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Pour la fin du spécisme

Ce 24 août, c’était la journée pour la fin du spécisme. C’est quoi le spécisme ? Le spécisme c’est une vision du monde qui considère que l’homme est supérieur aux animaux et que ceux-ci n’ont pas les mêmes droits que les humains. C’est aussi la distinction qui accorderait plus ou moins de considération morale en fonction des espèces. Les animaux de compagnie verraient par exemple leurs intérêts davantage pris en compte que les animaux d’élevage destinés à la consommation et à  l’expérimentation ou considérés comme nuisibles.

Nous câlinons nos chats et nous portons des chaussures de cuir, nous mangeons du thon en boîte et nous vénérons les dauphins. Nous sommes tous coupables à moins d’être un végan inconditionnel.

La sensibilité à la cause animale ne cesse de gagner dans l’opinion publique. D’autant qu’elle a pour arrière-plan une inquiétante accélération de la disparition des espèces du fait de la pollution.

Le véganisme représente la forme extrême de cet antispécisme. Il impose une pratique alimentaire végétalienne qui exclut la viande et le poisson, mais aussi les produits laitiers, les œufs et le miel, ainsi que la consommation de tout autre produit issu des animaux cuir, fourrure, laine, soie, cire d’abeille, cosmétiques et médicaments testés sur des animaux ou contenant des substances animales.

La consommation de produit animaux a été une inquiétude depuis l’origine de l’humanité. L’Ancien testament en fait une conséquence indirecte de la chute. Dans le jardin d’Eden, Adam et Ève se nourrissaient de fruits et de graines (Genèse, I, 29). C’est seulement à partir de Noé que l’homme devient carnivore (IX,3).

Aujourd’hui l’industrialisation de l’élevage animal choque nos consciences, on a beaucoup parlé récemment des vaches hublots (1) et des conditions indignes d’élevage et d’abattage des animaux. L’animal est réduit à une machine productive. L’impérialisme de la volonté humaine transforme ainsi le monde environnant en un stock de moyens et d’énergies disponibles pour assurer la maîtrise de l’homme sur la nature. Les choses, dans le cas présent l’alimentation carnée, n’ont de réalité que comme objets manipulables et utilisables par le sujet. C’est ce que le philosophe Martin Heidegger nomme l’arraisonnement :  le réel ne prend du sens pour l’homme que comme ressource d’énergies ou de matériaux soumis à la maîtrise scientifique et technique. La nature est, pour ainsi dire « sommée » de fournir ce dont l’homme a besoin.

Or c’est tout l’équilibre de la vie sur notre planète qui est perturbé par « l’arraisonnement » du règne animal devenu pur objet de consommation. Si l’on veut maintenir le niveau d’alimentation carnée à ce qu’il est aujourd’hui, il y a toute chance, dans un monde où la population mondiale aura probablement doublé dans moins d’un siècle, que le bétail consomme la totalité de la production de céréales. On a calculé au Etats- Unis que les deux tiers des céréales produites servent à le nourrir. Et n’oublions pas que ces animaux rendent sous forme de viande beaucoup moins de calories—le cinquième pour un poulet—  qu’ils n’en consomment au cours de leur élevage (2).

L’espoir d’entretenir avec les animaux et la nature des rapports différents est porté par les ethnologues qui nous révèlent l’expérience de populations primitives. Ainsi pour l’ethnologue Philippe Descola disciple de Lévi-Strauss, ces populations nous montrent l’exemple d’un rapport de stabilisation des relations avec la nature qui n’aboutit pas à sa destruction. La conception de ces peuples primitifs est aux antipodes du spécisme. Ainsi pour les amérindiens et la plupart des peuples restés longtemps sans écriture, les hommes et les animaux n’étaient pas réellement distincts les uns des autres et pouvaient communiquer entre eux. Les animaux et les plantes ont une âme comme les hommes. Les amérindiens voient les populations animales et végétales comme formant un ensemble social.

Certes notre occident dit civilisé n’est prêt à revenir à ces conceptions animistes. Il doit impérativement remettre en cause l’opposition entre culture et nature sur lequel il a fondé son anthropologie.

