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Urgences en perdition, les raisons du naufrage !

Voilà déjà longtemps que les urgences de nos hôpitaux appellent à l’aide ! Cette fois le bateau coule, et pour le personnel, lassé d’écoper sans fin le trop plein des malades, tout est bon pour quitter le bord : grèves, arrêts de maladie, démissions. Les chiffres de fréquentions des urgences sont alarmants : 23 millions de passages en 2018, et une hausse annuelle de 4 à 5% depuis 10 ans. 

Pourquoi se rend-on aux urgences ? Le plus souvent pour des maux qui ne mettent pas notre vie en danger mais qui la gâche suffisamment pour réclamer une intervention médicale rapide.

Les statistiques confirment cette analyse : L’immense majorité des patients arrive aux urgences par leurs propres moyens. Seuls 1 % sont amenés par le SMUR (service mobile d’urgence et de réanimation). La plupart des patients se rendent aux urgences dans la journée et en début de soirée jusqu’à 20 heures. Seul un quart des passages a lieu entre 20 heures et 8 heures, horaires où sont fermés la plupart des cabinets médicaux. Un patient sur 5 sera hospitalisé. La très sérieuse enquête de la DREES de 2014 montrait que plus de la moitié de ces urgences (53%) auraient pu être prise en charge au cabinet du généraliste ou du spécialiste.  

Tous ces patients qui faisaient autrefois l’essentiel des consultations de ville ont recours aujourd’hui aux services d’urgences. Comment en est-on arrivé à cette situation paradoxale ? Pourquoi la médecine de ville ou encore la médecine ambulatoire ne répond plus à cette demande ?

De nombreux facteurs concourent à cette dramatique inflation. Sans doute le prestige de l’hôpital et de ses moyens techniques a force d’attraction sur les patients. Patients qui voient par ailleurs dans l’hôpital une simplification de leur parcours de soins. Ils auront, au terme d’un seul déplacement, les examens complémentaires (imagerie, biologie), le diagnostic et le traitement de leur affection. Une récente enquête de l’HCAAM montrait que même lorsqu’une alternative satisfaisante est proposée par les soins de ville, les patients préfèrent se rendre à l’hôpital.

Je voudrais développer ici une autre hypothèse, hypothèse qui tient à l’évolution des pratiques médicales. Depuis quelques décennies, on constate en effet une inflation considérable des consultations dites de suivi. J’entends par consultations de suivi tous ces actes dont la fonction est de surveiller, de contrôler, de dépister.  Cette inflation est due à deux phénomènes, un accroissement considérable des maladies chroniques et des examens de dépistage.

Ainsi aujourd’hui cette masse de consultations de suivi, consultations plus ou moins complexes a fini par monopoliser l’activité des praticiens, spécialistes et généralistes. Le cas de la pédiatrie médicale est exemplaire. La loi prévoit 20 examens médicaux au cours des 16 premières années de la vie ! Ces visites de suivi, dont il n’est pas question de nier le bien-fondé, suffisent à remplir les agendas des pédiatres de ville. Ainsi bon nombre de cabinets de ville ne sont pas organisés pour accueillir les soins non programmés. Quand un nouveau-né a quarante de température, le soir à vingt heures, il y a longtemps que le téléphone du pédiatre ne répond plus. C’est pourquoi on constate une recrudescence des passages aux urgences pédiatriques entre 18 heures et 22 heures, les familles n’ayant alors pas d’autre ressource que de se tourner vers l’hôpital. D’autant, qu’à l’hôpital, ces familles n’auront pas à faire l’avance de la consultation.

Du côté des spécialistes, ces consultations de suivi donnent lieu à une activité routinière qui demande assez peu d’investissement intellectuel. Il en est tout autrement du côté des généralistes dont les trois quarts des consultations quotidiennes sont dévolues au suivi de malades chroniques. Malades dont les dossiers sont complexes et nécessitent d’interpeller les spécialistes. Démarches chronophages qui s’ajoutent au temps passé aux tâches administratives. On comprend que dans ces conditions les généralistes ne souhaitent plus prendre en charge les urgences.

Devant cette situation, renforcer les services d’urgences hospitaliers serait pourtant la pire des solutions. Agnès Buzyn ne s’y est pas trompée. Une prise en charge de qualité suppose une gradation dans les réponses aux situations d’urgence. Seule la médecine de ville est capable de cette gradation.

