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Chirurgie ambulatoire ou la nécessaire déconstruction de l’hôpital

« Chirurgie ambulatoire, jusqu’où peut-on aller ? » titre article du QDM du 29 janvier. On apprend que les « Sages » de la rue Cambon déplorent dans leur dernier rapport sur la Sécu le « retard persistant » de la chirurgie ambulatoire en France. Pour la directrice générale de l’offre de soins Cécile Courrèges l’a confirmé : « la chirurgie ambulatoire est l’une des dynamiques de transformation de notre système de santé les plus significatives ». 
Madame Courages fait confiance à la chirurgie ambulatoire pour transformer notre système de santé. Je ne suis pas aussi optimiste. Il ne suffit pas de se laisser porter par cette dynamique pour changer le système. Il faut une politique volontariste et je soutiens ici que cette politique passe par une déconstruction de l’hôpital public.

Je l’ai dit, l’hôpital ne souffre pas tant de la T2A mais beaucoup plus de son hétérogénéité. À notre hôpital, on demande tout. Cet hôpital Protée n’est plus identifiable, il n’a pas de principe d’unité. Il ne fait plus sens dans le système de soins. C’est pourquoi, à l’intérieur tout est flou, tout est faut. Hiérarchie médicale est mal définie, prolifération de discours d’une stupéfiante naïveté pour ne pas dire d’une affligeante niaiserie, attestent de cette perte de sens. Le temps n’est-il pas venu d’une déconstruction de l’hôpital public ?

Il ne faut pas oublier que l’hôpital est un concept. Un concept en perpétuel décalage avec la réalité comme le dit savamment Jean Lombard : « L’hôpital est la réalisation d’un concept qui paraît atteint d’une maladie de la temporalité, qui ne renvoie jamais à l’actuel, qui, dans une sorte de mouvement infini du soin que l’homme prend de lui, n’exprime tour à tour que le futurisme ou l’archaïsme. Il est déchiré entre une radicale et presque incrédule édification du neuf et la déception laissée par la phase précédente, toujours courant après un objet qui lui-même se modifie et fuit. »

Nous vivons encore largement sur une représentation de l’hôpital qui date du XVIIIe. Or à cette époque, le problème de la taille des hôpitaux, de leur répartition dans l’espace urbain, de leur architecture, ont suscité une réflexion intense à laquelle les médecins ont pris part, au point que Michel Foucault a pu parler « de techniciens de l’espace ». Il nous est difficile d’imaginer à quel point les problèmes d’architecture hospitalière ont stimulé les imaginations à cette époque. Le moteur de cette effervescence a été la fameuse affaire des hôpitaux. C’est ainsi qu’on appelle toute la polémique qui va se développer à partir de 1772 après le troisième incendie de l’Hôtel-Dieu de Paris. Il s’agit de reconstruire l’Hôtel-Dieu et de concevoir un ou plusieurs grands hôpitaux parisiens pour le remplacer. De 1772 à 1788, plus de deux cents plans de réforme, plus de cinquante projets d’architecture allaient ainsi être produits, chacun jurant de faire de l’hôpital une parfaite « machine à guérir ».

Il faut aussi rappeler dans quel contexte est née la chirurgie ambulatoire. C’est au Québec en 1988, que le concept a pris forme sous le nom le nom de « déshospitalisation ». La chirurgie ambulatoire a été au centre d’une vaste réforme du ministère de la Santé. Les Québécois ont fait de cette “déshospitalisation” le principe de la transformation de leur système de santé dans un contexte de diminution des dépenses publiques. L’idée était d’écourter et même d’éviter tous les séjours en milieu hospitalier, en donnant davantage de services au plus près des milieux de vie ou à domicile.  L’objectif était de faire passer l’hôpital d’un statut d’établissement autonome à celui de composante élémentaire d’un réseau de santé. Ce modèle fait écho aux idées que j’ai développées dans mes précédents billets. Il invite désormais les hospitaliers à penser leur institution autrement. Le virage ambulatoire entrepris au Québec a essaimé dans de nombreux pays. Pourtant la notion de virage ambulatoire apparaît un peu tardivement dans le paysage hospitalier français. En effet, si la progression de l’activité ambulatoire est significative en France sur les dix dernières années, notre pays continue d’accuser un certain retard par rapport aux autres pays de l’OCDE. À l’étranger (Hollande, Belgique, Grande-Bretagne, États-Unis, 80 % à 90 % des interventions sont réalisées selon ce type d’hospitalisation, contre 45 % en France, en 2014.

Sur le problème de l’hôpital, on peut déplorer les approches convenues et inopérantes qui circulent dans la totalité du champ intellectuel, si tant est qu’il existe. On peut en douter quand on entend l‘analyse du Professeur Grimaldi qui se range derrière l’opinion ambiante : l’hôpital va mal parce qu’on veut le faire fonctionner sur le mode de l’entreprise. On ne peut s’arrêter à ce lieu commun. La crise de l’hôpital demande un examen approfondi. Répétons-le, l’hôpital est un concept, il mérite un travail conceptuel. Suivons l’exemple des hommes du XVIIIe siècle qui nous ont donné l’exemple d’une réflexion approfondie sur les espaces médicaux.

