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Réflexions autour de la fermeture des petites maternités

Voilà qu’aujourd’hui un rapport rédigé sous la houlette du Professeur Yve Ville et soumis à l’Académie de médecine pose à nouveau la question de la fermeture des petites maternités.

Les maternités faisant moins de 1000 accouchements par an sont dans le collimateur des auteurs de ce rapport. Ce qui revient à réduire de 20% le nombre de maternités en France. Par ailleurs gynécologues, néonatalogistes, anesthésistes-réanimateurs déplorent une hausse de la mortalité infantile qui place notre pays au 25e rang européen alors qu’il occupait la seconde place en 2012. Si bien que le Dr Joëlle Belaisch-Allart, présidente du Collège national des gynécologues-obstétriciens français (CNGOF) en est venue à cette conclusion « seules de grandes structures seront à même de proposer une offre et une qualité de soins exigées par les usagers comme par les professionnels ».

À l’horizon de la présidente de la plus haute instance obstétricale de notre pays il n’y a qu’un seul « lieu pour naître » « les grandes structures », et rien d’autres. « Les grandes structures », ici en France, auraient le monopole de la naissance. Chez la plupart de nos voisins européens, allemand (150 maisons de la naissance), anglais, autrichien, pays nordiques, Pays-Bas les maisons de naissance et l’accouchement à domicile sont proposés aux femmes.

Relisons le texte de Madame le Docteur Dr Joëlle Belaisch-Allart : seules les grandes structures seront à même de proposer une offre et une qualité de soins ». Pourtant de l’autre côté de la Manche on affirme « qu’il existe des preuves scientifiques montrant qu’un accouchement sous l’autorité d’une sage-femme est plus sûr que l’hôpital pour une femme ne présentant pas de risques de complication. Le taux d’interventions, comme le recours aux forceps ou à la péridurale, est plus bas sans que la santé du bébé n’en pâtisse ».

À chaque fois que renaît la veille querelle entre les partisans de l’accouchement à domicile ou dans des maisons maternelles et ceux de l’accouchement à l’hôpital, les partisans de l’hôpital brandissent l’argument de l’hémorragie de la délivrance comme un argument imparable. Inutile de continuer à discuter, votre interlocuteur est persuadé de vous avoir mis KO.

L’obstétrique était mon métier, et de cette hémorragie de la délivrance, j’ai fait l’expérience suivante. Mettons d’abord en place le décor. Au Havre il existait deux maternités publiques, l’une dite « ancienne maternité ou maternité Flaubert » avait un niveau 3. Située au centre-ville, elle était mitoyenne avec le service de pédiatrie et la réanimation néonatale. L’autre maternité, étiquetée niveau 2, se trouvait à la périphérie de la ville au sein du tout nouveau groupe hospitalier Jacques Monod et bénéficiait d’un plateau technique de haut niveau. Les maternités étaient distantes d’une quinzaine de kilomètres et comptabilisaient chacune autour de 1500 accouchements par an. On ne pouvait laisser plus longtemps l’ancienne maternité Flaubert de niveau 3 au centre-ville, à distance de la réanimation adulte, des blocs chirurgicaux, de la radiologie interventionnelle. Nous nous sommes finalement réunis sur le site Jacques Monod.

À ma grande surprise, dans les semaines qui ont suivi notre fusion, je n’ai jamais vu autant d’hémorragies de la délivrance et surtout autant d’hémorragies qui se terminaient au bloc chirurgical. « On passe au bloc !» disaient les jeunes assistants non sans une certaine  fierté. Et quand ils passaient au bloc c’était pour faire une de ces interventions qui consistent soit à lier les principaux vaisseaux qui nourrissent l’utérus, soit à ficeler l’utérus comme un vulgaire gigot (capitonnage utérin selon la technique de B-Lynch ou de Cho ), soit plus radicales encore à faire une hystérectomie. Naturellement ces interventions n’étaient pas sans compromettre le pronostic des grossesses ultérieures. Cette inflation soudaine des hémorragies de la délivrance traitées chirurgicalement faisait contraste avec toutes ces années passées à l’ancienne maternité Flaubert où nous n’avions que très rarement eu besoin de recourir à des solutions invasives. L’accès trop facile à la technique avait engendré cette situation paradoxale de la même façon, nous l’avons vu plus haut, que le taux d’interventions était plus élevé à l’hôpital que dans les maisons de naissance en Angleterre. Il faut savoir  que les statistiques des pays européens, concernant la mortalité maternelle par hémorragie, place notre pays qui privilégie la naissance en milieu hospitalier, en queue de peloton. Même résultat pour la mortalité infantile montrée du doigt par toutes les professions qui œuvrent autour de la naissance, nous sommes tombés au 24e rang,  alors que la grande majorité des nouveau-nés naissent à l’hôpital.

