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Urgences encore et encore…

J’ai consacré de nombreux billets à la crise de l’hôpital, sept au total (1). Cette crise n’en finit plus, elle touche aujourd’hui plus spécifiquement les urgences, on nous annonce un été catastrophique. Déserté par le personnel soignant, les services d’urgence sont au bord de l’implosion.

Que se passe-t-il ? Tous le défauts de notre système de santé s’expriment  à leur plus haut degré dans la crise des urgences. Ces défauts sont principalement l’hospitalocentrisme et la structure dyarchique de notre systèmes de soins.

L’hospitalocentrisme, je l’ai constamment dénoncé dans mes billets. Je rappelle que ce sont les ordonnances Debré de 58 qui ont résolument placé l’hôpital au centre de notre système de santé. Il fait de l’hôpital la structure suzeraine de notre système de santé vers laquelle tout doit converger. Cet hospitalocentrisme s’est renforcé au fil des réformes.  Alors que dans le même temps rien a été fait pour mettre en place une véritable organisation des soins primaires. A l’occasion du Ségur de la santé, c’est encore au profit de l’hôpital que notre ministre a distribué ses largesses. La médecine de ville a été la grande oubliée de ce Ségur de la santé. : « Les médecins généralistes ne comprendraient pas que le secteur ambulatoire ne bénéficie pas d’un investissement du même ordre, signal d’une volonté de transformation profonde du système de santé » déclarait le Dr Jacques Battistoni président de MG France.

On déplore, c’est vrai,  la fermeture de nombreux lits d’hôpitaux. Il faut savoir que avec 6 lits pour 1000 habitants la France reste à un niveau très élevé par rapport à d’autres pays—cela va du double au triple— comme la Suède ( 2,2 ), le Royaume-Uni (2,5), le Canada (2,5) le Danemark (2,6), Espagne (3), Pays-Bas (3,3).

Dans de nombreux pays  les soins primaires sont en première ligne pour la prise en charge des urgences.

Ainsi en Norvège les soins primaires d’urgence sont assurés par des médecins généralistes réguliers (pendant les heures de bureau) et par des médecins généralistes de garde (en dehors des heures de bureau).Une caractéristique particulière du système norvégien est que les patients ne sont pas autorisés à se faire soigner directement dans un service d’urgences, mais doivent être envoyés par un médecin de ville.

De même en Allemagne, les médecins généralistes assurent la majeure partie des soins d’urgence pendant les heures normales d’exercice ou après les heures de travail dans leur cabinet. Jusqu’à récemment, la médecine de garde était souvent assurée à tour de rôle par les médecins dans leur propre cabinet ou postés à leur domicile. Aujourd’hui, ce système a disparu au profit de structures de garde centralisées tenues par des médecins généralistes.

Au Royaume-Uni, il existe des centres de traitement d’urgence dirigés par des médecins généralistes, ouverts au moins 12 heures par jour, tous les jours. Ils sont équipés pour diagnostiquer et traiter, à proximité, un grand nombre des affections les plus courantes et éviter que les patients se rendent dans les services des urgences de l’hôpital. Ils travaillent en collaboration avec d’autres parties du réseau de soins d’urgence, notamment, les pharmacies de ville, les ambulanciers et d’autres services de proximité.

On est frappé par l’émulation intellectuelle qui tourne autour de l’organisation des urgences. Il existe en effet une abondante littérature qui contraste avec l’absence d’une réflexion approfondie sur le sujet en France. De nombreuses sociétés de conseil  offrent leur service au NHS pour l’organisation des urgences.

L’autre vice de construction de notre système de santé est sa structure diarchique. Il repose en effet sur deux piliers distincts, d’une part le secteur hospitalier sous la tutelle de l’État, d’autre part la médecine de ville régulée par la Sécurité sociale. Il en résulte un cloisonnement de l’offre de soins. Entre hôpital et médecine de ville, on communique mal et surtout on ne coopère pas. Les médecins libéraux ont réagi violemment  contre certains qui réclamaient le retour des gardes obligatoires et le report des congés des médecins libéraux afin d’assurer une permanence des soins. Cette obligation  a suscité le coup de gueule d’un lecteur du Quotidien du Médecin :« Ce n’est pas au médecin libéral de payer les pots cassés. Nos politiques ont tout fait pour en arriver là. Je propose que les maires, les conseillers départementaux, les conseillers régionaux, les députés et les sénateurs prennent un tour de garde dans les services d’urgence pour assurer les premiers soins. La délégation de tâche est un terme à la mode, alors déléguons des tâches à nos politiques. »

En Allemagne tous les médecins de ville conventionnés sont obligés de participer au système de médecine de garde. Cette obligation s’applique à la fois aux médecins de ville libéraux et aux médecins travaillant en médecine de ville en tant que salariés.

Je rappelle enfin l’analyse que j’avait faite dans mon précédent billet sur les urgences. La saturation des services d’urgence n’est pas le fait des urgences vitales qui sont relativement constantes, sauf peut-être à l’occasion des vagues du Covid-19 . Seuls 1 % des patients sont amenés par le SMUR (service mobile d’urgence et de réanimation). Ce sont des pathologies plus courantes qui ne mettent pas la vie en danger mais la perturbent suffisamment pour exiger une prise en charge rapide qui embolisent les urgences. Ces pathologies, autrefois prises en charge par la médecine de ville, ne le sont plus du fait d’un exercice programmé des consultations. L’agenda des médecins de ville ne peut plus accueillir ces patients car ils sont saturés par des consultations de suivi. Essentiellement de suivi des maladies chroniques. De même, pour les pédiatres, les 20 examens médicaux prévus au cours des 16 premières années de la vie suffisent largement à remplir leurs agendas! 

Ceci conforte l’idée que la solution de la crise des urgences ne passe pas par un renforcement des capacités d’accueil de l’hôpital, mais bien par un effort d’organisation des soins primaires.

Billets sur la crise de l’hôpital :

Laurent Vercoustre

3 Commentaires

  1. Tout ce que vous dites est fort pertinent mais l’étiologie essentielle des problèmes actuels est ailleurs. L’argent est le nerf de la guerre, et la diminution des dépenses de santé imposée par l’UE est la grande responsable. Je devrais plutôt dire que LES responsables sont nos « politiques » qui obéissent aveuglément.Vous croyez que tout ceci n’est pas voulu et organisé depuis longtemps? Et bien moi je pense que si. Tout comme sont voulues et organisées la réforme du chômage et celle, à venir, des retraites, par exemple. Qui veut démolir la France et pourquoi. Là sont les vraies questions, mais c’est un autre sujet.

  2. Autrefois, les ambulances, les pompiers amenaient à mon cabinet les malades. Certains relevaient de ma compétence et je les prenais en charge. Sinon j’adressais aux urgences. Tout à coup, changement de stratégie avec la T2A. Je n’ai jamais revu d’ambulances ni de pompiers.
    Maintenant, les grands stratèges qui ont inventé ce système qui d’évidence ne pouvait pas être pérenne, battent le rappel pour remettre dans le circuit les médecins écartés des urgences de ville.
    La solution la moins contraignante serait maintenant de mobiliser toute personne ayant le titre de médecins.(du travail, – conseils, retraités actifs ou non mais se portant volontaires, de l’ARS, devenus députés,etc…).
    En fait, on a incité des médecins à se planquer, et maintenant ce sont les médecins de ville qui sont culpabilisés. Soyons raisonnables et n’écoutons plus les grands stratèges. Ils savent se tromper lourdement. Malheureusement, ils restent donneurs d’ordres.

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