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Covid-19 et anthropocène

L’an dernier encore nous échangions des vœux de bonne année sans arrières pensées. Notre foi en l’avenir restait intacte. Aurions-nous cru un instant à un prophète de malheur nous annonçant qu’un virus venu de Chine allait mettre la planète sens dessus dessous.

Désenchantée fut, cette année, la nuit du réveillon. Le couvre-feu nous avait volé la fête. Nos vœux sonnaient faux. Nous savions bien que 2021 souffrirait encore des caprices de ce virus. Déjà nous apprenons que des mutants plus contagieux ont surgi aux quatre coins du monde.

 Au fond de chacun de nous, une voix murmure le secret désir de revenir au monde d’avant, un monde sans masques, sans couvre-feux, sans confinements,

À entendre les épidémiologistes on peut y croire. « Toutes les épidémies finissent par s’éteindre spontanément ; les agents pathogènes fatiguent, c’est la Nature ! » affirme Michel de Lorgeril.

On ne peut céder à cet optimisme. Car dans cette crise se rejoignent à la fois la question de la santé individuelle et de la santé de la planète tout entière. La crise du coronavirus est une crise écologique.

On sait que la dégradation des écosystèmes et de la biodiversité[1] facilite le développement de maladies infectieuses d’origine animale. C’est ainsi que la déforestation ou l’agriculture industrielle favorisent la mise en contact des êtres humains avec les animaux sauvages et les virus qu’ils sont susceptibles de porter. Or les forêts tropicales abritent des millions d’espèces, dont beaucoup sont largement inconnues des scientifiques. Parmi celles-ci, on trouve d’innombrables virus, bactéries, champignons et parasites. La plupart sont bienveillantes et ne peuvent pas vivre en dehors de leur hôte. Mais certains comme les virus à ARN peuvent muter rapidement et s’adapter à de nouveaux hôtes comme les élevages intensifs. Ceux-ci deviennent alors une véritable bombe à retardement. Des milliers d’animaux avec une grande homogénéité génétique, entassés dans un même endroit, sont les conditions idéales pour que le virus se développe et opère les mutations nécessaires pour s’adapter à l’Homme. C’est ce qu’on a vu avec les visons du Danemark qui sont probablement à l’origine du mutant anglais.

L’appauvrissement des écosystèmes augmente les opportunités de passages vers les humains. Dans un écosystème riche, un pathogène a plus de chances de rencontrer des hôtes dits « peu compétents », c’est-à-dire défavorables à sa démultiplication, voire des espèces « cul-de-sac ». Au contraire : moins l’écosystème est riche, plus il y a de chance qu’un pathogène finisse par passer chez l’humain. L’appauvrissement des écosystèmes accroît donc considérablement le risque de passage à l’homme.

Dans le cas précis de l’épidémie de Covid-19, le lien avec la destruction d’un écosystème n’est pas avéré. En revanche, il est indéniable que la mondialisation caractérisée par la densification des populations humaines et l’accélération incontrôlée des échanges a favorisé la dissémination du virus. Lévi-Strauss a montré l’influence des organisations sociales sur les maladies infectieuses. Les sociétés primitives vivaient par petits groupes comprenant quelques dizaines à quelques centaines de personnes, éloignées les uns des autres par plusieurs jours de voyage à pied et dont la densité démographique ne dépassait pas 0,1 habitant par kilomètre carré. Ces petits groupes ont une capacité spontanée pour éliminer en leur sein les maladies infectieuses. Les épidémiologistes en ont donné la raison : les virus de ces maladies ne survivent chez chaque individu qu’un nombre limité de jours et doivent constamment circuler pour se maintenir dans l’ensemble de la population. Cela n’est possible qu’à partir d’un effectif démographique de plusieurs centaines de milliers d’individus. A la diffusion du coronavirus s’offre l’humanité entière.

La crise actuelle est d’une telle dimension qu’elle commence à donner une petite idée des crises à venir imposées par la mutation climatique. Elle annonce ce moment critique de l’anthropocène qui nous fera basculer dans une ère nouvelle où nous aurons à payer les agressions que nous avons infligées à l’environnement.  L’anthropocène signifie étymologiquement « L’Âge de l’Homme ». L’âge où l’Homme est devenu une force telle qu’il modifie l’écosystème de la planète. Cette nouvelle ère aurait débuté lors de la Révolution industrielle de 1850, succédant à l’holocène (l’ère interglaciaire qui a favorisé l’expansion des sociétés humaines), qui dura plus de 10 000 ans. Cette force de l’homme s’est retournée contre lui et, à l’occasion de la crise du covid-19, il a fait l’expérience de sa radicale vulnérabilité.

Saurons-nous faire de cette pandémie une répétition générale avant une très prochaine crise climatique ? Il nous faut dès aujourd’hui renoncer à retrouver le monde d’avant. Ce monde qui a fait de la croissance économique son mode de fonctionnement. On sait depuis le Club de Rome et le rapport Meadows que la croissance n’est pas indéfinie. Dans un précédent billet, j’avais montré qu’elle dépendait des ressources énergétiques et principalement du pétrole. Les courbes du PIB mondial et de la production de pétrole évoluent dans le même sens. Le pétrole pilote le PIB. Les réserves de pétrole ne sont pas inépuisables. Le pic pétrolier a été atteint en 2007 marquant le début de la décroissance de la production du pétrole conventionnel. Un ralentissement de la croissance est inéluctable. Et dès qu’il n’y a plus de croissance tout le système financier s’écroule comme un château de cartes.