Qu’on me comprenne bien, il n’est pas question pour moi de disqualifier la technique. Ne pas interpréter mon discours comme quelque rêverie bucolique d’un retour à la pureté matinale d’un accouchement libéré de la technique. Ce sont bien les progrès de la médecine et de ses techniques qui ont donné à la naissance, aujourd’hui, ce visage apaisé ouvert sur la joie de la mise au monde. Ce sont eux qui ont ouvert un espace de rêveries autour de l’accouchement, c’est ainsi qu’on peut accoucher dans l’eau, sous hypnose, sous acuponcture.

Comment éviter ces excès malheureux de la technique ? Il faut une graduation des structures qui prennent en charge les patientes. Or c’est tout le drame de l’obstétrique française qui n’a pas comme de nombreux pays, su mettre en place un premier échelon peu médicalisé comme les maisons de naissance.

ll faut par ailleurs savoir  que les économies de santé réalisées par les maisons de naissance ne sont pas négligeables. Les modélisations économiques réalisées en Allemagne et au Canada montrent sur une base minimum annuelle de 25% des naissances, soit 200 000 femmes, on aboutit à plus de 150 millions d’euros par an d’économie.

La sécurité n’est pas la seule cause de ces fermetures des petites maternités. Elle se conjugue avec une crise sans précédent de la démographie médicale. Ces petites maternités sont peu attractives, les postes de praticiens restent vacants. Le recours à l’intérim est inévitable.

On peut se demander alors, si accorder l’entière responsabilité de l’accouchement aux sages-femmes, comme dans les maisons maternelles ne résoudrait pas  ce problème de pénurie du personnel médical.

Laurent Vercoustre

9 Commentaires

  1. excellent article, comme toujours… j’ai que de tendres souvenirs de la maternité Flaubert, ou j’ai fait mes premiers pas en tant qu’interne en GO, dans une ambiance apaisée et rassurante et où j’ai écrit mes premiers articles scientifiques sous votre regard bienveillant et avec vos conseils

  2. Merci Dr Vercoustre de nous rappeler la « mémoire de Flaubert » qui était le compte rendu de cette réunification forcée. La réalité est que les professionnels désertent ces « accouchodrômes », les anciens partent et il manque nombre de médecins par cette grave erreur passée de réduire les numérus clausus, quand à l’informatisation généralisée, si elle apporte ses bénéfices indiscutables, elle paralyse la disponibilité et la vigilance des professionnels captés par les écrans…quand aux hémorragies des grands sites , vu le nombre de naissances…on ne peut être dans quatre salles en même temps, (surtout en resserrant les effectifs) ce qui avait permis à une statisticienne d’observer la chaîne de drames sur un cahiers de naissance lors de l’accélération du nombre de naissance. les sages femmes le disent voir le hurlent depuis des années UNE FEMME-UNE SAGE FEMME…La physiologie c’est observer, prévoir, réagir, anticiper et sécuriser par la parole et l’accueil…le stress marthonien à l’adrénaline, ne convient pas à la physiologie et au respect des bénéfices de l’ocytocine ! Nous avons étudié le plan de périnatalité 2004 de près qui n’avait qu’un seul objectif au bout de ses 200 pages : économie, fermeture, regroupement et informatisation des systèmes, nous avons rentré les données avec nos petites mains pour fermer nos maternités ! les économistes ne savent pas compter, ils ne connaissent rien à la physiologie et à ses bénéfices secondaires nombreux, ils oublient de lier réduction personnel, pathologies, suites graves, traumatismes, dépressions, hospitalisation, atteintes psychiques des enfants dans ces situations et répétition aux grossesses suivantes du au psycho trauma ..;quel gâchis !!! Bonne journée

  3. Si les gouvernements s’appuient sur l’avis de types comme le Pr Ville, ils auront la réponse souhaitée, voire soufflée à l’avance. Donc, rien d’étonnant, la logique est biaisée. Le rat de ville fait autorité sur le rat- tionnel de proximité.

