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Projet de réforme de l’assurance maladie

Le projet de réforme de notre système d’assurance maladie court dans l’air du temps. Déjà au début de cette année le HCAAM publiait un rapport intitulé « la place de la complémentaire santé et prévoyance en France ». Puis au mois de juin dernier, la Cours des Comptes présentait un rapport nommé « les complémentaires santé : un système très protecteur mais peu efficace ». Au moi juillet, Olivier Véran demandait au HCAAM de plancher  à nouveau sur le sujet et de lui proposer une étude approfondie avec différents scénarios et leurs conséquences concrètes. Le 12 novembre dernier le HCAAM rendait sa copie sous l’intitulé « Projet de rapport du HCAAM sur l’articulation entre assurance maladie obligatoire et complémentaires ».

Le titre donné par la Cours des Comptes à son rapport est surprenant, on pourrait même dire antinomique : « les complémentaires santé : un système très protecteur mais peu efficace ».  Si la finalité de l’assurance maladie est la protection, pourquoi alors est-elle peu efficace ? Il y a sans doute derrière cette affirmation l’idée que notre système d’assurance maladie est certes protecteur — c’est en effet l’un des plus protecteurs parmi les pays de l’OCDE— mais que cette protection a un coût très lourd. La France est l’un des pays les plus dépensiers comparée à ses voisins européens. En 2017, 11,3 % du PIB était consacré aux dépenses de santé, soit la part la plus élevée de l’Union européenne avec l’Allemagne[1].

Dressons l’état des lieux de notre assurance maladie. On voit que toutes les études que nous avons citées au début de ce billet posent le problème de l’ensemble du système d’assurance maladie à partir des complémentaires santé (AMC).  Il faut dire en effet que, par rapport aux pays européens comparables, l’assurance privée en France a trois spécificités : elle a une fonction essentiellement complémentaire, elle concerne un pourcentage élevé de la population ( 96%), elle couvre un pourcentage important, soit 13,7 %[2] du total des dépenses de santé. C’est cinq fois plus que chez nos voisins, en particulier l’Allemagne, où l’assurance complémentaire se cantonne, pour l’essentiel, au remboursement de dépenses spécifiques (optique et dentaire).

L’importance des frais de gestion est le premier reproche qu’on peut adresser à notre système. Ces dépenses ont ainsi atteint en 2018, 14,8 Md€ (+ 15,5 % en 10 ans). En 2019, les charges de gestion ont représenté 6,9 Mds € pour l’AMO (assurance médicale obligatoire) contre 7,6 Mds € pour l’AMC , faisant de la France le deuxième pays après les États-Unis où les frais de gestion du système de santé sont les plus élevés. On voit que les frais de gestion de l’AMC dépassent ceux de la AMO, alors que le  volume des remboursements de l’AMC ne représente que 13% de la CBSM ( consommation de soins et de biens médicaux).

« De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Ce principe fondateur de notre système connus sous le nom de « pacte de 1945 » résume l’exigence de ceux qui ont fondé notre sécurité sociale. Force est de reconnaître que nous l’avons trahi et que notre système est aujourd’hui très inégalitaire.

Prenons à titre d’exemple les contrats collectifs souscrits par les entreprises privées au bénéfice de leurs employés. Ces contrats collectifs sont plus protecteurs que les contrats individuels. Les différences vont du simple au double pour l’optique, le dentaire et les audioprothèses. C’est la loi de sécurisation de l’emploi du 13 juin 2013 qui avait rendu obligatoire la souscription d’une complémentaire santé par les entreprises du secteur privé pour tous leurs salariés. On voit dans cette mesure que l’État  exerce un contrôle sur les AMC. De fait  jamais le contenu des garanties que les AMC peuvent proposer n’a été aussi encadré et jamais la concurrence entre les organismes n’a été si intense.

Si le reste à charge moyen par habitant après intervention par l’assurance maladie obligatoire était, en 2017, d’environ 620 €, et de 213 € après intervention des complémentaires santé, soit le taux le plus faible des pays de l’OCDE, cette moyenne cache la forte dispersion entre les assurés sociaux. Ainsi les 10 % des patients,  le plus souvent des personnes âgés, ayant les RAC les plus élevés avaient un RAC supérieur à 2 200 € par an, et 1 % des patients avait un RAC supérieur à 5 400 € par an (dû pour plus de la moitié à la liberté tarifaire).

Enfin notre système laisse de côté les populations précaires. C’est ainsi que 14,4 millions de personnes seraient éligibles à la CSS (complémentaire santé solidarité[3]), contre 7 millions qui en sont effectivement bénéficiaires, soit un taux de recours de 50 %.

Notre assurance maladie est constituée d’un empilement de dispositifs législatifs et souffre d’un manque de lisibilité. Une réforme est en route. Son objectif est de détricoter  cet enchevêtrement.  Le HCAAM dans son dernier rapport a proposé quatre scénarios. Nous les examinerons sans doute à l’occasion d’un prochain billet.

Le design de l’assurance-maladie ne doit pas être pensé indépendamment de la question du pilotage de l’offre de soins. On peut toujours modifier l’assurance maladie, mais si on ne maîtrise pas le volume des soins, on court à la faillite du système. La diminution des dépenses de santé impose d’agir d’abord sur l’offre de soins. Les différents scénarios du HCAAM répondent-ils à cette exigence ?  Dernière chose, les titres des trois rapports (HCAAM, Cours des compte) présentent la situation à partir de la question des mutuelles. Comme s’il s’agissait simplement de revoir l’articulation de notre assurance maladie avec les mutuelles. Et quand on lit les textes plus à fond, on s’aperçoit que c’est tout le système qu’il est question de réformer. Par ailleurs le mot réformer est peu utilisé. Est-ce une façon de se voiler la face devant l’énormité de la tâche à accomplir ?


[1] Selon les données publiées par la Commission européenne et l’OCDE

[2] Chiffre en 2017

[3] A partir du 1er novembre 2019, la CMU-C (Couverture maladie universelle complémentaire) et l’ACS (Aide à la complémentaire santé) ont fusionné pour devenir la CSS (complémentaire santé solidaire.)

Laurent Vercoustre

4 Commentaires

  1. Bonjour Docteur L.Vercoustre. Juste 2 observations :
    Vous dites : »Comme s’il s’agissait simplement de revoir l’articulation de notre assurance maladie avec les mutuelles. Et quand on lit les textes plus à fond, on s’aperçoit que c’est tout le système qu’il est question de réformer.  » pour moi, vieil assuré, plus une réforme, c’est une destruction de l’assurance maladie au profit d’assurances privées ( Mutuelles peut-être) car il y a énormement d’argent à se faire. Avez vous vu le nombre de plus en plus grand de Mutuelles qui se sont crées ces dernières années, conf. leur publicité T.V et autres médias.
    Quant aux Mutuelles de groupe, qu’en est-il lorsqu’un employé change d’employeur et même de profession dans un secteur où il n’y a pas d’accord de branche, en plus s’il est âgé ?

  2. Merci pour votre article très éclairant, à bientôt pour lire la suite.
    J’ai travaillé sur les questions de santé avec un élu parlementaire, il existe pour les exclus .es de la complémentaire santé, le dispositif « Ma commune, ma santé » qui permet de négocier des contrats de groupe au niveau communal, ce qui réduit les abus de tarifs des contrats individuels.
    Je suis de Nouvelle Aquitaine et de nombreuses communes ont adopté ce dispositif.
    A bientôt de vous lire.
    Marcel Bouzard de La Rochelle.

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