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Les fins de vie à la lumière du philosophe Éric Fiat

Il a été mon professeur tout au long de mon master de philosophie .Il y a, chez lui, quelque chose de bien particulier, quelque chose qu’on ne retrouve pas chez la plupart des philosophes. Éric Fiat nous offre  en effet une philosophie haute en couleur. Une philosophie qui se pare de poésie, de littérature, d’histoire ou tout simplement des couleurs de la vie.

L’heure est au débat sur les fins de vie. La Convention citoyenne vient en effet de remettre son rapport sur le sujet. Les conventionnels ont voté à 76 % (140 citoyens sur 184) pour la légalisation de l’euthanasie. Dans un discours daté du 5 avril, le chef de l’État a exprimé sa volonté d’élaborer un projet de loi d’ici la fin de l’été pour bâtir un « modèle français de la fin de vie ».

L’aide active à mourir s’impose maintenant comme la doxa institutionnelle et sera bientôt officialisée par une loi. Il est donc urgent de donner la parole à ceux qui sont farouchement opposés  à toute forme de légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté. L’ordre des médecins s’est rangé du côté de cette opposition au sein de  laquelle Éric Fiat fait figure de l’intellectuel de référence. Il développe ses arguments dans un long texte publié par Philosophie  Magazine. Je me propose d’en restituer la quintessence.

D’entrée Éric Fiat nous avertit : point de légitimité  à défendre une opinion, si l’on est pas professionnellement engagé dans les soins palliatifs. « Toute position qui ne part pas de ce qui se passe réellement dans cette chambre est à tout moment menacée d’être chose légère, idéologique, voire dogmatique.»

Celui qui fait cette expérience va découvrir que le souhait de mourir  est toujours frappé d’ambivalence. C’est là qu’Éric Fiat nous invite à relire Lafontaine parce que, nous dit-il « il m’a toujours semblé que les poètes en parlaient infiniment mieux que les philosophes. » Lafontaine a en effet magistralement décrit cette ambivalence dans la fable La Mort et le Malheureux.  En voici les deux premiers vers. Le Malheureux s’adresse à la mort :

Ô Mort, lui disait-il, que tu me sembles belle !
Viens vite, viens finir, ma fortune cruelle.

Et le Malheureux, quand la mort se montre enfin lui dit :

Qu’il est hideux ! que sa rencontre
Me cause d’horreur et d’effroi !
N’approche pas, ô Mort ; ô Mort, retire-toi. 

L’ambivalence du malade en fin de vie, Éric Fiat l’affirme, tous ses étudiants-soignants sans exception en ont fait l’expérience. Elle est le fait du malade  mais aussi des deux personnes qui se penchent sur son lit de mort, son proche et le soignant. « Dans la chambre d’un agonisant se trouvent trois cœurs qui battent. Celui du mourant, celui du proche, celui du soignant. Trois cœurs qui sont le siège d’oscillations, d’ambivalences, où alternent le désir que cela cesse et le désir que cela continue, encore un peu. »[1]

Cette ambivalence confine au clivage quand le désir de vie ou de mort ne se manifeste pas successivement mais simultanément. Éric Fiat insiste alors sur le rôle primordiale que jouent les soins palliatifs. Comme structures médicales spécifiques, ils permettent au malade de continuer à exister en son être, être accaparé en sa totalité par son ambivalence à l’égard de la mort. Ainsi pour Éric Fiat « la pratique palliative  sait que qui demande la mort ne la désire pas forcément ». Il souligne le génie de la psychanalyse qui dit la proximité entre pulsion de vie et pulsion de mort. La pratique palliative assume cette proximité.

La  loi Claeys-Léonetti promulguée en 2016 légalise la possibilité d’une « sédation profonde et continue jusqu’au décès. » Éric Fiat considère que cette loi est la moins mauvaise des lois, elle s’inscrit dans le prolongement de l’esprit des soins palliatifs. Elle ne programme pas la mort respectant ainsi l’interdit biblique et kantien ainsi que l’interdit du serment d’Hippocrate   (« Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion »). Elle ne transgresse pas non plus la donnée anthropologique qui veut que l’homme se sait mortel, mais qu’il ne connait ni le jour ni l’heure de sa mort. Éric Fiat oppose cette mort dans la sédation  à l’euthanasie et au suicide assisté dans un raccourci pertinent: « Donner un produit et que la mort survienne est tout autre chose qu’en donner un pour que la mort vienne. »  

Et tant qu’elle n’est pas venue, il reste du possible. « alors que la mort est, comme on sait, l’impossibilité de toute possibilité. » Ici de nouveau Éric Fiat, grâce à la poésie, « enchante » autant qu’il est possible ces derniers jours du mourant en nous rappelant  le poème de Rimbaud le dormeur du Val : tant qu’il dort, pâle dans son lit vert où la lumière pleut, tant qu’il sourit comme sourirait un enfant malade, en somme tant qu’il n’est pas mort, les parfums peuvent faire frissonner sa narine.

Alors bien sûr, il y a, exceptionnellement des situations où l’euthanasie est légitime « quand après avoir tout essayé pour l’éviter le médecin réalise que c’est encore là la moins mauvaise solution ». Cette légitimité se fonde sur la pleine conscience que son acte transgresse  l’interdit de tuer.

« Je ne suis ni contre l’euthanasie, ni contre la transgression, ni contre l’exception, mais contre leur légalisation », conclut Éric Fiat après avoir souligné que l’euthanasie a augmenté dans tous les pays qui l’ont légalisée  tandis que les demandes d’aide à mourir des malades qu’on écoute dans le cadre des soins palliatifs sont rarissimes. Alors  pourquoi changer la loi ?

Éric Fiat n’est-il  pas en définitive conforme à l’idée que se fait Jankélévitch du vrai philosophe : « La valeur d’une vraie philosophie ne se place pas dans une éternité impersonnelle. Sa face lumineuse est tournée vers les êtres temporels que nous sommes.»

[1] Journal  LE POINT :Euthanasie : « La notion de dignité est très à la mode, mais très confuse » Entretien. Le philosophe Éric Fiat, spécialiste d’éthique médicale, revient sur les débats violents et souvent mal posés qui entourent le suicide assisté. Propos recueillis par Marion Cocquet. Publié le 13/04/2021 à 16h01 – Modifié le 15/09/2022 à 18h00.

 

Laurent Vercoustre

4 Commentaires

  1. Seule une souffrance intense et non maîtrisée, m’invite à être d’accord ..!

  2. Il ne FAUT PAS LÉGALISER. La naissance, la vie et la mort appartiennent au mystère, sauf si on croit en Dieu, et encore. Chaque cas est différent et ne saurait trouver une solution dans une loi, Prétention insupportable des hommes qui croient pouvoir tout comprendre et maîtriser. Surtout ceux qui n’y connaissent rien.

  3. C’est très limpide et ce propos ouvre à la réflexion encore une fois. Beau travail !!!!

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