Sans doute, l’influence de Descartes a pesé négativement dans notre relation avec le monde animal. Selon Descartes l’animal est analogue à la machine. Descartes affirme que l’animal n’est rien d’autre qu’une machine perfectionnée. Il n’y pas de différence fondamentale entre un automate et un animal. Pour Descartes, l’animal n’a ni âme ni raison.

Pour Spinoza, l’homme n’est pas « un empire dans un empire ».  N’oublions pas que la philosophie de Spinoza est un panthéisme. Dieu c’est tout simplement la nature et l’homme ne peut être séparé de la nature, il est entièrement soumis à ses lois. A force d’arraisonner la nature comme il le fait aujourd’hui, l’homme risque bien de voir disparaître son empire.

(1) Vaches fistulisées – leur estomac est perforé d’un trou de 15 cm de diamètre – pour étudier leur digestion. Elles sont contraintes de vivre enfermées dans un bâtiment au sol bétonné, sans paille, à même leurs propres déjections ».

(2) D’après Lévi-Strauss Nous sommes tous des cannibales, Éditions du Seuil, p 227.

Laurent Vercoustre

6 Commentaires

  1. Merci pour ces réflexions positionnant l’humain au sein de la nature dont il fait partie et dont il dépends entièrement. Le spécisme n’est-il pas propre au monde occidental ? N’oublions pas que sur le sous-continent indien et une partie de l’asie quelques centaines de millions d’individus s’inspirant de l’indhouisme puis du boudhisme sont non seulement végétariens, mais ont érigé leurs rapports avec les animaux pour même leur donner des places de divinités de second rang. Parmi eux les Jaïns, poussant ce respect de la vie jusqu’à l’extrême, en portant un masque respiratoire filtrant de peur d’ avaler ou d’inhaler des insectes ou autres micro organismes et aussi balayant devant leurs pas de peur d’en écraser. Malheureusement l’influence occidentale et l’industrialisation galopante bousculent indirectement cette relation avec le monde animal, par « l’arraisonnement » massif et progressif de leurs milieux de vie.

  2. Certes ,un bel article;nous ne pouvons pas tout changer;je pense qu’il faut une évolution de l’opinion ;commencons par régler le problème des abattoirs sans en arriver au véganisme ,inaplicable en alimentation infantile et ayant provoquer des décés

  3. Merci Laurent pour ton article toujours très intéressant à lire. J’ai une fois entendu Alain Finkelkraut parler de son affection pour les…vaches. J’en avais été très ému, car cela avait adouci la vision un peu cérébrale que j’avais de cet homme. Les animaux ne nous rapprochent-ils pas de notre coeur et nos âmes d’enfants ? Certains d’entre eux sont vulnérables et à notre merci , alors que d’autres sont plus effrayants et sembleraient pouvoir nous menacer.
    Nous pouvons certes penser et rationaliser le monde et le vivant , mais nous pouvons aussi ressentir ce qu’ils sont. N’est ce pas justement comme cela que nos enfants intérieurs et les peuples premiers pensaient?
    Antonio Damasio dont j’ai lu  » l’erreur de Descartes » montre bien l’importance de notre vie émotionnelle pour mémoriser , comme le fait aussi Boris Cyrulnik dans son livre « de chair et d’âme ».
    AmitiésJacques

  4. Beau travail de rédaction, pas certain cependant, que consacrer ( = rendre sacré(e) !) une journée à la lutte contre une forme clinique du crétinisme humain chronique, soit très thérapeutique.
    Troublant quand même que les sociétés jugées primitives soient encore et toujours en train de nous montrer qu’elles avaient des connaissances bien en avance sur les notres. Jetées, avec elles, à la poubelle des encombrants, elles ressurgissent, y compris dans des singeries grotesques de nos chercheurs de « nouveautés » à vendre bien cher !
    Soyons juste un peu plus nombreux à lire Antonio Damasio ( neuroscientifique ) L’Ordre étrange des choses ( Odile Jacob, 2017).
    Ça, c’est du vaccin, et de la meilleure facture contre les jugements à l’emporte-pièce !

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