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Le bonheur en question !

En cette soirée du nouvel an, il sera question du bonheur. Ce sont des vœux de bonheur que nous adresserons aux êtres chers qui nous entourent une fois égrainée la dernière minute de l’année.

Chacun sait que cette heure n’a rien de particulier, on est avec le nouvel an dans le régime de l’illusion volontaire, mais elle a le mérite d’être un kairos, c’est-à-dire un moment privilégié à saisir, l’occasion d’un retour sur le passé et d’une espérance pour l’avenir. C’est l’heure des grandes résolutions, ne plus fumer, faire un régime, être fidèle. Que cherchons-nous à l’horizon de ces résolutions, le bonheur, le bonheur bien sûr !

Le nouvel an est donc l’occasion d’une pensée sur le bonheur, occasion qu’il faut saisir par les cheveux ! Alors voici quelques réflexions de philosophes sur ce bonheur que nous recherchons tous. La question du bonheur est une partie du jardin des philosophes, ils l’ont nommée l’éthique.

Commençons par Alain et ses « Propos sur le bonheur ». Le livre se lit facilement, il ne faut pas y rechercher une thèse sur le bonheur, il est fait d’une succession d’anecdotes cueillies dans la vie quotidienne.

Pour Alain le bonheur ça se décide : « Il est impossible que l’on soit heureux si l’on ne veut pas l’être ; il faut donc vouloir son bonheur et le faire ». Alain convient que certains n’y parviendront pas, certains ne supportent pas le bonheur, car ils pensent qu’ils ne le méritent pas.

Alain ajoute que le bonheur doit être fait aussi en vue de l’autre : « Ce que l’on n’a pas assez dit, c’est que c’est un devoir aussi envers les autres d’être heureux ». Manifester du bonheur est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à l’autre.

Et ce bonheur, il ne faut pas le chercher bien loin : « comme la fraise a goût de fraise, ainsi la vie a goût de bonheur », ce qui signifie que le bonheur n’est pas un but, un idéal, mais demeure complètement immanent à la vie elle-même, il est ce qui la colore. Donner du goût à sa vie, et lui donner bon goût, là est le bonheur.

Enfin pour Alain nos maux sont imaginaires et nous les entretenons en imaginant qu’ils sont dus à des causes extérieures. Alors qu’ils disparaîtraient si nous réalisions que leurs causes sont intérieures, que c’est nous-mêmes qui les produisons.

Il y a du Spinoza dans cette réflexion d’Alain. C’est sans doute chez Spinoza que l’on trouve la réponse la plus achevée à la question du bonheur. On peut même considérer que toute la philosophie de Spinoza est fondée sur la quête du bonheur, il le dit explicitement : « J’ai décidé de chercher un bien suprême qui serait capable qui serait capable d’embellir durablement mon esprit de cette joie parfaite qu’on appelle le bonheur ».

Spinoza constate que toutes nos actions sont presque toujours orientées vers l’acquisition de trois biens : le plaisir, la richesse et la réputation. Or aucun des trois ne conduit au bonheur. Et ce pour trois raisons, parce qu’ils sont partiels, parce qu’elles nous aliènent, parce que ils nous laissent un sentiment de tristesse quand nous ne les obtenons pas.

Ainsi le plaisir charnel n’affecte qu’une partie de notre être, il ne nous comble pas. Et dès que la jouissance s’arrête, ce qui est inévitable, la tristesse et la manque nous envahissent.

La quête de l’argent nous aliène quand on ne le recherche que pour lui-même. Car elle devient sa propre fin et n’est de ce fait jamais satisfaite. Les mésaventures du patron de Renault Carlos Ghosn, dont le millième de la fortune conviendrait largement à chacun de nous, illustre cette quête jamais assouvie de l’argent.

L’estime des autres nous donne toujours beaucoup de joie, mais cette joie ne nous laisse jamais totalement satisfait. Au contraire plus nous cherchons à plaire aux autres plus nous nous éloignons de faire ce qui est bon pour nous.

Faut-il considérer que Spinoza nous invite à une vie d’ascèse. Pas du tout ! C’est même exactement le contraire. En effet Spinoza, rompant avec toute une tradition philosophique, a été le premier à comprendre que l’être humain est essentiellement désir. Que ce désir est la loi de la vie, chaque être vivant est porté par le désir de persévérer dans son être : c’est le fameux concept du conatus. Tout « facteur » qui vient augmenter notre conatus, c’est à dire notre puissance d’exister, provoque inévitablement en nous un affect de joie. Inversement, tout facteur qui réduit notre puissance d’exister cause immanquablement de la tristesse.

Pour parvenir au bonheur, il ne faut pas renoncer à nos désirs il faut les comprendre et les gérer afin d’augmenter notre puissance d’exister. C’est tout l’objet de son ouvrage le plus célèbre l’Éthique, sans doute le plus grand livre de philosophie de tous les temps, le plus difficile aussi car il est écrit dans un langage presque mathématique.

Pour Freud, Spinoza est le philosophe de la psychanalyse : « Pour peu que l’on pousse la réflexion assez loin, on se heurte à lui : on le rencontre sur la route où il est toujours prêt, j’ai construit mes hypothèses à partir du climat qu’il a créé ». Aujourd’hui les positions de Spinoza sont discutées passionnément par les plus éminents neurophysiologistes. Bref Spinoza n’a jamais été aussi actuel, c’est pourquoi je vous invite à l’approcher pour nourrir votre réflexion sur ce bonheur que vous allez souhaiter ce soir à vos proches. Ce d’autant que de nombreux auteurs s’emploient à nous rendre sa pensée plus accessible.

Tous mes vœux de bonheur aux lecteurs du QDM.

Laurent Vercoustre

8 Commentaires

  1. Le bonheur, vaste programme… et merci pour ce billet. Cela nous change de l’actualité morose.

  2. Je vois un grand amateur d’Emile Chartier. Si ses oeuvres complètes t’intéressent, c’est cadeau.

    • si on est un peu attentionné aux autres, un peu difficile mais c’est à chacun de se repositionner dans la vie.

  3. le bonheur c’est d’être capable d’apprécier ce qu’on a et de le partager, aussi, non ?
    bonne année 2019 un peu avant l’heure

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