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Croissance et pétrole

L’objectif visé par tous les dirigeants de ce monde est la croissance, la sacrosainte croissance. Les économistes ne peuvent réfléchir l’économie qu’en terme de croissance. Or aujourd’hui celle n’est ni souhaitable ni possible.

Elle n’est pas souhaitable. Elle n’est pas souhaitable parce qu’elle menace les grands équilibres de la planète c’est-à-dire le climat et la biodiversité. Les spécialistes de ces questions sont unanimes pour penser que le PIB et la production énergétique sont directement liés. La croissance du PIB dépend de l’énergie distribuée. A l’origine de la croissance il y a toujours l’augmentation d’un flux physique.  Entre l’an 0 du calendrier romain et le début de la révolution industrielle, disons jusqu’en 1800, le PIB par habitant n’a pas quasiment pas varié en Europe. Pourquoi la croissance a-t-elle démarré autour de 1800 pour devenir structurelle avec une augmentation régulière de 1% par an ? Cette croissance structurelle date du moment où l’homme a découvert les énergies fossiles et a inventé les machines à moteur.

Pendant des siècles voire des millénaires, l’homme n’a pu compter que sur sa force musculaire parfois aidés par des outils ou par des animaux de traits ou encore par des machines comme les moulins à vents ou à eau. Aujourd’hui les machines à moteur alimentées par les énergies fossiles ont démultiplié notre puissance productive à un degré dont nous ne sommes guère conscients. C’est, disent les spécialistes, comme si chacun de nous disposait de l’équivalent de 500 esclaves énergétiques. Ou encore, du point de vue de l’énergie produite, un plein d’essence correspond à 4 années de travail humain.

La production économique consiste à transformer des ressources naturelles. Cette transformation nécessite du travail et ce travail est confiée à des machines qui développent bien plus d’énergie que nous. C’est grâce aux machines que nous avons pu chaque année augmenter la quantité de biens et de services disponibles par individu. Ce qui se traduit en terme économique par la hausse régulière du PIB et du pouvoir d’achat. Et cette hausse est totalement dépendante de la quantité d’énergie qu’un pays peut se procurer.

Et il ne faut pas compter sur les énergies renouvelables pour remplacer les énergies fossiles. Car dans la configuration actuelle les énergies renouvelables ne remplacent pas les énergies fossiles mais s’ajoutent à ces dernières. Et il est totalement illusoire de penser que les énergies renouvelables viendront se substituer aux énergies fossiles et au nucléaire. La croissance verte ça n’existe pas ! La réduction du volume de gaz à effet de serre, CO2 et méthane, ne se fera qu’au prix d’une contraction de l’économie et d’une baisse du pouvoir d’achat.

La croissance n’est par ailleurs plus possible du fait de l’épuisement des ressources énergétique. Il y a un fait qui a échappé aux économistes, c’est le pic pétrolier de 2007 qui a précédé la crise des subprimes de 2008. L’augmentation du prix du pétrole en 2007 correspond au début de la décroissance de la production du pétrole conventionnel. Ce qui ne signifie pas encore que les réserves soient épuisées, il reste de quoi exploser le climat, mais que les coups d’extraction sont de plus en plus élevés. Il faut creuser toujours plus loin toujours plus profond. Ça devient de plus en plus difficile d’extraire cette énergie. Au début de l’ère du pétrole, il suffisait d’un baril pour en extraire 99. C’est ce qu’on appelle le taux de retour énergétique, en 1990 ce taux était de 1 sur 35, il est aujourd’hui de 1 sur 20 en moyenne. Il faut noter par ailleurs que la croissance du point de vue des indicateurs physiques (production industrielle, nombre de mètres-carrés construits) s’est arrêtée en Europe en 2007.

De toutes les énergies, c’est le pétrole qui est le plus corrélé à la croissance. La croissance est directement proportionnelle au pétrole qu’on met dans le système. Les courbes du PIB mondial et de la production de pétrole évoluent dans le même sens. Le pétrole pilote le PIB. C’est un fait qui échappe aux économistes habitués à raisonner à partir du capital et du travail et qui éludent le problème de l’énergie.

Dans le mixte mondial le pétrole représente un tiers de l’énergie primaire et dans l’énergie finale, celle qui sort du système et qui est mise à la disposition du consommateur, la part du pétrole est de plus de 40%. Le pétrole domine le mixte énergétique mondiale de la tête et des épaules et dans le système de transport qui est aujourd’hui le sang du système économique mondiale la part du pétrole est de 98%. Le transport et le commerce du pétrole équivaut en dollars par an à la valeur de tous les autres produits échangés dans le monde. Notons aussi que notre agriculture est 100% dépendant du pétrole (fabrication des engrais, machines agricoles, acheminement des denrées vers les mégapoles). Les prix de denrées alimentaires et plus particulièrement des céréales suivent le prix du pétrole.

Notre société a besoin d’un système d’aide et de financement pour maintenir cette extraction et inversement elle a besoin de cette puissance du pétrole pour assurer la croissance et le système d’aide. Dès qu’il n’y a plus de croissance tout le système financier s’écroule comme un château de cartes. Notre civilisation thermo industrielle a créé un cercle vicieux entre énergie et finance.

Elle peut bien s’effondrer si nous persévérons à fonder notre avenir sur ce couple infernal[1].

En d’autres termes, on est dans une mauvaise situation en échelle de temps en ce sens qu’il y a trop d’énergie fossile sur cette terre pour compter sur sa limitation pour sauver le climat mais qu’il n’y en a déjà plus assez pour compter sur son abondance pour faire redémarrer l’économie européenne.


[1] Ce billet a pour sources :

– l’ouvrage de Jean-Marc Jancovici Dormez tranquilles jusqu’en 2100 et autres malentendus sur le climat et l’énergie. Editions Odile Jacob.

– Les conférences de Pablo Servigne accessibles sur You Tube 

Laurent Vercoustre

Un Commentaire

  1. Oui … Merci de tirer la sonnette d’alarme : trop peu de gens sont conscients de cette fausse route (la croissance à tout crin ! de notre civilisation thermo-industrielle). Il va nous falloir apprendre à vivre en respectant la nature sans croissance et il va falloir accepter notre finitude …

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