Notre monde est donc sous une triple menace, biologique avec les maladies émergentes, climatique avec toutes les conséquences que l’on connait (déplacement des populations…) et économiques avec l’épuisement des réserves de pétrole. C’est le moment ou jamais de se mobiliser pour changer radicalement les règles du jeu économique et construire un monde plus juste et écologique.

Bonne année quand même…


[1] Selon la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique des Nations unies sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), trois quarts des terres et deux tiers du milieu marin ont été modifiés de manière significative, et environ un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction. Le Rapport Planète Vivante 2018 du WWF23 montre une diminution moyenne de 60 % de l’abondance des populations de vertébrés dans le monde entier en à peine plus de 40 ans[1].

Laurent Vercoustre

4 Commentaires

  1. Merci pour ce billet qui aide à prendre de la hauteur de vue.
    Je reste toutefois étonné par le décalage entre les réflexions associées aux rôles humains dans la survenue ou la propagation des maladies et les pratiques médicales quotidiennes, en général.

    Bien sûr et même hors covid il y a toutes ces décisions médicales urgentes à prendre, ces symptômes qui ne rentrent dans aucun cadre, ces patients discutailleurs (moi par ex. quand on prétend mesurer mon cholestérol : no way, pas de temps à perdre) ces choix de traitement à faire, ou de non-traitement parfois, ces discussions d’équipe, ces moments fastidieux de gestion, de négociation, etc. et biens d’autres aspects que je ne perçois pas en tant que patient.
    Tout ceci ne doit pas faciliter l’intégration de réflexions plus générales dans la pratique.
    Mais pourtant …. qui parmi tous les médecins concernés et intéressés va se dépêcher de passer une habilitation pour conduire des essais cliniques afin de vérifier, méthodologie solide à l’appui, les rôles supposés de facteurs alimentaires par exemple pour des endométrioses (un livre est publié en ce sens, des témoignages éloquents aussi, qui devraient pousser à chercher en ce sens)?
    Qui va rechercher les facteurs environnementaux possibles dans le déclenchement d’un diabète de type 2, pour ce qui est a priori connu, et d’un diabète de type 1 pour ce qui l’est moins mais a été suspecté ?
    Qui parmi les médecins, il y en a quelques uns, se référant par exemple à McKeown va pousser plus loin ses propres investigations sur les liens environnement – santé ?
    Rien que ces recherches là, et quelques autres sur les liens environnement – santé (sarcoïdose, sclérodermie, certains lymphomes, etc. etc.) devraient permettre d’y voir plus clair et de potentiellement réellement soulager les patients.

    En tant que patient et pour tous les médecins qui vous lisent et sont en accord avec ce que vous écrivez je réclame : des actes ! des recherches sur les causes !
    D’autant que le travail sur ces sujets est sacrément pré-mâché. Beaucoup reste à vérifier mais des pistes solides sont déjà là. Qui s’en soucie ?
    Je me permets de donner quelques exemples de liens supposés ici, si voulez bien laisser ce lien, mais il y en a bien d’autres : https://www.revolutions-scientifiques-et-diabetes.com/blog/environnement-diabetes-autres-maladies.html
    Des recherches médicales sur tous ces sujets permettraient justement ensuite d’argumenter pour une développement économique beaucoup plus raisonnable, en ciblant très précisément les pollutions et les lieux concernés.
    Il y a là largement de quoi impliquer des médecins au sein d’équipes de recherches et d’être efficaces aussi de ce point de vue. Ce ne sera pas miraculeux car l’économie prime souvent, mais je pense a minima aussi efficace que des recherches de traitements miracles qui patinent depuis fort longtemps.
    Et cela pourrait peut-être aussi d’ancrer enfin le réflexe de recherche des causes environnementales dans toutes les pathologies y compris infectieuses (polluants, causes alimentaires, causes iatrogènes : cf. les IPP liés aux formes graves de Covid-19, causes sociales, …)

  2. Docteur Laurent Vercoustre,
    Bonsoir,

    Les articles que vous publiez sur ce site sont très intéressants.
    Je suis à moitié surpris que la question de l’Anthropocène donne lieu à si peu de commentaires sur un blog médical. Il me semble que le corps médical est peu préparé, sur le plan cognitif, à tenir compte du milieu et de l’environnement, et des déterminants de la santé qui ne reposent pas sur la prescription ou l’administration de molécules. Dans le cursus et à la faculté, la santé publique est une discipline dédaignée, la toxicologie réduite à peau de chagrin, et l’idée d’écosystème timidement réintroduite par la vogue du microbiotique.
    Pourtant, one health, ce paradigme est à l’oeuvre dans les travaux de René Dubos. Mais qui va lire René Dubos pour « faire médecine » ?
    Et la transition écologique, au-delà du « greenwashing », est-elle compatible avec la tragédie des communs dans une économie du Poubellien supérieur ?

    Respectueuses salutations.

  3. Curieuse illusion que celle de vouloir revenir aux jours précovidiens !
    C’est toute notre évolution humaine qui a conduit au grand bazar – loin d’être uniquement sanitaire, mais bien écologique comme vous le dites- dont nous n’avons pas encore pris la mesure. Retour à l’image du mur de dominos.
    L’anthropocène commence en effet dans le doute et la douleur. L’homme ancien a échoué, il a été trop loin et trop mal. L’homme nouveau cultivant son intelligence systémique pour juger de la pertinence de ses décisions et actions ne peut qu’émerger. Cela ne dépend que de chacun dans son petite cercle de vie. Sinon ? Homo sapiens par incapacité d’adaptation disparait de la planète, ce dont toutes les formes du vivant ( jusqu’aux virus ?) cultive sans se lasser.

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