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Quatrième année pour les internes de médecine générale, une réforme… misérable

Dans un précédent billet j’avais proposé une explication au surmenage des internes à l’hôpital. C’est, à mon sens, la distribution du pouvoir à l’hôpital qui en est la cause. Les chefs de service ou de département n’ont pas de réels pouvoirs sur les autres praticiens. Les textes administratifs leur attribuent un pouvoir fonctionnel, je n’ai jamais compris ce que voulait dire fonctionnel, ce qui est sûr  c’est que ce pouvoir ne leur donne pas la possibilité de « faire exécuter » une tâche par un praticien leur service . Cette évanescence du pouvoir à l’hôpital public est sans doute l’une des raisons cruciales de son dysfonctionnement.[[1]]Voici une pertinente analyse de ce pouvoir introuvable à l’hôpital public :« nous considérons qu’il existe peu d’organismes où l’exercice de l’autorité est aussi difficultueux qu’à l’hôpital public et où les règles de la hiérarchie sont aussi indéfinissables. L’hôpital c’est un peu le lieu où tout le monde commande. Nous ne vou­drions pas ajouter, dans certains cas, le lieu où personne n’obéit [2]».[2]

Et en définitive, seul l’interne se trouve dans un rapport hiérarchique, il est subordonné au chef de service et doit exécuter les tâches que celui-ci  lui prescrit. D’où le chef de service tient-il son pouvoir ? Simplement du fait que c’est lui qui valide ou non le stage de l’interne.

C’est ainsi que les internes jouent à l’hôpital le rôle de « variable d’ajustement ». Dès que l’activité du service augmente, ce sont eux  qui sont requis pour absorber le surcroît de travail. Cette formule «  variable d’ajustement » je l’ai retrouvée dans la bouche de François Ruffin  à propos de cette 4e année imposée aux internes de médecine générale : «  la jeunesse ne doit pas être une variable d’ajustement, dit-il, non seulement les internes vont continuer à tenir les hôpitaux, mais en plus ils vont devenir une main-d’œuvre corvéable à merci, sous-payée, pour la médecine de campagne. » Pour Ruffin,  double peine donc infligée aux internes à l’hôpital et à la « campagne ».

Même ressenti d’Olivia Fraigneau, présidente de l’ISNI : « Ce qu’on nous propose, c’est une année d’exploitation supplémentaire, on nous instrumentalise pour répondre à moindres frais aux problèmes de l’accès aux soins. » et du Syndicat des médecins libéraux (SML) : «  la mesure revient à faire porter sur les épaules de la jeunesse le poids de vingt-cinq ans d’erreurs des gouvernements successifs ». Bref, faute pour les internes de peser suffisamment dans le débat public, on les met en devoir de repeupler les déserts médicaux. Je ne peux ici résister à la tentation de paraphraser Lafontaine :

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cours vous rendrons intouchables ou corvéables.

Il faut être clair, cette 4e année n’est pas une année de formation s’inscrivant dans le prolongement d’un enseignement proprement médical.  « Je ne vois pas la plus-value en termes de formation, mais je comprends plutôt que cela permettrait de disposer d’un volant de main d’œuvre à répartir sur le territoire en piochant dans les étudiants » a lancé Pierre Dharéville (PCF). Cette quatrième année se présente plutôt comme une réquisition imposant  aux jeunes internes de remplir un devoir civique. Réquisition qui assigne aux avant-postes des déserts médicaux des jeunes médecins sans expérience. On promet  à ceux-ci un encadrement par un maître de stage universitaire (MSU). Il y a contradiction dans cette promesse, désert médical signifiant précisément territoire dépourvu de médecin.

 Par ailleurs notre ministre de la santé, François Braun, assure qu’« il n’y a jamais eu de condition d’obligation », mais plutôt des « incitations financières » pour que cette année supplémentaire soit effectuée dans les déserts médicaux. Où est la cohérence dans un pareil  discours:  ou bien on compte sur les internes pour résoudre le problème des déserts médicaux, il faut alors aller jusqu’au bout de son action et ne dispenser personne ou bien on ne compte pas sur eux et il faut trouver une autre solution ! On peut aussi craindre que cette obligation dissuade les internes de choisir la médecine générale, et se révèle ainsi contre-productive.