Je ne suis pas le seul à suggérer une déconstruction de l’hôpital. Sur ce point, l’économiste de santé Frédéric Bizard fait des propositions très précises. Il nous propose une nouvelle typologie d’établissements avec trois types de structures hospitalières distincts :
– Type 1, ou tête de réseau : c’est le lieu des services à fort contenu technologique, avec un plateau technique et des équipes de haut niveau.
– Type 2, ou centre de moyen et long séjour : les établissements de type 2 seront centrés exclusivement sur les soins de suite et les soins de moyenne et longue durée. Ils ne disposeront pas de plateaux techniques.
– Type 3, ou établissement ambulatoire : équipé d’un plateau technique performant, sans lit d’hospitalisation complète, il pourra être ouvert uniquement la journée. Centre de consultation, d’éducation thérapeutique et de chirurgie ambulatoire, un large spectre de professionnels de santé y aura accès.

Il est temps d’écourter le douloureux et pitoyable naufrage de l’hôpital public. Nos responsables politiques ne peuvent plus faire l’économie d’une réflexion approfondie et d’une transformation radicale de l’institution.

Laurent Vercoustre

8 Commentaires

  1. « La solution est à l’extérieur du carré » comme dans l’énigme du carré magique. La solution de l’hôpital est à l’extérieur de l’hôpital : réseaux de soins et recours « ponctuel » au plateau spécialisé par la médecine extérieure. Mais cela veut dire communiquer, se connaître, échanger rapidement les infos utiles, se faire confiance. Or le système de soins en France est un puzzle constitué de pièces qui ne s’emboîtent pas. Réorganiser l’hôpital, c’est forcément réorganiser tout le parcours de soins, en particulier pour la chirurgie ambulatoire (gestion du retour à domicile, de la douleur, du repérage des complications, etc). Amicelement.

    • Merci Pierre-Yves pour ta contribution. « La solution de l’hôpital est à l’extérieur de l’hôpital », j’aime beaucoup ta formule.C’est en effet à l’extérieur de l’hôpital que les grands enjeux de santé publique nous pressent d’agir. L’hôpital devrait être, pour le dire un peu abruptement, le lieu où échouent les échecs de la prévention. Ce qu’on doit mettre au coeur du système comme tu le dis, ce sont les réseaux de santé, c’est à dire des organisations qui gèrent le parcours de soins. Bref l’hôpital, et son offre essentiellement technique devrait être bout de la chaîne. Amicalement.

  2. De nombreux voyages d’études ont eu lieu au Quebec dans les années 80. La deshospitalisation y a été accompagnée de la mise en place de centres de santé offrant jusque tard dans la nuit la possibilité de soins, de petite traumatologie, de biologie et d’imagerie, sans avance de frais. Sans oublier des centres d’appel avec des paramédicaux 24/24, disposant d’algorithmes capable de résoudre de nombreux « petits » problèmes sans intervention médicale immédiate.
    Dans le meme temps, en France, la CNAM et les syndicats médicaux ont organisé la mise en place du secteur 2, entrainant un surcout important pour les patients, et l’aggravation du numerus clausus, qui explique en grande partie, du fait du vieillissement massif du corps médical, la quasi absence actuelle de présence médicale en ville après 20h.
    Vous faites comment, actuellement, pour avoir une écho abdominale, faire lire un ECG ou une lame de NFS, refaire un pansement, après 20h ?
    Rien ne sert d’accuser les hôpitaux, qui font comme ils peuvent dans un environnement difficile, nous payons l’inconséquence des dirigeants de l’époque.

    • Merci pour votre réaction. C’est bien les les dirigeants que je mets en cause et que j’interpelle dans mon billet, les hôpitaux ne sont que les victimes de leurs inconséquences!

  3. voir les EPADH (carence de personnel)
    moyens séjours (liste d’attente importante)
    que dire de la campagne (désertification globale)
    l’alternative sera difficile de mettre en place

  4. Bonjour, et merci pour votre blog.
    On peut tomber d’accord sur l’objectif final, celui d’un hôpital structuré pour des missions plus limitées à la prise en charge de cas nécessitant un plateau technique, ou des cas complexes nécessitant des discussions multidisciplinaires, en favorisant l’ambulatoire, etc. Par contre le terme « déconstruire » ne convient pas. La majorité des PH je crois (c’est le cas au CH où je travaille, à Montauban) considère qu’il a trop de lit, que son énergie et ses compétence sont mal utilisées tournées (détournées) vers de la prise en charge non programmée, de personnages âgées présentant une dépendance aigüe liée à une pathologie plus ou moins banale empêchant le maintien à domicile, engorgeant les urgences et empêchant toute fermeture de lit pour laquelle, en principe, nous spécialistes sommes totalement d’accord voire demandeurs. Le problème est que l’alternative n’existe pas en France. Impossible de prendre en charge une grippe ou une pneumopathie,à domicile pour une personnage : pas d’ide libérales disponible en urgence, pas de permanence d’ide le WE ou la nuit, quant à la permanence médicale, mieux vaut ne pas en parler! Mettons en place des soins dignes de ce nom, à domicile, pour les personnes dépendantes, nous fermerons nos lits vides (avec plaisir), nous nous recentrerons sur notre activité de prédilection (par exemple pour nous neurologues, phase aigue de l’avc…).
    Le problème n’est pas la déconstruction de l’hôpital, c’est la construction de l’alternative.
    NB : je partage tout à fait votre description de la « confusion » hospitalière

    • Tout à fait d’accord pour la construction de l’alternative, mais justement c’est un processus de déconstruction qui stimulera la cette alternative. Pour les personnes âgées ce sont les réseaux de soins qu’il faut mettre en place, d’ailleurs les premiers réseaux de soins ont été créé autour des personnes âgées…

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