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Inégalités de santé. Un nouveau vieux concept

Ils étaient plusieurs centaines d’entrepreneurs, industriels et membres du MEDEF venus le 28 août dernier assister à un débat sur… les inégalités de santé. Examinons donc dans ce billet cette question des inégalités de santé qui représente un enjeu si crucial de santé publique.

La question des inégalités de santé représente à a fois une avancée et une sorte de retour à une approche très ancienne de la maladie.  En effet, pendant des siècles avant l’époque moderne, pauvres et malades avaient des statuts indifférenciés : « être pauvre rend malade, être malade rend pauvre[1]». C’est ainsi que jusqu’à la fin du XVIIe siècle la prise en charge de la maladie se faisait à travers l’assistance aux pauvres. Cette médecine-service, assurée par des organisations religieuses avait pour fonction la distribution de nourriture, de vêtements, l’entretien des enfants abandonnés. La clinique a fondé sa rationalité sur l’objectivation de la maladie à l’intérieur du corps. La clinique, c’est l’immense effort de la pensée médicale pour décrire la maladie dans son rapport avec le corps indépendamment du milieu de l’existence. Au cours du XXe siècle, le formidable essor des techniques médicales a relativement éclipsé la médecine hygiéniste qui avait fait notre gloire à la fin du 19e siècle. Et, à l’orée du XXIe siècle, nous nous trouvons à nouveau devant le problème de l’intrication de la pauvreté et de la maladie, même si elle a pris des formes très différentes.

Les variables de milieu, la consommation alimentaire, l’éducation, les revenus familiaux, on le sait, agissent plus sur le taux de mortalité que la consommation de soins. L’égalité d’accès aux soins grâce à la CMU en 2000 n’a pas supprimé les inégalités de santé. La technique n’a pas résolu les problèmes de santé des plus défavorisés. En dépit de la généralisation progressive du système de protection sociale et de l’instauration de la couverture universelle (CMU) en 2000.

Ce constat a suscité toute une réflexion. Un concept a pris forme, celui de déterminants sociaux de la santé. Le concept de déterminant sociaux de la santé vise à expliquer comment les inégalités sociales « se transforment » en inégalités de santé. De nombreuses études ont permis de mieux cerner l’impact des déterminants sociaux. On peut en dégager trois constats majeurs. D’abord l’amplitude des inégalités de santé causée par les déterminants sociaux. Citons les plus marquantes. À 35 ans, un ouvrier en bonne santé perçue a une espérance de vie de 9 ans inférieure à celle d’un cadre. À âge égal, la mortalité par cancer du poumon des hommes sans diplôme est multipliée par 3,5 fois par rapport aux hommes dont le niveau d’étude est égal ou supérieur au bac. Le coefficient multiplicateur est de 10 pour le cancer du pharynx[2]. Second constat, au regard de certains indicateurs, les inégalités de santé ont tendance à s’aggraver. En France, l’état de santé des populations est entaché d’un paradoxe : un bon état de santé moyen mais des inégalités qui se creusent dès le plus jeune âge et se maintiennent tout au long de la vie. Ainsi, en classe de CM2, la proportion d’enfants obèses était 10 fois plus élevée que chez les cadres en 2008, contre 4 fois en 2002. Enfin, il faut savoir que la majeure partie des déterminants sociaux se constituent en amont du système de soins, dans les conditions de vie et de travail des individus.

Il y a un donc lien direct entre l’état de santé d’un individu et sa position sociale. Ces inégalités relèvent de déterminants socialement construits et par conséquent évitables. La question est de savoir ce qui joue derrière la position sociale. Est-ce le revenu, l’éducation, le degré d’insertion sociale ou d’autres facteurs. C’est à partir des années 80 les inégalités sociales de santé deviennent un objet d’étude. Le rapport Black[3] publié en 1982 est l’un des travaux fondateurs en la matière. Depuis cette date, la littérature s’est enrichie d’un grand nombre de travaux. Quel enseignement peut-on tirer aujourd’hui de cet effort pour comprendre les inégalités sociales de santé ? D’abord qu’il est difficile d’en dégager des principes généraux bien établis. La plupart des auteurs s’accordent sur un modèle théorique. Ils considèrent que la catégorie sociale des individus les expose à une combinaison variable de ressources et de contraintes. À chaque niveau social correspond un niveau spécifique de ressources – matérielles, comportementales – et une exposition à un certain nombre de facteurs de risque. C’est la combinaison entre ces ressources et ces risques qui va « produire » des différences sociales de santé.

Un certain nombre d’études montrent que c’est la structure inégalitaire de la société qui est responsable des inégalités de santé. L’une des conclusions du rapport Black est que la pauvreté ne suffit pas à expliquer les inégalités de santé puisque celles-ci ne s’interrompent au-delà d’un certain niveau de revenu. En Grande-Bretagne, le suivi de la cohorte Whitehall a mis en évidence des disparités de mortalité entre fonctionnaires qualifié et non qualifiés, alors même qu’ils disposaient tous d’un accès aux soins et d’un emploi stable rémunéré. Les inégalités de revenu importeraient plus que le revenu lui-même pour expliquer les inégalités de santé.

On pourrait malicieusement voir dans la conclusion de ces études une forme tautologique de réponse à la question posée. Qu’est-ce qui fait que les inégalités sociales induisent des inégalités de santé ? Ce sont les inégalités sociales… L’impact des inégalités sociales sur la santé est un fait incontestable, pourtant, les causes directes, leur enchainement, leur poids respectif, restent du domaine spéculatif. Par ailleurs leur multiplicité explique les difficultés méthodologiques rencontrées par les chercheurs et leur incapacité à constituer cette approche de la santé en une véritable science, capable de pondérer ces facteurs et de décrire leur enchainement.

La déclaration d’Adélaïde de l’OMS de 2010, propose cependant un cadre conceptuel pour lutter contre les inégalités de santé. Son titre condense sa philosophie : « La déclaration d’Adélaïde sur l’intégration de la santé dans toutes les politiques : vers une gouvernance partagée en faveur de la santé et du bien-être ». Autrement dit, il faut mettre de la santé dans toutes les politiques.


[1] Jacques Attali, L’Ordre Cannibale. Vie et mort de la médecine, 1979, Éditions Grasset et Fasquelle, p. 79.

[2] Données issues de l’ouvrage d’A.Leclerc, M. Kaminsski et T. Lang. Inégaux face à la santé. Du constat à l’action. La Découverte, Paris, 2008.

[3] Black D. et al. Report of the working group of inequalities in health London. Stationery office, 1980.

Laurent Vercoustre

2 Commentaires

  1. Comportement et exposition aux facteurs de risque semblent expliquer une bonne partie des différences.
    Une des biais de la médecine est de s’intéresser exclusivement aux malades.
    Il serait utile ici d’étudier les biens portants et en particulier ceux qui en dépit d’une catégorie sociale à risque sont en bonne santé.
    Il serait intéressant aussi de voir comment d’autres pays s’en sortent, par exemple, Japon, Singapour, Allemagne…

  2. l’inégalité de santé existe dés la naissance et le parcours de vie de l’enfant né dans ces conditions est semé d’obstacle qui tiennent autant à son environnement familial qu’au politique qui légifère… sans toujours donner les moyens et sans évaluer les conséquences de leurs actions.

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