Bref cette réforme permet une fois de plus de renvoyer aux calendes « une véritable régulation de l’installation des médecins sur les territoires, pour les jeunes médecins, mais aussi les plus vieux. »[[3]] L’esprit de la Charte de la médecine libérale de 1927, toujours aussi vivace, se dresse une nouvelle fois pour affirmer la liberté d’installation et fait de nous l’exception française : nous sommes le seul pays d’Europe  à ne pas  disposer d’un système pour réguler l’installation des médecins [[4]]. Les tentatives, les textes de lois  proposés pour imposer une règle qui permettent une meilleure répartition des médecins ont tous échoué.

Enfin dernière surprise, cette réforme est incluse (article 23)  dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2023 (PLFSS). Ou plutôt avant dernière surprise, car, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République la Première ministre Élisabeth Borne  a « dégainé » l’article 49.3 pour imposer le PLFSS. Et ce, tandis que, le 14 octobre dernier, montait dans les rues le grondement de 10 000  jeunes internes en colère !

Cette réforme a quelque chose de …, comment le dire ? Oui c’est ça, quelque chose de misérable.


[[1]] Je développe plus longuement ce problème du pouvoir à l’hôpital dans un de mes premiers billets : https://blog.laurentvercoustre.lequotidiendumedecin.fr/wp-admin/post.php?post=71&action=edit

[[2]]Je rapporte cette citation dans mon ouvrage Faut-il supprimer les hôpitaux, l’hôpital au feu de Michel Foucault, Éditions L’Harmattan, Paris, 2009 : Dr Fortesa aux 3e Assises de l’Hospitalisation Publique, Revue Hospitalière de France n°225, novembre 1969, p. 1287.

[[3]]Patrice Diot, doyen de la faculté de médecine de Tours et ancien président de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé.

[[4]] https://blog.laurentvercoustre.lequotidiendumedecin.fr/2022/04/23/deserts-medicaux-2-benchmarking-lexception-francaise/

Laurent Vercoustre

8 Commentaires

  1. bonjour la nuance ne vous concernait pas mais s’adressait à beaucoup de nos confrères et/ou de commentateurs qui oublient quelques vérités de base. Le « ya Ka ilfokon » illustre ce manque de réflexion quand on n’est pas aux responsabilités ou que chacun ne voit qu’à travers son silo (ou son marteau de Winslow).

    • Merci pour cette mise au point.J’ai eu grand plaisir à vous lire.C’est en effet la première fois que j’entends une description aussi objective du statut du PH à l’hôpital public.Statut qui lui laisse une grande autonomie et le dispense de toute forme de subordination au chef de service.Votre témoignage ne va pas dans le sens du discours pleurnichard auquel on est habitué, qui prétend que l’hôpital évolue vers un mode de fonctionnement proche de l’entreprise. Ce qui imposerait aux PH des rythmes de travail difficilement soutenables.

