11

Covid-19 et evidence-based medecine

Des débats sans fin sur la chloroquine ont mis le feu aux réseaux sociaux, aux plateaux de télévision et à la presse internationale. Au cours de ces débats, on a assisté à une remise en cause de l’evidence-based medecine et de son outil « étalon or » l’essai clinique randomisé en double insu et contre-placebo.

Comme si ce virus et la peur qu’il véhicule avait fait régressé les esprits vers des conceptions simplistes d’un autre temps. Le Professeur Raoult a fait sa gloire en dénigrant les règles de l’EBM. Il a obtenu des guérisons avec l’hydroxychloroquine, il avait donc raison. La guérison ne prouve rien, Claude Bernard l’avait compris et écrivait en 1865 dans son Introduction à la médecine expérimentale : « Un médecin qui essaye un traitement et qui guérit ses malades est porté à croire que la guérison est due à son traitement. Souvent des médecins se vantent d’avoir guéri tous leurs malades par un remède qu’ils ont employé. Mais la première chose qu’il faudrait leur demander, ce serait s’ils ont essayé de ne rien faire, c’est-à-dire de ne pas traiter d’autres malades ; car, autrement, comment savoir si c’est le remède ou la nature qui a guéri »

Selon la philosophe Isabelle Stengers, l’histoire de l’évaluation des thérapeutiques commence en 1784, avec l’évaluation du magnétisme animal de Mesmer par la commission chargée par le roi et présidée par Benjamin Franklin. La commission mit au point une étude comparative et conclut que ce n’était pas le magnétisme animal qui guérissait mais l’imagination, ce qu’on appelle aujourd’hui l’effet placebo. Ainsi, depuis ce temps, la médecine occidentale scientifique considère que la guérison ne prouve rien.

Après 1784, on a évolué progressivement d’une légitimité fondée sur le succès thérapeutique à une légitimité fondée sur une explication rationnelle de l’efficacité thérapeutique.  Ainsi pendant 150 ans, la médecine va chercher dans les mécanismes biologiques découverts au laboratoire (sciences pharmacologiques, physiologie, bactériologie, etc.) la légitimité de ses thérapeutiques.

Pourtant, l’essai clinique randomisé (ECR) va remettre en cause cette légitimité déduite de la biologie. L’exemple emblématique est l’étude ugdp [1], évaluant l’efficacité des traitements antidiabétiques dans le diabète non insulino-dépendant. Cet essai, débuté dans les années 1960 et d’une durée de dix ans, va montrer que diminuer la glycémie par des médicaments comme la tolbutamide ou la phenformine est non seulement inefficace (ces médicaments ne préviennent pas les complications du diabète), mais dangereux : la mortalité du groupe de patients traités sera plus importante avec les médicaments qu’avec le placebo. Cette étude sera l’objet de l’une des plus grandes controverses de l’histoire des thérapeutiques [2]. Elle montre qu’on ne peut se fier uniquement au raisonnement physiopathologique pour légitimer une thérapeutique et que dans certains cas le raisonnement physiopathologique peut se retourner et faire courir des risques aux patients.

Ainsi, avec l’avènement des ECR, une nouvelle légitimité thérapeutique va s’imposer. Une thérapeutique doit désormais prouver son efficacité en clinique, c’est-à-dire chez des malades, et non pas uniquement sur des cellules, des tissus ou sur l’animal. Désormais l’objectif du médecin n’est pas de diminuer le cholestérol ou la glycémie mais de prévenir les infarctus et les complications du diabète. Avec l’ECR, la médecine s’est dotée d’un outil capable de tester les hypothèses issues des sciences fondamentales et de donner une réponse pragmatique aux questions d’efficacité et de sécurité clinique. C’est maintenant le médecin avec l’aide des statisticiens qui a le pouvoir de légitimer une thérapeutique.

Seules des essais randomisés pourront répondre à la question de l’efficacité de l’hydrochloroquine sur le covid-19. Déjà les résultats de l’essai anglais Recovery ont sérieusement ruiné l’espoir qu’on avait si intensément mis dans l’hydrochloroquine. Il y a aussi un essai randomisé, en double aveugle, mené aux États-Unis et au Canada, testant l’hydroxychloroquine comme prophylaxie post-exposition chez des soignants. Là encore l’efficacité de l’hydroxychloroquine n’a pu être démontrée[3].


[1] “ugdp: a study of the effects of hypoglycemic agents on vascular complications in patients with adult-onset diabetes: II. Mortality results”, Diabetes 1970, (S2), p. 785-830.

[2] Harry Marks, La Médecine des preuves. Histoire et anthropologie des essais cliniques [1900-1990], Le Plessis-Robinson, Synthélabo, Les Empêcheurs de penser en rond, 1999.

[3] https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2016638?query=featured_home

Laurent Vercoustre

11 Commentaires

  1. mais donner(par la randomisation etc.....De même ne demandons pas aux autres pratiques ce qui sort de leur champs d'expertise et d'empirisme......

