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Greta Thunberg et Jeanne d’Arc

En l’espace de huit mois cette adolescente suédoise s’est imposée dans les médias comme la grande prêtresse de l’écologie.

Elle rencontre le pape François en avril dernier, on l’invite à prendre la parole aux quatre coins de la planète devant de prestigieuses assemblées :  à Davos en janvier au Forum économique mondial, devant le parlement Européen, le parlement britannique et tout récemment devant notre Assemblée nationale. Elle fait la couverture du Time en mai et celle de Libération ce 15 juillet. Elle a accepté l’interview deux jours avant à la condition que les journalistes prennent le train !

En novembre et décembre 2018, inspirés par son aura plus de vingt mille étudiants  avaient organisé des grèves dans au moins 270 villes de pays comme l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, etc..

Pourtant, Greta Thunberg est l’objet d’un feu nourri de critiques à la mesure de sa célébrité. Les moins inspirés s’en prennent à son physique, sa paire de nattes cernant un visage inexpressif. D’autres soulignent son passé psychiatrique, elle souffrirait d’un syndrome d’Asperger, de troubles obsessionnels compulsifs et de mutisme sélectif. À 11ans elle tombe dans une profonde dépression, désespérée par la situation de la planète. Les plus virulents cèdent à la raillerie et la taxent de « Gourou apocalyptique », « fée Clochette », « pauvre enfant manipulée » ou, à l’inverse, « manipulatrice des masses »… Notre prétendu philosophe Michel Onfray détient la palme de la cruauté. Pour lui cette jeune fille qui ne sourit jamais ressemble à Buster Keaton. « Son visage de cyborg qui ignore l’émotion —ni sourire, ni rire, ni étonnement, ni stupéfaction, ni peine, ni joie— fait songer à ces poupées en silicone qui annoncent la fin de l’humain et l’avènement du posthumain. »  

Pourtant le fait est là, les critiques ont beau pleuvoir, la voix de cette adolescente de 16 ans résonne à la face du monde plus forte que toutes les autres voix écologistes. Manipulée ou non, Greta Thunberg reste un phénomène et plutôt que de proférer un jugement moral, c’est en tant que phénomène que je veux la considérer ici. Phénomène planétaire à double ressort, soit la béatification soit la diabolisation.

Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec notre Jeanne d’Arc. Par quel prodige, Jeanne la Pucelle, jeune roturière, a-t-elle pu persuader le Dauphin, futur Charles VII, de lui donner le commandement de ses troupes pour libérer Orléans occupé par les anglais. D’abord considérée comme l’envoyée de Dieu, elle fut ensuite jugée comme hérétique et brûlée à 19 ans. Sa vie publique n’aura duré que deux ans ! Réhabilitée 25 ans après son exécution par l’Eglise qui l’avait condamnée, elle ne sera canonisée qu’en 1920. Il faut dire aussi que sa légende fut vivement contestée au Siècle des Lumières par Voltaire et Beaumarchais. L’Encyclopédie de Diderot la décrit comme une « idiote manipulée par des fripons ». L’exemple de Jeanne d’Arc montre qu’entre la béatification et la diabolisation, la frontière est fragile, et que, au gré de l’histoire, on passe vite de l’une à l’autre. Les voix entendues par Jeanne furent interprétées tantôt comme la manifestation de Dieu, tantôt comme celle du diable. De la même façon, Greta est considérée soit comme une adolescente exceptionnelle, soit comme un cas psychiatrique.

