3

Téléconsultation, complémentaires, attention danger !

Le Quotidien du 5 mars affichait à sa une, en grand titre : « Téléconsultation, l’assaut des complémentaires ». Derrière cette collusion se cache un formidable enjeu. Pour le comprendre il faut mesurer les forces en présence. La téléconsultation représente bien plus qu’une simple nouvelle modalité de consultation. Elle annonce une véritable révolution du monde médicale. Elle favorise un nouveau type de rapport entre le patient et le médecin. Un nouveau type de rapport qui va faire de plus en plus de place à la loi du marché. En effet la téléconsultation va démultiplier les possibilités des choix du médecin par le patient.
L’introduction de mécanismes de marché dans la santé est aujourd’hui inévitable. Parce que, qu’on le veuille ou non, la médecine est aujourd’hui entrée dans l’ordre de l’économie. Et tous les pays occidentaux cherchent à introduire des dispositifs de type marchand dans leur système de santé. Mais ils le font de manières très différentes. Ainsi, les Anglais ont institué dans leur système, qui est fondamentalement une médecine d’État, un marché des soins encadré.Pour le dire simplement, les généralistes achètent aux hôpitaux, qu’ils mettent en concurrence, des gammes de soins. Le quasi-marché introduit en Angleterre ne met en péril la gratuité et à l’égalité de l’accès aux soins.

L’introduction de mécanismes marchands dans les systèmes de santé est une nécessaire évolution, mais il ne faut pas se tromper dans la manière de faire jouer la concurrence.

Il faut considérer comme une véritable catastrophe le développement de la télémédecine sous l’impulsion des complémentaires. Si nous continuons dans ce sens nous irons nécessairement vers une médecine inégalitaire. Du fait de leur incapacité maîtriser nos dépenses, les pouvoirs publics entretiennent l’illusion qu’ils vont trouver dans les complémentaires l’instrument d’une régulation dont ils sont incapables. 98% de notre population fait appel à une couverture assurantielle complémentaire privée. Si bien que notre couverture par les assurances complémentaires est la plus étendue au monde. L’économiste de santé Frédéric Bizard dénonce fermement cette évolution insidieuse. Par ailleurs, le rôle des complémentaires est pervertie : en remboursement le ticket modérateur, les complémentaires annihilent précisément leur fonction de modération des dépenses. Alors que d’autre part, elles n’assurent pas un remboursement substantiel des frais liés à l’optique et aux soins dentaires.

Plus préoccupant, les complémentaires ouvrent la porte aux réseaux de soins. Frédéric Bizard nous met en garde contre la tentation des réseaux de soins. Confier aux assureurs le financement et l’organisation des soins conduit inéluctablement à la hausse des coûts et à des inégalités. Les États-Unis et les Pays-Bas témoignent de cette inéluctable dérive. L’expérience néerlandaise est sans doute la plus démonstrative de l’échec des assurances car elle ne s’inscrit pas dans le prolongement d’une tradition comme celle des États-Unis. Elle a été, en effet, construite de toute pièce, à partir d’un point de vue purement théorique, inspiré par le concept de « concurrence dirigée » proposé par Alain Einthoven. Or ce concept n’a pas fait ses preuves, une fois mis en pratique.

Le principal reproche de Frédéric Bizard, à l’adresse des réseaux, est leur incapacité à s’inscrire dans la logique de santé du XXIe siècle. Leur horizon de pensée reste celui du XXe siècle qui se donne pour objet la gestion du risque avéré : le risque est considéré pour lui-même, et n’est pas rapporté à des facteurs de risque, ce qui occulte toute approche préventive. La médecine du XXIe siècle s’affirme de plus en plus comme une médecine d’anticipation, capable d’accompagner les individus tout au long de leur cycle de vie.

On s’émeut aujourd’hui de l’assaut des complémentaires santé sur la télécommunication. Pourtant déjà au mois de mai 2015, l’assureur AXA avait créé la surprise en annonçant l’ouverture d’un service de consultations médicales par téléphone 24 h sur 24 pour les quelque 2,2 millions de clients de sa complémentaire santé collective. Didier Weckner, directeur délégué d’AXA avait par ailleurs affirmé que ce service de consultations par téléphone correspondait à un réel besoin du « client » : « Les profils des assurés recourant à ce service sont variés, villes, déserts médicaux, appels de jour comme de nuit ». Il ajoutait : « La téléconsultation par téléphone est une première étape. La vidéo est très demandée par nos assurés ». Comme on pouvait s’attendre le nouveau service avait reçu un accueil glacial des centrales syndicales et provoqué l’inquiétude de l’Ordre des médecins.

Mais ce qui devait arriver est arrivé : le public s’est fait doubler par le privé. Comme toujours, les pouvoirs publics se sont contentés de légiférer, laissant un besoin énorme insatisfait. C’est ainsi que l’article L6316-1 du code de la santé publique issu de la loi du HPST ( 21 juillet 2009) précisait dans son dernier alinéa : « La définition des actes de télémédecine ainsi que leurs conditions de mise en œuvre et de prise en charge financière sont fixées par décret, en tenant compte des déficiences de l’offre de soins dues à l’insularité et l’enclavement géographique. »

Sur le terrain la télémédecine n’a pas décollé ! C’est pourquoi on a assisté à un contournement du système par des start-ups. Certains entrepreneurs ont astucieusement saisi l’opportunité du « télé-conseil médical », qui dépend de la Directive Européenne sur le commerce électronique, bien moins régulée que le décret de télémédecine.

Le problème est que chez nous la suprématie du paiement à l’acte crée les conditions d’une impasse économique de la télémédecine, le paiement à l’acte ne permettant pas ce développement. Seules de nouvelles modalités de paiement, comme la capitation, permettront le décollage de la télémédecine et de la télésanté au domicile des personnes âgées et des patients chroniques. Introduire le paiement forfaitaire devrait permettre aux médecins de ville de décider de mettre en œuvre de nouveaux services sans être freinés par la question de savoir si –et surtout quand– la prise en charge sera acceptée par l’Assurance maladie.

Laurent Vercoustre

3 Commentaires

  1. C’est très bien, mais cela ne justifie pas vraiment le paiement forfaitaire qui semble votre dada.
    Si on veut favoriser l’investissement, la modernisation, l’emploi en libéral, il faudrait plutôt simplifier, libéraliser plutôt que d’encadrer encore plus.

  2. Cher confrère, merci de prendre connaissance de la plateforme MEDVU.fr ( public ) et pro.medvu.fr ( site pour les professionnels ). Nous serions ravis d’avoir votre opinion sur ce service conceptualisé par des médecins libéraux et qui permet au patient le règlement en ligne des honoraires avec son ou ses médecins traitants dans le cadre du Parcours de soin ( cf votre dernier paragraphe ). Bien confraternellement

Répondre à Dr Eric Fonta Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec * Pour information, Laurent Vercoustre ne répondra pas aux commentaires anonymes.