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Une consultation insolite

Une patiente,  Madame B., m’est adressée par un confrère généraliste pour le retrait de son stérilet. Motif du retrait, la présence d’un germe rare, du nom d’actinomyces, découvert dans le vagin à l’occasion d’un frottis cervico-vaginale. La patiente ne se plaint de rien, elle est satisfaite de son stérilet.

Je me souviens avoir rencontré au début de ma carrière des infections génitales graves dues à ce germe. Certains cas se présentaient comme des masses pelviennes et  justifiaient un traitement antibiotique particulièrement long voire même un traitement chirurgical. Le stérilet favorise-t-il le développement de ces infections, telle était la question posée par le cas de Madame B. ?

Je suis d’abord tenté de céder à la demande du médecin généraliste. Enlever un stérilet, c’est tirer sur un bout de ficelle, c’est tout bénéfice pour moi : aucun effort intellectuel et consultation vite expédiée. Ainsi je souscris à la demande qui m’est faite, je ne prends aucun risque.

Cette solution ne me satisfait pas, j’ai besoin d’en savoir plus. Je demande à la patiente  de passer dans le box d’examen et de se dévêtir. Je profite de ce moment pour faire subrepticement une recherche sur internet. En deux clics, je tombe sur une source en or,  tout un diaporama consacré à la question présenté à l’occasion d’un congrès de bon niveau. Je mets en route le diaporama, et là, surprise, la voix de l’orateur s’élève,  j’ai oublié de couper le son. Je suis démasqué, ma patiente n’ayant pas même eu le temps de se déshabiller, nous nous trouvons tous les deux côte à côte pour écouter cette présentation  ! Le niveau de la communication est excellent, l’auteur présente une revue exhaustive de la littérature mondiale sur le sujet. Conclusion de ce brillant exposé : ne pas retirer le stérilet, ne pas donner d’antibiotiques. Il n’y a rien à faire ! la patiente repart ravie !

Admettons que j’ai suivi la requête du généraliste : retirer le stérilet. Cette option aurait enclenché un certain nombre d’interventions. Prescription d’antibiotiques pour éradiquer le germe, vérification de sa disparition par un prélèvement vaginal et pose d’un nouveau stérilet. Chacun de ces actes a un potentiel iatrogène. Risque infectieux en rapport avec les manœuvres intra-utérines consécutives au retrait et à la pose d’un nouveau stérilet, allergie aux antibiotiques, risque de grossesse intercurrente. Ce périple thérapeutique  a un coût conséquent, l’autre option n’engage aucun frais. Notons par ailleurs que dans le cadre d’une activité privée le retrait du stérilet était beaucoup plus rentable.

Il va sans dire que l’option de l’abstention est tout bénéfice. Elle répond à l’exigence d’une conduite conforme aux dernières données de la science. Elle aurait même pu se résoudre par un simple appel téléphonique. Pourtant j’ai perdu à l’occasion de cette consultation le prestige du médecin sachant. Mon rôle s’est limité à aller chercher l’information, et à en garantir la crédibilité auprès de ma patiente.

L’éthique du médecin sachant est-elle encore à l’ordre du jour ? Ou comme le dit le philosophe Michel Serres est-on passé de la génération du médecin présumé sachant à celle du médecin présumé ignorant ? Le champ des connaissances médicales est aujourd’hui si étendu qu’il lui est impossible de tout connaître.

On assiste en effet dans tout le champ des spécialités à un phénomène de fragmentation. Chaque spécialité se subdivise en sur-spécialités. Ainsi j’ai vu, à partir des années 80, ma propre spécialité la gynécologie-obstétrique se compartimenter en différents sous domaines : la PMA, la médecine fœtale, l’échographie obstétricale, la cancérologie gynécologique, les grossesses pathologiques, la contraception… Les spécialistes en ORL se trouvent confrontés à la même segmentation en des domaines aussi différents que les cancers de la sphère ORL, les troubles de l’audition, les pathologies de l’équilibre, les problèmes infectieux de la sphère ORL de la prime enfance. J’ai, dans un précédent billet, suggéré que, à ce nouveau découpage des professions médicales, à cette « granulation » du tissu des spécialités devrait correspondre de nouvelles formations plus courtes. Je rejoignais ainsi l’analyse d’un rapport du Sénat. Celui-ci déplorait  « qu’ il existe un vide dans la chaîne des compétences en matière de soins qui conduit les médecins à endosser des compétences qui ne nécessitent pas un niveau de formation aussi élevé, tandis qu’il engendre chez les professionnels paramédicaux à la fois une forme de frustration professionnelle et une déperdition des compétences. « 

C’est ainsi que cette évolution a, sur le rapport des médecins aux connaissances, deux effets opposés :

  • la prolifération de ces sur-spécialités ne permet plus au médecin spécialiste d’embrasser l’ensemble des connaissances de sa spécialité.
  • Inversement, ces sur-spécialités font appel à des domaines de connaissances plus limités et il est parfaitement possible par exemple pour un gynécologue qui fait de la PMA de se maintenir à la pointe du progrès  en s’abonnant à une revue et en suivant un ou deux congrès par an. D’où la proposition que j’ai formulée plus haut d’offrir des formations plus courtes aux prétendants à ces sur-spécialités. Dans le cas présent,  mon domaine est plutôt  celui des grossesses pathologiques, où j’aurais sans doute moins été pris au dépourvu par un cas de figure aussi exceptionnel.

Laurent Vercoustre

Un Commentaire

  1. Excellent billet qui pose de nombreuses questions importantes dont tu ne fais que les effleurer.
    Impossible pour le commentateur que je suis de toutes les aborder dans un espace commentaire.
    Je ne sais plus qui a dit « les questions sont plus importantes que les réponses ».
    Ce billet est donc important car il pose plein de questions.

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