Allons un peu loin, le phénomène Greta Thunberg peut, je crois, être décrypté à travers la dialectique du fort et du faible. C’est de sa faiblesse— elle n’a aucun pouvoir— qu’elle tire sa force. Le plus célèbre exemple de cette dialectique du fort et du faible est celui de la rencontre entre Alexandre et Diogène. Dans cette rencontre, il y a dissymétrie totale puisqu’en face d’Alexandre, c’est le misérable Diogène dans son tonneau. Alexandre décide d’aller voir Diogène, parce Diogène, est à ses yeux le seul qui pourrait rivaliser avec lui. C’est la phrase souvent répétée, si je n’avais été Alexandre, j’aurais voulu être Diogène. Et le dialogue qui met en scène cette confrontation va être mené de manière à montrer que le vrai roi n’est pas celui qu’on croit, le vrai roi c’est Diogène. De même c’est la dissymétrie entre ce qu’est Greta Thunberg, une simple jeune fille, et les personnalités éminentes qu’elle rencontre qui lui donne son ascendant. Elle ne représente aucun parti, ses déclarations ne sont pas fondées sur un savoir de vrai scientifique. Elle est totalement transparente au symbole qu’elle incarne : l’effroi de la génération à venir devant le péril climatique. Elle est la représentation vivante de l’impuissance de l’humanité à réagir devant ce péril qui menace de la faire disparaître.

Elle opère ce que Foucault, dans son analyse de la philosophie des cyniques[1], avait appelé le retournement scandaleux. Le scandale causé par Greta Thunberg consiste en ceci qu’elle parvient à faire condamner, rejeter, insulter par certains politiques ou climatologues ce qu’ils admettent au niveau de leurs principes. Elle subit leur colère parce qu’elle leur donne l’image de ce que tout à la fois, ils valorisent en pensée et méprisent dans leur vie même.


[1] Michel Foucault, Le courage de la vérité Cours au Collège de France 1984 Éditons Hautes Études Gallimard Seuil, 2009.

Laurent Vercoustre

16 Commentaires

  1. « Notre prétendu philosophe, Michel Onfray… » C’est la description disgracieuse de votre égérie qui le relargue au grade de prétendu ou vous êtes d’une méchanceté naturelle?

  2. Je pense que la combat est perdu, puisqu’on ne peut mélanger ultra-libéralisme et écologie, le monde entier prône pour l’ultra-libéralisme alors la planète ne pourra que subir la folie des hommes pour de l’argent qui ne sert à rien au bout du compte, engendrer des lignes de chiffres qui s’affichent sur de comptes bancaires via des disques dur sur le cloud ne résoudra jamais la pureté du monde d’hier….

  3. « cette adolescente suédoise s’est imposée dans les médias »
    Ou plus exactement, les médias se sont rués pour lui donner une phénoménale visibilité, avec derrière des « gouvernants » à l’affut, prompts à utiliser cette nouvelle et N ème manipulation pour imposer et justifier encore et toujours interdits, taxes, obligations, normes, surveillance et sur-impôts
    Que certains se laissent prendre à ces grotesques manoeuvres,ce pseudo phénomène lancé mondialement et savamment comme une nouvelle marque de chips dont il faut faire croire du jour au lendemain au caractère indispensable et branché, tant pis pour eux. Les autres ferment leurs télé et gardent leurs neurones intacts

  4. Cher Blogueur
    Votre comparaison entre Greta et Jeanne d’Arc me semble faire l’impasse sur une notion essentielle, pas du tout dans le vent du moment. Lisez, s’il vous plait  » Jehanne, la délivrance » de Dominique Blumenstihl-Roth (2013, Peleman). Et si nous passions à côté de l’essentiel, même 600 ans après ?

  5. Bravo Laurent pour la comparaison avec Jeanne d’Arc ! Vous me remontez le moral car, pour avoir osé la même comparaison sur un réseau social professionnel il y a quelques semaines, j’ai reçu une volée de bois vert. Vive Greta et son combat… qui est aussi le nôtre !

  6. Une enfant qui fait la morale a des adultes, une morale d’adultes, sur de arguments scientifiques d’adultes.Il y a quelque chose de contre nature, au sens figure.
    La cuestión est de savoir si au final,c’est productif ou contre productif

