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L’été des violences obstétricales

Ce fut l’été des violences obstétricales ! Elles m’ont tiré de la douce torpeur de mon premier été de retraité… J’apprends avec effroi que la profession à laquelle j’ai consacré ma vie est accusée de violences. Que se passe-t-il ? Que signifie cette agitation médiatique ? Ce billet a pour ambition de clarifier un débat où règne la confusion, et m’offre l’occasion d’exercer la gymnastique oculaire que j’ai promise aux lecteurs.

Regardons d’abord de près

Quelque chose ne va pas, quelque chose qui saute aux yeux et que nous ne voulons pas voir.

D’abord dans l’expression « violences obstétricales ». Les deux mots ainsi juxtaposés suggèrent que les obstétriciens et les sages-femmes infligent délibérément des souffrances à leurs patientes. Et pour valider ces accusations, on utilise le subterfuge grossier que voici : l’épisiotomie qui consiste à couper à vif le périnée d’une femme, la césarienne à ouvrir le ventre d’une femme, le déclenchement qui bouscule une échéance prescrite par la nature, sont des actes violents. Les obstétriciens qui pratiquent ces actes violents sont donc violents. Objectons qu’une violence faite à autrui n’est pas nécessairement malfaisante. Pousser violemment quelqu’un pour lui éviter d’être renversé par une voiture, c’est lui vouloir du bien. On ne peut juger de la moralité d’un acte violent, si on ne l’envisage pas du point de vue de sa finalité. Dissocier l’épisiotomie, la césarienne de leur finalité revient à les stigmatiser comme une agression à l’arme blanche. Désolé d’infliger aux lecteurs ces évidences navrantes, mais elles semblent échapper à ceux qui ont forgé l’expression « violences obstétricales ».

Ensuite, on peut se demander pourquoi cette révolte éclate aujourd’hui. S’agit-il d’un phénomène nouveau ou qui a surgi dans un passé récent ? Autrement dit assistons-nous à l’apparition, ou à la montée de la violence dans le domaine de la naissance. Nos obstétriciens seraient-ils soudain devenus violents ? L’obstétrique telle que je l’ai quittée il y a quelques mois était-elle plus violente que celle que j’ai connue au début de ma carrière ? Il y a trente ans la péridurale n’existait pas, aujourd’hui presque toutes les femmes en bénéficient. J’ai vu les sages-femmes s’investir dans de nouvelles techniques, l’acupuncture, la sophrologie, l’haptonomie. J’ai assisté à l’implantation de « salles natures » dans les maternités. Au Havre, nous disposons même d’un jacuzzi. J’ai été témoin tout récemment de l’introduction de l’alimentation pendant le travail. Tous ces progrès semblent indiquer au contraire un effort pour améliorer le confort des parturientes.
Qu’on me comprenne bien, il ne s’agit pas d’écarter d’un revers de main la souffrance qu’expriment les femmes aujourd’hui et d’argumenter qu’elles seraient devenues pusillanimes. Cette souffrance existe, il faut la prendre en compte. Il s’agit pour moi d’en révéler le sens véritable. Pourquoi les femmes, aujourd’hui, perçoivent, ressentent les agissements des médecins comme une agression. C’est cette question qu’il faut se poser.

Regardons maintenant de plus loin

En réalité l’absurdité et l’incohérence de ces accusions font sens à condition de les regarder autrement. Comme l’expression d’une idéologie. D’une idéologie qui prétend que Les médecins et leurs techniques confisqueraient aux patientes tout un vécu radieux et idyllique de la naissance. Il s’agit bien du procès des techniques médicales. L’objectif est de retrouver l’accouchement dans sa pureté matinale, pureté que la technique a corrompue. Retrouver l’accouchement à « l’état de nature », comme notre Jean-Jacques Rousseau rêvait de revenir à « l’homme à l’état de nature ». Malheureusement, c’est là un mauvais horizon. Pourquoi ? L’accouchement naturel ne peut être une alternative aux techniques médicales, parce que ce sont précisément les techniques médicales qui ont permis la naissance de cette idéologie. Aujourd’hui la conscience collective prévoit à toutes les grossesses un dénouement heureux, et en fait une règle de la nature. Or ce n’est pas la règle de la nature. Faisons un petit saut dans le passé, pas bien loin, revenons moins d’un siècle en arrière. Les chiffres montrent que la mortalité maternelle était 18 fois supérieure en l’année 1946 à celle de l’année 2000. Par ailleurs l’histoire de la médecine abonde de récits terrifiants sur les supplices vécus par les femmes pendant leur accouchement. Nous sommes horrifiés par les procédés chirurgicaux utilisés par nos confrères d’autrefois, nombre de femmes restaient mutilées à vie après un accouchement quand elles ne mourraient pas.Ce sont les progrès de la médecine qui ont ouvert un espace de rêverie autour de la naissance.

Doit-on pour autant se prosterner devant la technique comme devant un nouveau Veau d’or ?

Certainement pas. Nous sommes continuellement alertés par les méfaits du développement de la technique, des perturbations qu’il provoque sur notre écosystème, sur le climat. C’est sans doute ce contexte qui fait la fortune de l’idéologie de l’accouchement naturel.