  4. Nous n’avons aucune raison en Vendée d’approuver les conclusions du pré rapport du Pr Ville. De nombreuses affirmations relévent d’une vision très centralisée des problématiques, celle d’un académicien. Penser que 0,3 % des parturientes n’ont pas un accès à moins d’une heure à une maternité n’est déjà pas neutre, puisque cela concerne plus de 2000 femmes. Penser que le passage à 0,9% de parturientes entrant dans cette « case «  n’est pas non plus très grave, c’est dire que plus de 6500 parturientes seront en danger elles et leur bébé. Techniquement le Pr Ville omet de préciser qu’un accouchement mal engagé dans la filière génitale ( le bébé est en train de sortir) s’il n’est pas réalisé près d’un bloc chirurgical oblige à prendre un risque majeur. Une procidence de cordon, la présentation en siège avec une rétention tête dernière, une souffrance foetale, une bradycardie, une hémorragie, imposent la réalisation d’une intervention dans les minutes qui suivent leur constatation. Une heure de route, ou même quarante minutes seront fatales à la maman en cas d’hémorragie, au bébé dans les autres cas. Le transport en SMUR n’y changera rien puisqu’il ne dispose pas d’un bloc obstétrical ni d’obstétricien. Comme 4 des 5 maternités de Vendée font moins de 1000 accouchements par an et sont en niveau 1, nous réalisons l’absurdité des mesures envisagées. Nos élus ont bien raison de réclamer le rétablissement des services de soins sur le territoire et particulièrement des services de proximité des populations qu’ils représentent. Nous récusons aussi la théorie des « Seuils » pourquoi 1000 plutôt que 500 ou 1000 ? Nos quelques obstétriciens des petites maternités font finalement beaucoup plus de chirurgie que ceux du centre pivot sur lequel est concentré probablement prés de 30 gynéco-obstétriciens. Nos remplaçants réguliers ont une expérience d’autant plus importante, qu’ils travaillent plus. Ce sont eux qui nousi sont les seuls proposés. L’armée de leur collègues du centre pivot assument peu de garde et touchent un revenu probablement supérieur aux remplaçants faciles à caricaturer qui aiment leur travail et sont fidèles. La loi Rist ne fait pas dans le détail sur ce plan. Nous critiquons sévèrement la direction hospitaliière du département où le recrutement se fait essentiellement vers le centre pivot au détriment de la population. Les gros vaisseaux sont encore les modèles de nos orgueilleux monarques administraitifs. Le « Vasa  » a bien coulé dés son inauguration avec ses trois ponts surchargés de rutilants canons il y a quelques siècles. Quel gâchis ! Dr Jacques Legroux président CPTS Sud Vendée

  5. Analyse des plus pertinentes.
    Hélas, la solution qui découle du simple bon sens n’a plus la faveur des gouvernements successifs… Concernant précisément ce sujet, la tendance étant de chercher à convaincre que, pour une personne dont l’accouchement est imminent, faire 200 km en voiture afin de rejoindre l’hôpital le plus proche est absolument sans risque mais que par contre, une petite maternité de proximité à 10 mn de voiture est extrêmement dangereuse !
    Va comprendre la logique des politiques…

  6. bonjour, merci pour votre retour. Est-ce que le rapport précise où se situent les mortalités infantiles ? est-ce réellement lié à des accouchements en maternité niveau 1 ? il me semblait qu’il fallait tout de meme se situer à proximité d’un grand centre. Ou est-ce une moyenne nationale sans précision ?

    • A vrai dire je ne peux pas vous répondre, mais le fait est , dans un sytème qui privilégie les grosses structures, la mortalité infantile est plus élevée, toute chose égale par ailleurs.

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