  7. Quelques miscellanées à propos d’un de mes ancêtres …
    Voici la « Robert Bruce’s March To Bannockburn », ou « Scots wha hae »: ( http://pocombelles.over-blog.com/page-3889735.html ), hymne de la garde écossaise de Jeanne d’Arc,au son de laquelle elle est entrée à Orléans; pour la version originelle:
    https://www.youtube.com/watch?v=W2Ni9rWfgkg
    Rappelons le contexte historique dans lequel Henri Wallon, mon trisaïeul , a canonisé Jeanne d’Arc:
    Ayant publié diverses biographies , sa Jeanne d’Arc , rééditée tout au long du XIXème siècle , plongeait en extase les républicains , comme le symbole de la résistance à l’oppression , jusqu’à mourir pour la patrie ; mais portait à l’épectase ( rime avec : extase ) les royalistes , comme étant l’archétype de la « vierge et martyre » , victime de sa foi ; comme il recevait le « tout-Paris » dans sa maison des Petites Dalles( https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Petites_Dalles ) , l’évêque d’Orléans
    ( https://www.youtube.com/watch?v=JoV8JlyxZVE ) lui révéla détenir aux archives épiscopales les minutes du procès de Jeanne d’Arc ; le seul ennui est qu’elles étaient inexploitables , en cursive gothique ; ni une, ni deux, Jules Quicherat ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Quicherat ) , directeur de l’École des Chartes , paléographe et franc-maçon , déchiffra le texte, Dupanloup apportant les arguments théologiques , et Wallon , les arguments historiques ; en 1894 , premier grade , le titre de vénérable ; en 1909 , deuxième grade , la béatification ; entretemps , avec la loi Combes , intervinrent les inventaires ( http://www.cparama.com/forum/cominac-t14879.html ) et la rupture des relations diplomatiques avec le St Siège . Rupture très handicapante pendant la première guerre mondiale ( le franc germinal dévalué ; 1,5 million de Morts Pour La France, autant de veuves , d’orphelins et d’invalides ; et rebelote avec la grippe espagnole ; bref , c’était le blues , version XXL … ) ; Georges Clémenceau , président du Conseil de 1917 à 1920 , grand franc-maçon sous l’Éternel , mandate Gabriel Hanotaux , ancien ministre des Affaires étrangères , via Henri-Louis Chapon, évêque de Nice ( qui avait refusé en 1901 de se « faire embrocher » par la Légion d’honneur ) , pour reprendre contact avec le Vatican : « D’accord , je vous ai traité de pape boche ! Cependant , mes compatriotes ont le moral dans les chaussettes ; vous ne pourriez pas me canoniser la petite Jeanne ? » ; Benoit XV de répliquer : « Banco ! » … Et c’est ainsi que la plus illustre des filles de France fut canonisée en 1920 par deux francs-maçons … comme quoi la Providence tire des lignes droites par des chemins sinueux !

    • Bravo Mr. Deltombe. Je viens d’apprendre quelque chose. Comme quoi on ne connaît pas tout de l’histoire et la « petite » histoire est toujours très intéressante et explique l’autre, la grande.

  8. Désolé d’être négatif, mais « ainsi sont, sont, sont, les petites marionettes … » de l »actuelle société du spectacle :
    http://www.msn.com/fr-fr/actualite/monde/greta-thunberg-son-voyage-en-bateau-aux-etats-unis-pas-si-%c3%a9colo-que-%c3%a7a/ar-AAFWKvZ?li=BBoJIji
    J’ai vécu toute ma jeunesse à la campagne et j’ai été « écologiste » avant que ce soit la mode, et ce n’est pas une gamine de 15 ans qui va me donner des leçons d’autant que de la compréhension du changement climatique est beaucoup plus compliqué que ça. Beaucoup l’ont compris et bien prétentieux ( à mon sens) est celui qui par des stigmatisations de « l’autre », celui qui pollue (…), a trouvé une ou des solutions pour freiner ce changement. Ces solutions ne sont et ne seront que ponctions dans la poche du blaireau de base pour le plus grand profit de nouvelles industries … encore plus polluantes > ex le tout électrique. Il existe déjà de lobby en ce sens…

    • Bonjour, critique justifiée, malgré tout, Greta T. touche un très très large « public » et à mon avis amène beaucoup de monde à réfléchir. Voici un lien vers des gens sérieux qui réfléchissent méthodiquement à la transition (et par exemple critiquent le tout électrique) THE SHIFT PROJECT : https://theshiftproject.org

  9. L’humanité frénétique, aveugle et sourde façonne son propre bûcher…#GretaThunbergetJeanned’Arc
    Merci LV

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