Sacré bonhomme ce Kant. Au firmament des philosophes il compte parmi les plus grands. Raconter sa vie est mission impossible. Pourquoi ? Simplement parce qu’il n’en a pas eu ! Célibataire, toute sa vie est consacrée à la philosophie. Son emploi du temps est immuable. Il se lève à six heures, boit deux bols de thé, fume une pipe, la seule de la journée, et se couche à 22 heures. Sa promenade quotidienne est devenue une légende: On raconte que ses voisins réglaient leur pendule non pas en regardant l’horloge du clocher, mais au moment où le philosophe sortait pour sa promenade quotidienne dans les jardins de sa ville natale de Königsberg. Il était vêtu de son éternel habit gris, et toujours suivi par son domestique Lampe. Le repas de midi « le dîner » comme on l’appelait à l’époque, seul repas de la journée, était pris en compagnie de convives, c’était le moment festif de sa journée « Il est souhaitable de ne pas manger seul » disait-il. Il ne faudrait pas croire que Kant était un personnage austère. Il était connu pour sa grande éloquence, sa verve joyeuse, et une rare originalité d’esprit. J’allais oublier qu’il est l’inventeur du porte-jarretelle !
Relisons maintenant un texte de Kant publié en 1784. Texte court mais célébrissime, il est pour nous l‘occasion de réfléchir sur la relation patient-médecin. Kant répondait à une question posée par une revue de l’époque :Qu’est-ce que les lumières? Les Lumières, sont celles du siècle des Lumières, c’est-à-dire du 18e siècle. De la réponse de Kant on retient deux phrases qui comptent sans doute parmi les plus importantes de la philosophie.
Voici la première : « Les lumières c’est la sortie de l’homme hors de l’état de minorité dont il est lui-même responsable. L’état de minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. » Et la seconde « Il est si aisé d’être mineur ! Avec un livre qui tient lieu d’entendement, un directeur de conscience qui me tient lieu de conscience, un médecin qui juge pour moi de mon régime, je n’ai vraiment pas besoin de me donner moi-même de la peine. » Alors naturellement c’est la dernière proposition de cette phrase qui nous intéresse ici : « Il est aisé d’être mineur avec un médecin qui juge pour moi de mon régime ».
Kant, qui était un grand hypochondriaque, a toute sa vie voulu gérer sa santé. Le confort est pour lui un souci. Il veillait à ce que son cabinet de travail se trouve toujours à 24 degrés allant jusqu’à exiger qu’on allume des feux en été. Il élabore toute une discipline du corps à viser préventive, il ne fait qu’un repas par jour, prend soin de ne respirer que par le nez pour ne pas exposer sa gorge aux infections. Dans ses derniers jours Kant aurait dit « je veux bien mourir mais pas par la médecine. »
Où en sommes-nous aujourd’hui, le patient actuel est-il sorti de son état de minorité ? Autrement dit médecin et patient se parlent-ils d’égal à égal ?
« L’usager est un incapable notoire, il appartient au médecin de décider ce qui est bon pour lui. » Quel est l’auteur de cette déclaration ? Rien moins que le président du conseil de l’Ordre de l’époque, Louis Porte. De quelle époque ? 1950. Ce n’est pas si vieux. On est loin de la sortie de l’état de minorité du patient !
Et l’hôpital ? Une date fait référence : 2006 année où est promulguée la Charte du patient hospitalisé. C’est seulement depuis une poignée d’années que l’on a mis fin à l’étrange et silencieux contrat qui s’était noué à la fin de la Révolution entre l’hôpital, où l’on soigne les pauvres, et les médecins qui découvrent la clinique. En effet, le problème moral que la clinique avait suscité à cette époque était celui-ci : de quel droit pouvait-on transformer en objet d’observation clinique un malade que la pauvreté avait contraint de venir demander assistance à l’hôpital ? Voici ce que répond un citoyen de cette époque « L’homme souffrant ne cesse d’être un citoyen… L’histoire des souffrances auxquelles il est réduit est nécessaire à ses semblables parce qu’elle leur apprend quels sont les maux dont ils sont menacés. En refusant de s’offrir comme objet d’instruction, le malade deviendrait ingrat, parce qu’il aurait joui des avantages qui résultent de la sociabilité sans payer le tribut de la reconnaissance[1].
« la charte de la personne hospitalisée » donne enfin aux individus le statut de sujet au sens philosophique du terme. Elle stipule que « L’information donnée au patient soit accessible et loyale » et que « le patient participe au choix thérapeutique. Je ne suis pas bien sûr que sur le terrain les choses aient beaucoup changé !
Et ma propre expérience que dit-elle ? Voilà deux exemples. Combien de fois ai-je entendu cette phrase dans la bouche de mes patientes : « Docteur vous allez me gronder, je suis en retard pour mes frottis » Il m’arrivait, à l’occasion de ma visite en suite de couche, de me prêter à une petite expérience. À la question « Docteur quand pensez-vous que je pourrai sortir ?» je répondais « c’est à vous de nous dire quand vous vous sentirez en capacité de rentrer chez vous » Généralement un long silence suivait ma réponse. Puis la patiente enchainait : « je suis pas docteur moi.. »
Où sont aujourd’hui les patients—remarquons que le mot patient sonne comme passivité— sortis de leur état de minorité ! Nous pataugeons toujours dans les eaux troubles du vieux paternalisme médical. Et ce à l’heure nous avons infiniment besoin de compter sur nous pour préserver notre santé. L’essentielle des maladies qui nous menacent sont en effet des maladies chroniques. Maladies chroniques bien souvent environnementales et comportementales au point qu’on puisse dire que l’homme n’est plus maintenant le terrain de la maladie, mais qu’il en est devenu l’auteur.
Du côté de la médecine, nous n’avons pas suivi la prescription de Kant.
[1] Chambon de Mentaux, Moyens de rendre les hôpitaux plus utiles à la nation, Paris, 1787, pp. 171-172.
La crise Covid fut l’occasion officielle de prendre la LOI de 2002 exigeant un consentement libre et éclairé pour un torche-c…, en spoliant l’individu droit à disposer de son propre corps : on lui a imposé (avec auto-signature, pour bien dire qu’il était consentant) un enfermement en lui accordant une autorisation de sortie de 1 heure à l’extérieur ; des masques dont la science peine à prouver l’utilité pour lutter contre un virus respiratoire ; des tests inutiles propres à démontrer l’idiotie de ceux qui s’y sont soumis (combien de vies sauvées par ces tests ?) ; des vaccins encore en phase expérimentale avec une technologie n’ayant réussi à produire aucun médicament pendant les 20 ans de son développement.
Terrible constat – en effet, l’individu a bien intériorisé son état de minorité.