Se rendre aux urgences de l’hôpital est toujours une aventure déconcertante. J’en ai donné un exemple dans un précédent billet. L’hôpital déploie toutes les technologies dont il dispose pour éliminer les pathologies graves et vous laisse sans véritable réponse sur les maux qui ont motivé votre visite. Pour le dire plus crument, au terme d’un périple de plusieurs heures où vous avez droit à toute une batterie d’examens, on vous annonce non sans satisfaction que votre vie n’est pas en danger (ce dont vous ne doutiez pas vraiment) …pour le reste : « voyez avec votre généraliste » ! L’hôpital est souvent incapable de de donner une réponse fine et gradée à votre problème parce que simplement ce n’est pas son rôle.

En réalité, comme le dit l’économiste de santé Frédéric Bizard, le problème des urgences est le miroir grossissant des dysfonctionnements de notre système de santé. Il reflète en effet notre tendance invétérée à l’hospitalocentrisme et notre incapacité à mettre au centre du système les soins ambulatoires de premier recours.

Cette défaillance des soins ambulatoires contraste avec l’extraordinaire effervescence qui règne aujourd’hui dans les milieux de la santé autour de cette question.  L’expression « virage ambulatoire » est dans toutes les bouches même si on ne s’entend pas toujours sur la manière de prendre le virage.

Pourtant se profilent à l’horizon des expériences prometteuses. Je pense à la chaîne de cabinet IPSO fondé par un jeune diplômé issu d’HEC Benjamin Mousnier-Lompre. Cet ancien consultant a créé à Paris un nouveau genre de cabinet médical qui repense le parcours santé au bénéfice des patients et des praticiens. Fort de son expérience de consultant en stratégie, il a listé méthodiquement les désidératas des patients : des médecins disponibles, y compris le soir ou le week-end, des outils informatiques qui facilitent la prise de rendez-vous et la consultation des dossiers médicaux. Le responsable d’Ipso a fait du cabinet médical une véritable PME regroupant une vingtaine de professionnels de santé au service des patients.

C’est ce type d’expérience qui pourraient de débloquer la situation et de mettre fin à la crise des urgences. Il revient au pouvoir public de les soutenir et de s’inspirer de ce modèle pour mettre en place les CPTS (Communautés professionnelles territoriales de santé).

Laurent Vercoustre

16 Commentaires

  1. personne n’ a evoqué la baisse choisie de disponibilité des généralistes,la féminisation de la profession,le modele « 35heures », comme autant d’autres causes de cette situation que j’ai vue s’ installer progressivement, au long de mes 46 ans d’ activité (série en cours )notre formidable métier ne devient plus très passionnant pour beaucoup d’ entre nous généralistes…

  2. Très bon article, mais juste un mot sur ipso. La maison de santé de la rue Faidherbe est voisine de cette structure, Depuis 8 ans elle est ouverte de 9h à 23h30, 7j/7 (ipso ferme le dimanche) . Elle participe à la PDSA et reçoit à toute heure les consultations non programmées. Cette MSP est gérée par un médecin (moi). Ceci pour dire qu’ipso n’a donc rien inventé mais montre surtout du bon sens. En effet depuis 8 ans je m’éreinte à dire à l’ARS que ce mode de fonctionnement qui rassemble MSP+MMG est le modèle de l’avenir de la médecine de ville. Mais ils ont eu énormément de mal à comprendre l’évidence. Il faut dire que l’APHP nous a mis beaucoup de bâtons dans les roues (P. Pelloux pour n’en citer qu’un). Paradoxal, non ?

  3. Bravo pour toutes ces analyses…tout est juste mais on oublie un point :
    le comportement si différent d’un MG en 2019. Je suis médecin hospitalier depuis 1981 (et je prends toujours mon tour de garde)…En 1997, j’achète une maison dans un village de 4500 habitants. 4 médecins étaient installés là et, chacun à leur tour, répondaient nuit et week-ends à leurs patients. En 2019, ce même village a 5000 habitants. Il y a maintenant 7 médecins. Plus personne n’est joignable dès 18h30-19 heures. Nuit et week-end, des répondeurs disent gentiment d’appeler le 15…ce système public que chacun se plait maintenant à critiquer. Alors depuis qu’un politique irresponsable a supprimé l’obligation de participer à la garde pour les MG, chacun ferme son cabinet comme on ferme son commerce…et a donc toute la soirée pour critiquer ces foutues urgences…pourtant le seul endroit éclairé la nuit…Je précise que je ne suis pas urgentiste, prend des gardes. Je ne critique pas, je regarde et constate