La technique n’est ni bonne ni mauvaise disait le philosophe Heidegger. La technique révèle à la fois la puissance de l’homme dans sa capacité de transformer la nature, mais en même temps son impuissance à contrôler son développement. La technique n’est jamais une fin ultime. La technique n’est qu’un moyen. C’est pourquoi il est déraisonnable de se positionner pour ou contre la césarienne, pour ou contre l’épisiotomie, pour ou contre le déclenchement. Ce qui est une fin ultime, c’est le bonheur et l’épanouissement des femmes, ainsi que nous l’enseigne Aristote.

C’est pourquoi ce serait une erreur de réduire cette polémique à une stricte opposition aux techniques médicales. Nombre de femmes, d’ailleurs, ne sont pas prêtes à se laisser séduire par les sirènes de l’accouchement naturel. Il faut regarder les choses de plus loin encore pour comprendre la souffrance des femmes. La révolte qui porte la bannière des violences obstétricales est en réalité l’amorce d’un phénomène qui va ébranler notre vieil ordre médical bien au-delà du domaine obstétrical. De quel phénomène s’agit-il ? Ce sera l’objet de mon prochain billet.

Laurent Vercoustre

9 Commentaires

  1. Bonjour Monsieur,
    Je me permet de vous partager un billet intéressant sur la différence de « Violences », de « mal » entre la nature première d’un accouchement et celle d’une agression pendant ce même accouchement. L’un n’a rien à voir avec l’autre pourtant la conscience collective mélange encore trop les différents « maux » que l’on peut ressentir, qui ont pourtant des intensités et des origines (et donc des résorptions plus ou moins longues et plus ou moins difficiles) différentes. Mon propos n’est pas de dire que ces agressions sont volontairement effectuées par l’équipe médicale. Il faudrait se pencher sur leurs causes multiples, afin d’éviter des traumatismes graves pour les victimes et ainsi que la médecine évite de gâcher des vies.

    http://marieaccouchela.blog.lemonde.fr/2017/10/12/non-un-accouchement-nest-pas-en-soi-violent/

    En dessous de ce billet, vous pourrez lire également les commentaires qui ne sont ni sélectionnés avant, ni supprimés après parution. Permettant ainsi une discussion ouverte, et constructive, des échanges de point de vue nécessaires à l’évolution des pratiques et d’un système, vers une amélioration et une plus grande bienveillance.
    Cordialement.

    • merci pour votre commentaire, je connais Marie-Hélène et j’apprécie son action, je crois en effet qu’il faut faire la distinction entre violence et mal. La violence délibérée est rare, ce qui est à l’origine de la violence c’est le manque de recul des médecins sur leurs pratiques et leurs savoirs. Je crois fondamentalement que les études médicales sont en grande partie responsables. La formation des médecins aujourd’hui, je l’ai dit souvent dans d’autres textes, tient de la maltraitance intellectuelle et psychologique. On parle souvent de la souffrance des étudiants en médecine; …En réalité ceux qui souffrent seront les bons médecins ,ceux qui ne souffrent pas deviendront des médecins dangereux et violents.

  2. Vous n’avez pas lu mon deuxième article, tout le sens de cet article c’est de dire que les femmes sont capables de penser par elles-mêmes et de décider de leur sort. Seulement je me bats aussi pour cette revendication ne soit pas confisquée par un certain discours féministe primaire qui fait offense les femmes et en définitive affaiblit leur légitime revendication.

    • Merci pour votre message, je connais Marie Hélène Lahaye depuis longtemps et je l’estime beaucoup, nous avons échangé tout au long de cet été des violences obstétricales; je lui ai témoigné ma reconnaissance pour avoir fait bouger les lignes. Je mène le même combat qu’elle, seules diffèrent nos stratégies. Je dis dans mon billet suivant que les femmes doivent pouvoir parler d’égal à égal avec leur obstétricien doivent pouvoir choisir leur mode d’accouchement, je suis probablement le seul médecin hospitalier à militer pour l’accouchement à domicile.

  3. Chère madame,
    Vous ne m’avez pas compris, je dis que la souffrance des femmes existe, qu’il faut la prendre en compte, tout ce que vous dites est vrai. J’essaie simplement d’expliquer qu’il ne faut nécessairement mettre en cause la technique, ce sont bien les médecins qui l’utilisent sans tact et avec brutalité qu’il faut mettre en cause.

  4. Avec patience, j’attends votre prochain billet sur ce sujet . Malgré le terme inapproprié de violence obstétricale , se révèle la réalité de situations vécues par un nombre non négligeable de femmes , pas uniquement en pratique obstétricale mais en gynécologie médicale , en pratique d’échographie …
    La plupart des témoignages ne remettent en cause les actes nécessaires …

    • En effet, comme je le dit nombre de femmes ne contestent pas l’efficacité de la technique, ce qu’elles veullentc’est qu’on leur demande leur avis et qu’on les respecte.

  5. Cher Docteur, il ne s’agit nullement de technique – performante, oui – mais du la façon de traiter la parturiente comme « objet », on arrive avec scalpel, ciseau, sans prévenir, sans dire une parole, une explication – on traite un problème infectieux non une personne humaine ! C’est ce que j’ai ressenti pour ma part !

    • Chère madame, vous avez parfaitement raison et c’est précisément cela que je traiterai dans mon prochain billet!
      Je suis heureux de constater que vous avez anticipé sur le véritable sens de ces violences obstétricales.

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