    Cher confrère Laurent Vercouste, je me permets d’attirer votre attention ,concernant les postulats scientifiques differents ( mais complémentaires) entre Claude Bernard et Médecine des évidences…..et Hahneman pour les médecines énergétiques dont l’homéopathie….Pour avoir pratiqué les deux pendant quarante années(comme beaucoup de mes confrères de l’époque) je peux vous dire que la première approche traite les maladies alors que la seconde traite les malades….Je pense que vous me suivez (même si vous n’êtes pas » entré » dans cet univers particulier des médecines dites « parallèles » Ne demandons pas à la médecine analytique des évidences ce qu’elle ne pourra ja

  2. Laurent Vercoustre vous avez lu les résultats de recovery avec attention ? ….et le protocole extravagant des américains qui prétendent avoir démontré que l’HCQ ne prévenait pas la contamination par le SARS-CoV-2 ?

  3. Bonjour monsieur….
    Je ne connais pas vos fonctions ni vos titres, mais votre article interessant sur l’ EBM ,et les études contre placebos me conduisent à conclure:
    En médecine clinique aucune place à l’intuition…
    Donc nous êtres humains devenons inutiles en tout cas en médecine….il est temps de passer la main aux IA …..dr Erbibou médecin généraliste

  4. Les essais thérapeutiques sont certes une nécessité, mais il faut insister sur les biais et les pièges méthodologiques fréquents et loin d’être faciles à éviter (quand ils ne sont pas plus ou moins volontaires pour « faire mousser ». C’est particulièrement vrai pour les études sur le Covid, dans l’urgence et sous les feux des media

  5. Que voulez-vous dire ?  » Le traitement marche ? Tant mieux . Il ne marche pas ? tant pis  » Pour savoir si le traitement a une efficacité l’essai contrôlé est incontournable , car l’intuition des cliniciens n’offre absolument aucune garantie, si elle ne s’appuie pas sur des données factuelles . L’attitude vis à vis d’une maladie qui a une létalité de 5 pour 1000, n’est pas la même qu’avec une infection aussi meurtrière qu ‘Ebola dont la létalité est de 40 à 80% . Il faut savoir que le premier grand essai contrôlé randomisé a eu lieu en 1948 et qu’il testait l’efficacité de la Streptomycine dans une forme de tuberculose pulmonaire en Angleterre . Vers la même époque la streptomycine a été étudiée dans le traitement de la méningite tuberculeuse . Etant donné la létalité de cette affection proche de 100% il n’a pas été utile de faire ce type d’essai pour prouver son efficacité . Tout est dans la mesure : les ECR sont incontournables dans les affections susceptibles de guérir spontanément ( comme la Covid 19) ou d’évoluer pendant de longues années, contrairement aux affections très meurtrières où l’on peut constater rapidement le résultat .

    • « Pour savoir si le traitement a une efficacité l’essai contrôlé est incontournable » , c’est exactement ce que je dis dans mon billet, je ne vois pas où est l’ambiguïté dans mon texte.

  6. Vous écrivez, et je vous suis :  » remise en cause de l’evidence-based medecine et de son outil « étalon or » l’essai clinique randomisé en double insu et contre-placebo « . Fin de citation.
    Que vaut donc l’étalon de métal précieux ?
    Randomisation = technique faisant appel au hasard. Le hazard, mot arabe, dit ce qu’il est : un simple jeu de dé. La science en abuse alors que la physique est incapable de nous faire comprendre pourquoi le 1 (ou autre) sort ou ne sort pas. Cf les travaux de Philippe Guillemant sur l’impossibilité de calculer la trajectoire d’un billard avec seulement 6 rebonds d’une boule.
    – Le contre placebo ? Personne n’est capable en 2020 de dire comment et pourquoi telle ou telle situation évolue ( ou pas) vers une amélioration non liée à l’action pharmacologique ( ou physique) d’une substance ou d’un agent. Les neurosciences n’ont rien à dire et la psychiatrie se garde bien de sortir du champ de l’observation clinique. Le placebo est bien une évidence, et qui emmerde bien les pharmacologues, mais il échappe à tioute analyse scientifique.
    Pauvre étalon or, nos EBMophiles ne parviennent pas, en bon alchimistes, à tranformer le plomb en or. Ce n’est pas grave, la connaissance n’évolue jamais autrement que par la reconnaissance de ses limites. Etre EBMophobe est alimenter une opposition qui est improductive.

    • Merci pour votre réaction, mais je ne parviens pas à vous situer. Etes-vous EBMphobe ou EBMphile? Je vous rappelle tout de même que le hasard a ses lois et que la physique quantique est fondée sur des probabilités.

  7. Les essais randomisés seront bien sûr nécessaires. Mais là, nous n’avions pas le temps d’attendre. Le traitement marche? Tant mieux. Il ne marche pas? Tant pis, mais au moins on aura tenté quelque chose pour les patients.

    • Pas le temps pas le temps si le Professeur Raoult avait mené une étude sérieuse dés le début mi février début mars dont il connaissait les exigences pour avoir participé à une étude semblable contre le chikungunya avec la même molécule nous n’en serions pas là.
      Ramené à la population c’est dans les bouches du Rhône qu’il y a le plus grand nombre de DC de la façade Méditérranée et pourtant c’est là qu’a été consommé le + de chloroquine ! que faire?

Répondre à PICOT Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec * Pour information, Laurent Vercoustre ne répondra pas aux commentaires anonymes.