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Le big bang des professions médicales!

Ce qui s’est joué à l’assemblée nationale et au sénat début novembre est d’une importance capitale : il s’agit de l’accès direct à plusieurs professions paramédicales, sans passer par la case médecin.

Et ce qui devait arriver arriva. Comme un seul homme, les syndicats se sont dressés contre cette réforme « Tout s’est fait sans concertation, sans discussion, au hasard d’un amendement d’un député » réagit le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF . Certains craignent  le démantèlement de la médecine libérale. Le président d’Avenir Spé, le Dr Patrick Gasser, va jusqu’ à considérer que « cela ressemble même à l’exercice illégal de la médecine ». L’Ordre naturellement soutient les opposants ce qui a fait réagir Olivier Veran . « Quand je vois l’Ordre national, pour qui j’ai beaucoup de respect, faire des communications pour torpiller toute velléité qui consiste à permettre à des soignants paramédicaux parfaitement compétents de participer à l’offre de soins dans les territoires (…), je me dis que je ne serai pas le ministre qui freinera par rapport à cela » C’est toujours la même histoire qui se répète depuis la Loi Chevandier votée le 30 novembre 1892. Loi qui, au terme d’une lutte féroce avec les pouvoirs publics, met fin aux officiers de santé et consacre le monopole des docteurs en médecine (1).

Le découpage actuel des professions de santé n’est plus adapté à l’évolution des pratiques. Au cours des trois dernières décennies, le champ des spécialités s’est profondément transformé. Chaque spécialité s’est subdivisée en un certain nombre de surspécialités. Subdivision consécutive à l’apparition de nouvelles techniques. Nouvelles techniques qui engendrent de nouveaux spécialistes, requiert des gestuelles spécifiques et produisent de nouveaux savoirs. Ainsi dans ma spécialité, l’échographie a créé des échographistes, la fécondation in vitro (FIVE) des fivistes. Les spécialistes en ORL se trouvent confrontés à la même segmentation en domaines aussi distincts que les cancers de la sphère ORL, les troubles de l’audition, les pathologies de l’équilibre, les problèmes infectieux de la sphère ORL de la prime enfance. Le constat vaut pour la plupart des spécialités.

L’organisation actuelle a deux effets pervers :

– Elle contraint les praticiens à prendre en charge des techniques souvent très différentes. Dans le service où j’exerçais, un praticien pouvait dans la même journée opérer un cancer du sein,  s’occuper d’un accouchement difficile, faire des échographies de grossesse, ou encore prendre en charge des urgences gynécologiques. Cette polyvalence exigée aujourd’hui des spécialistes est sans doute la principale cause d’une qualité non optimum des soins.

– Elle ne permet pas un ajustement souple entre l’offre et la demande de soins. C’était le cas de l’ophtalmologie. Aujourd’hui les mesures prises par Olivier Veran vont permettre aux orthoptistes de réaliser des bilans, et de prescrire des lunettes ou des lentilles « pour les corrections faibles ». 

A ces nouveaux découpages des professions médicales  doivent correspondre de nouvelles formations. Dans un rapport du Sénat, élaboré avant la loi Santé, on lit cette pertinente analyse : « Il existe un vide dans la chaîne des compétences en matière de soins qui conduit les médecins à endosser des compétences qui ne nécessitent pas un niveau de formation aussi élevé, tandis qu’il engendre chez les professionnels paramédicaux à la fois une forme de frustration professionnelle et une déperdition des compétences. […] Ce vide résulte de l’organisation de la formation initiale des différentes professions de santé. Les qualifications intermédiaires sont pratiquement absentes de son organisation, ce qui se retrouve ensuite dans celles des métiers de santé. (2)  »

Il faut mettre fin au vieil ordre hiérarchique  qui distingue d’un côté les médecins de l’autre les paramédicaux. Les prérogatives des médecins sont beaucoup plus étendues que celles des paramédicaux. Leur capacité de prescription est illimitée, leur aptitude à réaliser des actes techniques est peu règlementée. À l’opposé, les prescriptions et les actes permis aux paramédicaux sont strictement codifiés. On ne peut que se réjouir des mesures prises par ce gouvernement : les infirmiers en pratique avancée (IPA) auront à titre expérimental (pour trois ans et dans trois régions) la primo prescription pour « certaines prescriptions soumises à prescription médicale dont la liste sera fixée par décret ».

Il est regrettable que les généralistes voient dans « l’infirmier avancé » un concurrent plutôt que l’occasion d’exercer leur véritable rôle dans le système de soins. Car la configuration actuelle atomisée autour d’une multitude de spécialités « abandonne les patients à leur sort d’errants d’un système qui produit des soins mais sûrement pas du mieux-être pour ceux qui sont affectés par la maladie (3). ».

Comment, devant cette atomisation des spécialités, ne pas percevoir l’impérieuse nécessité d’un maître d’œuvre. D’un médecin qui oriente le patient, aujourd’hui désemparé, qui ne sait à quelle porte il doit s’adresser. D’un médecin qui coordonne les étapes du parcours de soins. D’un médecin qui ne raisonne plus seulement à l’horizon des évènements pathologiques mais du cycle de vie du patient. C’est à l’évidence au généraliste que revient ce rôle.

