suis heureux que Pascal ait quand même réussi à te plaire, grâce à cette citation sur la folie que j’aime beaucoup ( je m’en suis servi dans mon bouquin Augustin..), et que je n’avais pas mise sur le texte que je t’ai envoyé comme d’habitude avant publication.

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