  2. bonjour, une certaine nuance serait bienvenue. Les médecins doivent balayer devant leur porte. J’ai été chef de service pendant 30 ans, chef de pôle, administrateur d’un important CH avec une activité de territoire multisite (et une activité libérale clinique puis hôpital). Les directeurs d’hôpitaux sont soumis aussi à une dissonance cognitive (plus de missions à réaliser avec moins de moyens). De facto, les médecins ne rendent guère de compte. Ils s’installent où ils veulent (comme le précisez) et surtout, point fondamental, ils n’encourent guère de risque financier étant solvabilisés par la communauté nationale ! En clair, ceux qui ne sont pas contents peuvent s’installer sans problème en secteur non conventionné et ne pas avoir à répondre aux directives institutionnelles (en dehors de l’éthique et de la déontologie). Par exemple, je n’avais aucun pouvoir sur les PH du service. S’il y en avait un qui décidait de peu travailler (cas non exceptionnel), je ne pouvais rien faire (ni l’institution) en l’absence de faute. Pourtant, tout le personnel d’un CH doit rendre des comptes sur leur activité chaque année. De facto, les médecins échappent à cette règle de base, comme le précisez à juste titre (sans en être conscient de ce « privilège »). Ils font en général ce qu’il veulent sur leur prescription, leur horaire d’arrivée et de départ, et leur souhait ou non de participer aux gardes. Il y a bien sûr une large hétérogénéité entre les disciplines et les PH mais ce rappel devrait amener à plus de nuance dans les critiques. Pour beaucoup, la priorité n’est pas de privilégier les besoins de la population des territoires (par exemple, très difficile de les amener à aller travailler un jour par semaine dans un autre centre où les besoins sont pourtant importants malgré une prime financière correcte). Pour les internes, ils sont (parfois) « exploités » mais ils sont aussi en phase d’apprentissage et bénéficie (souvent) d’un accompagnage. Dans mon expérience, depuis 15 ans, les internes n’ont plus (sauf cas particulier) le même niveau d’engagement que ceux d’avant. Leur présence pour la contre visite est devenue très variable (même constat dans le service du CHU voisin). Comme nombre de jeunes d’aujourd’hui, ils sont à l’image de la société individualiste actuelle qui privilégie la qualité de vie au détriment de l’intérêt général. Ethiquement et déontologiquement, il est décevant de voir autant de professionnels de santé « quitter le navire » quand la population est en demande et même en souffrance sur le plan sanitaire et mentale. La population, notamment des territoires ruraux, a des besoins de santé recevables et pertinents (avoir un médecin traitant, ne pas attendre des mois pour une consultation spécialisée, assurer les urgences….) Bref, il est facile de crier haro sur le baudet mais n’oublions pas aussi de nettoyer devant notre porte. Merci pour votre attention.

    • Merci pour cette longue réaction. Je suis un peu étonné que vous me reprochiez un certain manque de nuance. Car vous décrivez avec beaucoup plus de précision que moi l’absence de pouvoir du chef de service sur ses PH : « je n’avais aucun pouvoir sur les PH du service. S’il y en avait un qui décidait de peu travailler (cas non exceptionnel), je ne pouvais rien faire (ni l’institution) en l’absence de faute. Pourtant, tout le personnel d’un CH doit rendre des comptes sur leur activité chaque année. De facto, les médecins échappent à cette règle de base, comme le précisez à juste titre (sans en être conscient de ce « privilège »). Ils font en général ce qu’il veulent sur leur prescription, leur horaire d’arrivée et de départ, et leur souhait ou non de participer aux gardes. » Je me réjouis de ce que vous dites, car je n’avais pas jusqu’à présent osé montrer la totale liberté dont jouissent les PH à l’hôpital public.

  3. Misérable, oui, d’intervenir sur les études de médecine ( 4 ans de spé MG) par une loi ( 49-3 en plus), et d’oublier de revoir totalement la première année des études médicales qui est un échec total, qui sacrifie beaucoup de jeunes par une réforme admise par tous comme insensée. Dans 10 ans, le problème ne sera toujours pas réglé. Mais Macron a une solution: inciter les anciens à continuer de travailler. Pourtant, il serait si simple d’arrêter d’emmerder les jeunes.
    Ce billet de L. V. était indispensable.

  4. Mais pourquoi subordonner la formation des internes à un pouvoir, à des obligations ? Tout le monde sait que le pouvoir permet des abus, du népotisme ; les jeunes internes, peut-être futur médecins généralistes, se trouvent ainsi plongé dans une spirale de formation qui leur fait croire que leur métier est avant tout un rapport de force même et surtout avec leurs futurs patients alors que leur relations devraient être basées sur la compétence. Leur subordination à un Chef de Service ( le sachant) devrait être basée sur leur compétences réelles et pas sur la crainte de la non validation de leur cursus par un Chef dont l’appréciation pourrait varier au gré de son humeur ou sa sympathie envers « l’élève ».
    Mais bon je suis peut-être hors sujet mais j’ai évolué dans un métier dans lequel on acceptait d’être aux ordres sur un engagement volontaire… ce qui est différent de celui basé sur le « serment d’ Hyppocrate ».

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