  4. Synthèse intéressante mais conclusion trop simple.
    Le problème des urgences est un problème multiple.
    Tout d’abord, n’importe quelle activité économique, service, devrait se réjouir de son succès, sauf lorsque l’activité est situé en dehors du marché, et donc soumis à une forme de rationnement des soins.
    Ensuite, les facteurs sont nombreux : changement des habitudes de la population (on attend moins pour consulter), changement des modes d’exercice des médecins de ville (amplitude horaire, consultations non programmées), vieillissement de la population avec son corollaire, la hausse des exigences de santé à l’égard des plus âgés, qualité du plateau technique. Tout cela explique la hausse continue des passages aux urgences.
    Dire que la solution repose dans un certain type d’organisation comme le cabinet IPSO me semble beaucoup trop simpliste, et pour commencer j’aimerais bien savoir si ce type de structure est rentable et comment les médecins qui y travaillent tirent leur épingle du jeu sans aide des pouvoirs publics.
    Il faut aussi examiner plus avant ces chiffres qui prétendent que 50% des passage aux urgences sont évitables. Peut être que c’est vrai, mais si c’est après un examen clinique et un bilan de débrouillage, c’est tout simplement faux.

  5. Bonjour, une anecdote qui n’en est pas une ! Rencontre ce samedi au marché avec une infirmière du service d’urgence (important centre hospitalier référent d’un territoire de santé de Rhône Alpes). 90 passages aux urgences dans la journée et coup de téléphone du médecin généraliste présent dans le cabinet situé en face… des urgences: 6 patients malgré… l’information donnée aux urgences ! Le même service d’urgence manifeste bine sûr contre le manque de moyen et de personnel ! Il serait temps également de responsabiliser les patients qui ne veulent éviter de payer la consultation. Le manque de moyens et de personnels n’explique pas tout, loin de là. Bref dans notre époque actuelle, regarder la poutre dans notre œil est moins simple que de pousser des cris d’orfraie ! cordialement

  6. ce qui choque ce sont ces patients sur les brancards et pas pour des petits bobos….pas de lit d’aval et de moins en moins par les fermetures prévues pour raisons financières…

  7. Pour les consultations de suivi, l’hôpital donne le mauvais exemple en continuant à suivre les patients adressés pour affection grave, au delà de la guérison estimée, alors que nous pourrions les reprendre en charge !
    Sans doute pour les stats et publications des services ?
    A propos des capacités managériales des HEC ou autres « Sup de Co » j’ai un peu peur; mais il est vrai que ma plus grande déception dans la carrière médicale a été l’appartenance à un groupe de 12 spécialistes parfaitement ingérables, et qu’il y avait sans doute besoin d’arbitre – j’ai préféré partir !…

    • Tout à fait sous couverture de protocole scientifique de nombreux malades sont réconvoques ( par exemple à peu près tout ce qui est thrombo-embolique au CHU voisin) on demandant également au patient d’aler Voir son MG et spécialiste…

  8. Le vrai problème, ignoré des responsables droitiers ou gauchistes est que plus de la moitié des consultants des urgences n’ont strictement rien à faire là
    Ce n’est pas une prime de 200 euros qui va modifier le tableau.
    URGENCES en lettres illuminées la nuit est un service dédiés aux urgences!

  9. Bonjour, merci pour votre blog.
    On peut être d’accord avec votre diagnostic, et également avec vos propositions de remèdes (et c’est mon cas)
    Cependant, 2 points,
    -l’engorgement le plus problématique des urgences n’est pas celui des petits bobos, mais bien celui des « patients couchés » qui ne peuvent rester au domicile pour une question de dépendance aigue et de permanence de soins médicale et paramédicale de ville, alors que le problème médical est modéré,
    -la réorganisation du système prend du temps (des années?)et les files de
    brancards sont là en ce moment, il faut bien faire quelque chose des patients ! et c’est par manque de moyen qu’on les maltraite
    -très probablement le manque de médecins, tant à l’hôpital où il est dramatique, qu’en ville, lié peut être à l’inflation que vous avez parfaitement décrite, est un élément structurel des difficultés actuelles
    NB je suis praticien hospitalier, neurologue à l’hôpital de Montauban.

