3

Le phénomène Nadal

Mené deux sets à zéro, trois jeux à deux, quarante à zéro, qui peut à cet instant de la finale de l’Open d’Australie croire encore à une victoire de Rafael Nadal ? Après tout, le moment n’est-il pas venu  de céder la place à la jeune génération. Les 35 ans de Nadal ne doivent-ils pas s’incliner devant les 26 ans de Daniil Medvedev son adversaire. C’est mal connaître le phénomène Nadal qui empoche les trois sets suivants et ajoute à son compteur une 21e victoire en grand chelem.   21 victoire c’est une de plus que ses principaux rivaux Novak Djokovic et Roger Federer.

Mais c’est surtout son incroyable série de victoires à Rolland Garros qui font le phénomène Nadal. Avec quatorze victoires, Nadal réalise sans doute la performance sportive la plus remarquable de ce siècle. Comment expliquer cette réussite hors norme ?

La nature n’a pas doté Nadal d’un talent inné, il n’a pas le tennis étincelant d’un Mac Enroe ni la gestuelle épurée d’un Federer. Sa réussite il la doit à un travail qui a débuté dès son enfance. Dans la famille on cultive les valeurs du sport de haut niveau. Un de ses oncles est footballeur au FC Barcelone et l’autre, Toni, entraineur de tennis. Toni prend Rafa sous son aile dès la prime enfance. Entre ces deux-là la relation est presque fusionnelle. Rafa voue une admiration et une obéissance sans borne à son oncle-coach. Toni impose au jeune Rafa un entraînement très rude au point que sa mère s’émeut qu’il soit aussi sévère avec un enfant de cet âge.

Il a 14 ans quand il s’offre une victoire contre Pat Cash, un monstre sacré du tennis qui a gagné Wimbledon ! Cette victoire le décide à entamer une carrière professionnelle. Il progresse très rapidement  au classement ATP jusqu’à son premier sacre à Rolland Garros en 2005, à l’âge de 19 ans. La terre battue est son jardin, car, il le dit lui-même, sur terre battue on peut mettre au point une stratégie en fonction de son adversaire. Il est aussi capable de gagner des tournois du grand chelem sur d’autres surfaces. En 2008, il réussit à vaincre à Wimbledon le quintuple tenant du titre, Roger Federer, au terme d’un match d’anthologie qui a duré 4h 40.  Il devient le second joueur après Bjön Borg à gagner consécutivement Rolland Garros et Wimbledon. Il gagnera Wimbledon à nouveau en 2010. S’ajoutent à son palmarès quatre US Open et deux Open d’Australie !

Quelle est le secret de sa technique ? Nadal  a d’abord une  stupéfiante singularité : il est droitier et joue au tennis de la main gauche. Dans les gestes de la vie courante, il se sert de sa main droite, il écrit, il mange de la main droite et lorsqu’on lui envoie une balle c’est encore avec la main droite qu’il s’en saisit. Lorsqu’il joue au tennis, c’est sa main gauche qui exécute son redoutable coup droit. Enfant il tenait sa raquette des deux mains, plus tard, Toni l’a incité à jouer avec sa main gauche. Il joue comme un gaucher mais son œil directeur reste son œil droit, si bien qu’il peut avoir une préparation de coup droit beaucoup plus loin derrière sans quitter la balle des yeux et lui donner ainsi plus de vitesse.

Ce coup droit de droitier effectué par sa main gauche, il le réalise avec une technique qui n’appartient qu’à lui et qu’on a nommé la Nalada.  Pour qu’une balle aille vite, il faut une très forte rotation du buste et frapper le bras tendu. Et cela Rafa le fait à la perfection. Par ailleurs il ajuste parfaitement la rencontre  de sa raquette avec la balle : sa raquette est alors strictement perpendiculaire au sol, ce qui lui permet d’imprimer à la balle un lift d’une rare intensité. Le lift c’est le mouvement de la balle qui tourne sur elle-même. Celui de Nadal donne à la balle une vitesse de rotation qui peut aller jusqu’à 4000 tours minute. Federer est à 2000 ! Le coup droit de Nadal est un coup qui tue, il pilonne l’adversaire avec des balles à la fois très lourdes et à trajectoires flottantes qui finissent par l’user.

Nadal a des qualités de résistance à l’effort qui sont au-dessus de la moyenne. Les matchs peuvent durer 5 ou 6 heures, sa vitesse de déplacement est toujours la même. Rafa n’est pas le plus rapide sur dix mètres, mais il est le plus rapide sur le mouvement accélération freinage. Sa musculation donne une impression de puissance. Pourtant sa masse musculaire est autant un atout qu’une fragilité. Elle est en effet responsable de ses nombreuses blessures . Son préparateur physique  a tout essayé pour qu’il soit moins musclé !

Mais par-delà toutes ses qualités physiques, c’est sans doute son mental qui fait la différence avec ses adversaires. Ce mental est d’abord fait d’humilité. Alors qu’il est le favori d’un tournoi, il se présente comme un outsider. Tout obstacle, toute déconvenue ne l’abattent pas mais sont pour lui autant de défis à relever. Nadal a cette faculté de se battre sur chaque point, à frapper chaque balle avec 100% d’envie, 100% d’intensité, 100% de concentration.

Malheureusement la belle machine Nadal a son talon d’Achille ( on ne pouvait mieux dire !). Il souffre en effet depuis l’âge de 18 ans du syndrome de Müller-Weiss. Cette maladie incurable atteint  un os du pied, le scaphoïde tarsien qui se nécrose progressivement pour des raisons qu’on ignore.  « Je vis avec une tonne d’anti-inflammatoires au quotidien pour me donner une chance de pouvoir m’entraîner. […] Si je n’en prends pas, je boite » explique Nadal.

Comment Nadal peut-il dominer ainsi le tennis mondial depuis tant d’années avec un mal qui lui ronge le pied, c’est aussi cela le phénomène Nadal !

Laurent Vercoustre

3 Commentaires

  1. Merci Laurent pour ce papier qui m’a appris beaucoup sur le phénomène Nadal. Un exemple d’adaptation en somme pleine d’humanité !

  2. Très beau billet, Laurent je connaissais pas toutes ces particularités du jeu de Nadal .
    Très intéressant.
    Merci à vous.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec * Pour information, Laurent Vercoustre ne répondra pas aux commentaires anonymes.