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Le bing-bang du Dr Pelloux

Le Dr Pelloux, dans son dernière interview du QDM à propos de la crise de l’hôpital proclame : « Il faut un bing-bang politique ». Le Dr Pelloux aime les formules, je préfère la réflexion. L’hôpital est en fin de vie, sur ce point nous sommes d’accord. Nous divergeons sur les causes de son interminable agonie.

Je ne veux pas jouer les prophètes, pourtant sur cette question, j’ai consacré un livre en 2009 et rédigé quelques articles dans différents journaux et bien sûr dans mon BLOG du QDM (1). Et l’on pourrait bien réunir ces écrits sous le titre : « Hôpital, chronique d’une mort annoncée ».

Permettez-moi Dr Pelloux de vous faire quelques remarques. Vous martelez après beaucoup d’autres : « C’est la faute à la T2A ! ». La T2A dans la crise de l’hôpital a la fonction de bouc émissaire. Quand ça va mal, il faut un coupable. Le philosophe René Girard a théorisé le phénomène du bouc émissaire. Plutôt que d’affronter les sources réelles d’un problème, la société se rallie à une opinion simpliste. À condition qu’elle soit plausible. La T2A convient bien, d’autant qu’elle désigne les administratifs comme les grands coupables. Pourtant c’est une fausse évidence. À laquelle on pourrait opposer une vraie évidence.

Les entreprises, les cliniques privées ne sont-elles pas autant, sinon plus, soumises aux contraintes de productivité ? Je ne doute pas qu’on souffre aussi dans l’entreprise. Pourtant c’est bien la souffrance de l’hôpital qui occupe aujourd’hui l’espace médiatique.

Vous nous dites : « La France est en train de finir de casser ce qui fait une partie de son rayonnement international : son système de soin basé sur l’hôpital public … ». Un système de soins basé sur l’hôpital, mais cher confrère, le drame du système : c’est précisément l’hospitalocentrisme !

Vous ajoutez : « les médecins passent un tiers de leur temps à coder ». C’est à se demander si vous codez vous-même vos actes. Du temps où j’étais à l’hôpital, je ne me souviens pas d’avoir consacré le tiers de mon temps au codage.

Votre big-bang devrait servir à quoi ? À vous écouter, eh bien tout simplement à revenir au bon vieux temps de l’hôpital du 20e siècle, au temps béni où les médecins pouvaient, comme vous le dites « être humains ». Humain, voilà un mot qu’on emploie souvent bien légèrement. Son effet racoleur est à la mesure de son insignifiance. Qu’est-ce que l’humain… ? Il faudrait interroger vingt siècles de philosophie pour répondre à cette question.

Ce n’est pas un retour vers l’humain qu’il faut viser, c’est avant tout un retour au droit. L’hôpital est devenu un espace de non-droit aux valeurs, à toutes les valeurs. Ce qui permet aux valeurs de s’épanouir, c’est le droit. L’hôpital ne souffre pas de la rigueur de ses règles, mais de leur floue ou de leur absence. C’est le droit qui garantit les libertés de chacun. Or, la liberté disait Montesquieu, « ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir ».

La fonction du droit est de garantir cette liberté. C’est bien l’impossibilité, dans notre hôpital, de faire ce que l’on doit vouloir faire que souligne le Professeur Halimi : « Nous constatons que, contrairement à ce que l’on peut penser ou à ce qu’on veut nous faire croire, ce ne sont pas les personnels les plus fragiles qui font l’objet de harcèlement. Ce sont les personnels les plus professionnels, ceux qui essayent de bien faire malgré le système mis en place. »

Or si le droit ne pénètre plus l’hôpital, c’est que, dans sa forme actuelle, il a lui-même perdu sa légitimité. Il est découplé des réalités de santé publique. De ce découplage résulte une perte de sens. Cette perte de sens qui touche sans doute l’ensemble de notre médecine trop accaparée par la technique, prend sa forme la plus exacerbée, à l’hôpital. Souvenons-nous de l’émission « Au ventre de l’hôpital » qui a beaucoup ému l’opinion, on voit une jeune anesthésiste répéter compulsivement :« ça n’a plus de sens, ça n’a plus de sens… »

La souffrance des soignants à l’hôpital est devenue intolérable, il faut leur venir en aide avec sérieux et responsabilité. Ce n’est pas en ravivant des passions rancies ou en flattant les archaïsmes de pensée, ce n’est pas avec une rhétorique creuse que nous avancerons. C’est au prix d’une réflexion patiente, studieuse et dépassionnée, toute tendue vers la quête du sens. Dans quel monde vivons-nous ? Quel est le sens, quelle est la place de l’hôpital dans ce monde nouveau ?

(1)
Livre :
– Faut-il supprimer les hôpitaux ? L’hôpital au feu de Michel Foucault ? L’Harmattan 2009.
Articles
– http://www.liberation.fr/debats/2017/10/04/l-hopital-public-ce-grand-malade_1600872
– http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1560125-suicides-d-infirmiers-bureaucratie-ce-qui-tue-l-hopital-c-est-le-regne-de-la-betise.html
– http://blog.laurentvercoustre.lequotidiendumedecin.fr/2018/01/22/lhopital-ou-le-r…-de-la-confusion/
– http://blog.laurentvercoustre.lequotidiendumedecin.fr/2017/10/16/lhopital-en-quete-de-sens/ ‎
– http://blog.laurentvercoustre.lequotidiendumedecin.fr/2017/10/10/au-ventre-de-lho…ne-emission-choc/ ‎

Laurent Vercoustre

2 Commentaires

  1. je pense qu’appliquer aux hôpitaux, cliniques les méthodes de gestion des entreprises notamment les normes de qualité est une bêtise, qui effectivement nous fait passer plus de temps sur des ordinateurs pour rentrer des informations qui plairont aux technocrates au détriment du temps passé avec le patient qui lui nous reproche notre manque de disponibilité: passer 10 mn avec un patient évite parfois une prescription de médicament.
    L’humain malade ou pas a besoin de contact.

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