  10. Bonsoir,
    Je pense malgré tout que cet article fait l’impasse sur 2 paramètres importants un peu passés sous silence:

    1) la dévalorisation continue (et bien voulue) de la MG depuis une quarantaine d’années. Il me semble qu’en 1980, l’activité moyenne du MG était de l’ordre de 3800 actes/an; ce qui lui laissait du temps pour accueillir des soins non programmés, d’aller visiter les patients hospitalisés, voire de suivre une grande visite au CHRU. Aujourd’hui avec la scandaleuse dégradation de la valeur de l’acte, les MG frisent les 7000 actes/an. Et encore merci pour la réforme de 2007 qui a instauré le médecin traitant: toute la paperasse bien pourrie est pour lui, sans parler des courriers bidons pour tel ou tel spé qui leur permettent de coter un bon C2. Tiens à mon installation le C était à 115 francs, et le CS à 135 franc: 20 francs d’écart, à peine plus de 3 euros.
    Je ne sens pas envahi par des consultations de suivi et de dépistage, je suis écoeuré par toutes ces consultations débiles pour des certificats que rien ne justifie sur le plan médical et qui aux bonnes saisons peut atteindre 1/3 des consultations, effectivement au détriment des personnes malades.

    2) La hontectomie qui touche la plupart des pays développés mais en particulier le notre. Les détenteurs d’une forme d’autorité sont de moins en moins respectées, voire défiées, les gens se permettent de…
    Aujourd’hui, une banale rhinopharyngite, une entorse banale de la cheville deviennent des urgences vitales, nous sommes priés de recevoir ces malades dans l’heure; cela ne gêne plus grand monde d’harceler un télésecrétariat (voire de proférer des grossièretés aux secrétaires qui n’y sont pour rien), de débarquer dans le cabinet médical à l’improviste (c’est vrai que je ne travaille que sur rendez-vous). Il y a une évolution sociétale forte dans ce sens, mais aussi probablement, en milieu urbain, des faiblesses d’autres professionnel(le)s de santé qui se laissent plus que de raison « marcher sur les pieds » et les patients qui prennent alors de très mauvaises habitudes…

    • « Aujourd’hui, une banale rhinopharyngite, une entorse banale de la cheville deviennent des urgences vitales, nous sommes priés de recevoir ces malades dans l’heure; cela ne gêne plus grand monde d’harceler un télésecrétariat (voire de proférer des grossièretés aux secrétaires qui n’y sont pour rien), de débarquer dans le cabinet médical à l’improviste (c’est vrai que je ne travaille que sur rendez-vous). Il y a une évolution sociétale forte dans ce sens, mais aussi probablement, en milieu urbain, des faiblesses d’autres professionnel(le)s de santé qui se laissent plus que de raison « marcher sur les pieds » et les patients qui prennent alors de très mauvaises habitudes… »

      J’ai des habitudes exécrables. Et j’ai du mal à en avoir honte.

      Vous n’avez pas l’impression que la contrainte médicale est devenu un concept un peu plus « accepté »/ »revendiqué » par les médecins, en général, toutes spécialités confondues, depuis 40 ans?

      Moi si. Et j’ai pas vraiment envie d’être sympa.

  11. est ce que la teleconsultation, avec comunication au medecin traitant, peut avoir son role pour les 50% de patients de passages aux urgences evitables ?

    • Analyse très intéressante.Le fonctionnement de la médecine de ville est probablement en retard face à l’évolution des pratiques . La lourdeur diagnostique déployée aux urgences ravit les patients et embouteille les services . Les solutions sont probablement multiples mais la faible responsabilisation des patients dans un système gratuit est assez délétère.

  12. « Pourtant se profilent à l’horizon des expériences prometteuses. Je pense à la chaîne de cabinet IPSO fondé par un jeune diplômé issu d’HEC Benjamin Mousnier-Lompre. Cet ancien consultant a créé à Paris un nouveau genre de cabinet médical qui repense le parcours santé au bénéfice des patients et des praticiens. Fort de son expérience de consultant en stratégie, il a listé méthodiquement les désidératas des patients : des médecins disponibles, y compris le soir ou le week-end, des outils informatiques qui facilitent la prise de rendez-vous et la consultation des dossiers médicaux. Le responsable d’Ipso a fait du cabinet médical une véritable PME regroupant une vingtaine de professionnels de santé au service des patients. »

    C’est effectivement la logique même…

    Ce qui est déprimant, du point de vue de quelqu’un attaché sur le fond (malheureusement pas dans la pratique…) à une médecine organisée par les pouvoirs publics, c’est que les autorités publiques n’ont pas eu le niveau de réflexion nécessaire pour mettre en place de leur propre initiative ce type de structure de la taille d’une vingtaine de professionnels de santé.

    Rien n’empêchait l’Etat d’y penser par lui-même, tout seul, comme un grand.

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