 Tandis que dans certains pays, le transfert des compétences est depuis longtemps un acquis (en Suède, les patients n’ont pas accès directement au médecin dans les cas de pathologies bénignes), l’opposition  farouche du corps médical montrent que nous en sommes toujours à l’esprit de la loi Chevandier !. La fronde s’organise mais de façon encore dispersée. La CSMF compte sur  des amendements des sénateurs alliés pour  supprimer ces accès directs. MG France a écrit une lettre ouverte aux députés et appelle les médecins à ne plus participer aux expérimentations du Service d’accès aux soins (SAS). L’UFML, présidée par le Dr Jérôme Marty appelle les praticiens à la grève à partir du 1er décembre.

Ces réformes vont pourtant dans le bon sens. Le déblocage épistémologique de notre système santé ne sera possible qu’à la condition de s’attaquer en priorité au chantier des métiers de santé, faute de quoi notre système n’évoluera pas d’un pouce.

(1) Voire billet : « Le docteur Bovary …et les désert médicaux »

(2) Rapport n° 653 du 22 juillet, tome I Sénat, d’Alain Milon, Catherine Deroche et Élisabeth Doineau, fait au nom de la commission des affaires sociales, p. 295.

(3) C. Saout, « La crise de confiance dans le système de santé », les tribunes de la santé (Sève), printemps 2009


Laurent Vercoustre

7 Commentaires

  1. Titre inadapté : LE BIG BANG est le point de départ d’une expansion ici ce serait plutôt un CLAP DE FIN. Je m’explique:
    1°) Télémédecine pouvant très prochainement être pratiquée par une IA qui pourra aussi au retour, interpréter les examens paracliniques.;
    2°) Dématérialisation des prescriptions y compris paracliniques,
    3°) Affranchissement des paramédicaux de la « tutelle » du médecin:
    4°) Tout ceci, fait abstraction de l’examen clinique,qui nécessite seul la présence physique du médecin, examen clinique dont on n’apprend plus guère que les rudiments, la paraclinique n’étant plus une aide au diagnostic mais le diagnostic lui-même.
    CONCLUSION : Il ne s’agit pas de s’appesantir sur les détails judicieux ou non.
    Le médecin ne servant donc plus à rien peut ET VA rapidement disparaître sauf quelques rares cas.
    Je rève? Vérifiez! Cette politique des petits pas va toujours dans le même sens comme les espigaou en Provence.A notre époque où tout doit être science, on nous dit clairement que la Médecine n’est pas une Science et qu’en tant que Non-scientifiques nous devrons nous effacer.
    Trouvez-vous ça réjouissant? (le bon sens, l’exemple suédois…)
    Moi, je ne m’en réjouis pas. Après 40 ans d’exercice, j’aimais encore notre art et suis sincèrement désolé de voir l’aveuglement de mes confrères, y compris de ceux qui protestent mais qui, le nez dans le guidon, ne voient pas plus loin que leur roue avant.
    Y a-t-il quelqu’un pour regarder un peu la route?
    @Laurent Vercoustre : Désolé, mon premier mouvement était de laisser tomber.

    • Merci pour votre riche réaction.Nous nous dirigeons en effet vers une toute autre médecine. Le vieil ordre de la clinique ( voire mon billet : Naissance de la clinique) est en voie de disparition. La médecine que nous allons pratiquer sera-t-elle meilleure ou moins efficace? A cette question nul ne peut répondre, si ce n’est que nous franchissons un seuil épistémologique.

      • Comme écrit un médecin dans ce journal  » l’ Intelligence Artificielle ne remplacera jamais le généraliste dont l’intelligence perçoit un nombre impressionnant de paramètres.  » Cela mérite méditation. Il conclut que L’IA NE REMPLACERA JAMAIS LE GÉNÉRALISTE.

  2. Depuis quelques temps, si vous prenez rendez-vous avec un ophtalmo, il y a de grandes chances pour que vous passiez d’abord un long moment avec un (plutôt une) orthoptiste : acuité visuelle, pression oculaire, OCT, etc.
    Ensuite, vous verrez rapidement le médecin qui, lui, regardera son ordinateur.
    Et vous aurez droit à deux factures : la petite de l’orthoptiste, la grosse, de préférence avec dépassement d’honoraires, du médecin; et bien sûr, la prescription.

    • C’est en effet déjà ainsi que cela se passe souvent. Vous oubliez la 3e facture : celle de l’opticien, la plus coûteuse pour l’assuré social…

  3. petite intervention pour vous faire remarquer que les réponses de vos confrères a ce sujet ont été nombreuses.
    vous feriez mieux de faire un tuto sur la réparations des fuites dans une piscine ils seraient un peu plus motivés pour vous suivre
    Bon courage.

    • Il faudra aussi bientôt ajouter la facture de la plate-forme de rendez-vous qui pourra aussi à court terme assurer la téléconsultation.
      L’abandon de l’examen clinique diminue la sensibilité et la spécificité des examens dits à l’époque complémentaire, pour compenser cette perte, les examens paracliniques coûteux plus nombreux seront nécessaires.conduisant à davantage de concentration des outils diagnostics.

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