Dans son livre Violence et circoncision Michel Hervé Bertaux-Navoiseau nous livre une vision de la circoncision aussi inattendue que terrifiante. Le maitre mot de ses analyses est le mot violence. Rien de particulièrement choquant au début de l’ouvrage, l’auteur décrit minutieusement le prépuce : chair à double face incluant un muscle périphérique le dartros, recouverte de peau à l’extérieur et de muqueuse à l’intérieur. Il insiste sur la riche innervation érogène du prépuce, plus dense nous dit-il que celle du clitoris. Pour lui clitoris et prépuce ne sont pas des organes génitaux mais des organes de pur plaisir. Il souligne que le mécanisme d’enroulement et de déroulement du prépuce est unique dans la nature.
Selon Bertaux la circoncision est la cause d’une impuissance progressive, du fait d’une double perte de sensibilité au niveau du gland et de l’absence de prépuce. Pour l’auteur le préjudice majeur de la circoncision est la suppression de la sexualité infantile. La première raison des mutilations sexuelles chez l’enfant est d’interdire à ceux-ci l’autosexualité, considérée comme immorale.
Bertaux soutient la thèse que la circoncision provoque un désir inconscient de vengeance. Il donne comme exemple le chanteurLeonard Cohen. Âgé de 9 ans à la mort de son père, Cohen raconte un curieux rituel « je suis allé dans le placard de mon père, j’ai trouvé un nœud papillon tout fait, et j’ai coupé une des ailes du nœud papillon, je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça » Pour le psychiatre Muriel Salmona, la mémoire traumatique inconsciente de Cohen, s’est vengée de son père en coupant le nœud papillon comme on avait coupé son prépuce. Il cite également Freud qui, dans le rêve du père mort, se venge clairement de son père.
Pour l’auteur la circoncision impose un ordre moral discriminatoire, il est discriminatoire parce qu’il prétend fabriquer des surhommes. Cette morale fondée sur une perversion de l’éthique « détournée en une moralité moralisante, prétend donner des leçons au peuple. »
L’auteur rapporte que, à la fin du 19e siècle, l’excision et la circoncision furent introduites dans le monde anglo-saxon pout prévenir l’autosexualité infantile. En réalité le phénomène excède largement le monde anglo-saxon. À la fin du 18e siècle est publié en Angleterre un livre qui s’appelle Onania. Ce livre est à l’origine de la croisade contre la masturbation qui va diffuser dans toute l’Europe jusqu’au milieu du 19e siècle. En France paraît le fameux livre de Tissot qui reprend le grand discours sur la masturbation. On décrit à cette époque des tableaux absolument extraordinaires d’adolescents masturbateurs au corps ravagé et décharné. La masturbation est alors considérée comme le mal absolu. Foucault signale que certains médecins et éducateurs du 19ᵉ siècle ont proposé la circoncision comme méthode prophylactique ou préventive contre l’« automatisme de la masturbation »
Plus loin dans son ouvrage, l’auteur va faire de la circoncision un principe de causalité de violences à l’échelle des populations. La folie collective des mutilations sexuelles, nous dit-il, prend en otage des peuples entiers. Les mutilations sexuelles fondent une identité collective. Identité collective qui est aussi discriminatoire. On cherche à fabriquer des surhommes par une prétendue supériorité culturelle par différenciation chirurgicalement imposée . « C’est un racisme artificiel, plus raciste que le racisme, un racisme à la puissance dix » affirme l’auteur. Il cite Spinoza qui avait attribué l’antijuifisme à la circoncision. « Les juifs ayant vécu à part de toutes les nations de façon à s’attirer la haine universelle et cela non seulement par l’observation de rites extérieurs opposés à ceux des autres nations mais par le signe de la circoncision. »
L’un des concepts les plus étonnant de l’auteur est de faire de la circoncision une cause de génocide. Il considère que seule la psychanalyse donne une explication à cette affirmation. Freud a en effet énoncé une théorie du racisme générée par la circoncision qu’il suffit de pousser à son terme pour expliquer la folie génocidaire. Pour l’auteur : « L’hypothèse selon laquelle nous pouvons chercher ici une racine de la haine des Juifs, qui génèrent des comportements si irrationnels chez les occidentaux, me paraît incontournable. La circoncision est inconsciemment assimilée à la castration. »[40] Or pour la psychanalyse l’inconscient assimile la partie au tout, c’est ainsi qu’une menace de castration est aussi une menace de mort. Exercée sur l’ensemble d’une ethnie, une menace de mort individuelle devient par addition une menace d’extermination du groupe tout entier. La circoncision pousse ainsi au génocide.
À l’appui de sa théorie l’auteur donne des chiffes :« Sur les vingt-trois génocides des temps modernes … vingt (87 %) ont impliqué des circoncis d’un côté au moins et cinq des deux côtés. … Cette forte corrélation est logique affirme l’auteur : « une atteinte volontaire au corps humain crée un sentiment de supériorité chez ceux qui la pratiquent. »
On perçoit tout au long du livre un parti pris passionnel de l’auteur contre la circoncision, accusée de « crime contre l’humanité », de « cancer qui ronge la planète », et plus encore de « pousse génocides ». Il affirme qu’« il n’y a pas de génocides entre peuples intacts » ou qu’il y a toujours « un côté circoncis ». Cette affirmation souffre de nombreuses critiques. Bertaux-Navoiseau s’appuie sur des concepts psychanalytiques (menace de castration, traumatisme collectif, narcissisme de groupe) pour expliquer l’augmentation du risque de génocide du fait de la circoncision. Il s’agit là d’une interprétation plus symbolique qu’empirique fondée sur la psychanalyse. Or la psychanalyse n’a pas pour fonction de rendre compte de phénomènes historiques complexes. Bref le discours de Berteaux-Navoiseau est original et ouvre sur la circoncision des horizons nouveaux. Mais il manque de recul et peut susciter des controverses en raison de son manque de neutralité académique.