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Prohibition des fresques carabines, un fait de société

Fini ! C’est fini nos repas ne se dérouleront plus dans nos salles de gardes sous le regard de paires de fesses rebondies, de couilles poilues et de bites démesurées. Le 17 janvier dernier la direction générale de l’offre de soins (DGOS) demande à tous les établissements de retirer des salles de gardes « l’ensemble des fresques carabines à caractère pornographique et sexiste ».

Voilà qu’aujourd’hui la direction générale de l’offre des soins, en décidant la suppression des fresques carabines, se transforme en une police des mœurs. Pourquoi  aujourd’hui ces fresques qui témoignaient depuis des décennies de l’esprit carabin font-elles problème ? Certains verront dans cet interdit une bigoterie de la DGOS. Je crois pour ma part que cet évènement fait signe, qu’il est un des nombreux symptômes de  la profonde transformation du statut de la sexualité dans notre société.

Examinons la question non pas sous l’angle de la morale – pour dire c’est bien ou c’est mal– mais comme un fait, un fait social qui mérite d’être analysé dans le cadre beaucoup plus large de l’ordre sexuel de notre présent. J’entends par ordre sexuel le partage que notre société impose  aujourd’hui entre le permis et le défendu, entre le licite et l’illicite dans le domaine du sexe. Force est de constater que cette ligne de partage s’est considérablement déplacée au cours des cinquantaines dernières années.

Examinons l’homosexualité : quel chemin parcouru depuis l’ordonnance de 1960 qui classait l’homosexualité parmi les fléaux sociaux ! Trois dates jalonnent cette évolution : 1980, l’homosexualité classée auparavant comme maladie mentale est retirée du fameux manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux DSM, (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), août 1982, dépénalisation de l’homosexualité en France, mai 2013 légalisation du mariage entre individus du même sexe. Retournement complet du statut de l’homosexuel qui n’est plus aujourd’hui  l’objet d’aucune discrimination.

Voyons maintenant la violence sexuelle. L’intensité et l’omniprésence des débats sur la violence sexuelle se signalent comme  un fait radicalement nouveau dans  les pays occidentaux. Il faut se rappeler qu’il y a cinquante ans, il n’y avait pas de prise de conscience publique sur ces questions.

L’affaire Weinstein d’octobre 2017 a déclenché une « explosion discursive à l’échelle de la  planète ». Le hashtag #Me Too créé dix ans plus tôt par la militante féministe américaine Tarana Burk, a pris rapidement une dimension virale sur les réseaux sociaux, libérant la parole des victimes d’agression sexuelle. Sa version francophone #balancetonporc a connu la même fortune.  Cette affaire Weinstein marque un tournant dans la prise en compte des  violences sexuelles dans les pays occidentaux, à tel point qu’on peut parler d’ères pré- et post-weinsteiniennes.

Ces abus sexuels réécrivent toujours le même scénario, celui d’un homme qui dispose d’un certain pouvoir et qui considère que celui-ci lui donne une sorte de droit de cuissage sur la gent féminine. Cette violence s’inscrit toujours dans une relation de pouvoir. Pouvoir de l’homme politique, pouvoir de la star du show-biz, pouvoir du chef d’entreprise, ou simple pouvoir du maître de maison  à l’égard de sa domestique. Dans les romans de Zola, la domestique est souvent choisie  pour satisfaire la sexualité du maître de maison.

 

Il n’y a pas si longtemps, ces individus bénéficiaient  d’une omerta. On étouffait l’affaire, il y avait comme une loi du silence qui protégeait les coupables. Aujourd’hui les prédateurs, comme Poivre d’Arvor, ou Nicolas Hulot ne bénéficient d’aucune indulgence et sont au contraire l’objet d’un lynchage médiatique. La tolérance à la violence sexuelle relevait d’un contexte sociale dominé par le machisme. Le combat féministe a complétement changé le rapport de force.

Il en est de la violence sexuelle comme de l’homosexualité :  le retournement est complet, mais en sens inverse, l’homosexualité  évoluant vers une totale libération, la violence sexuelle vers une répression maximale.

L’interdit des fresques carabines ne procède pas d’une bigoterie de la DGOS, mais bien de l’émergence d’un ordre sexuel qui impose à notre société un nouveau partage entre le permis et le défendu. On peut se demander qui œuvre pour une  telle transformation. C’est là qu’il faudrait convoquer le philosophe Michel Foucault. Ces transformations ne résultent pas de la décision d’un individu,  il n’y a pas derrière elles une personne, un « je » qui décide. Il y a ce que Michel Foucault appelle « un dispositif ». Que signifie ce concept élaboré par Foucault dans son livre La volonté de savoir premier tome de son histoire de la sexualité. Répondre à cette question nous emmènerait beaucoup trop loin. Ce concept est au cœur de la pensée du philosophe. Pour Agamben, philosophe italien, disciple de Foucault le mot « dispositif » est un terme décisif dans la stratégie de pensée de Foucault. A ceux qui souhaiteraient aller plus loin, je recommande la lecture de La volonté de  savoir.

Laurent Vercoustre

12 Commentaires

  1. En Grèce aux jeux olympiques , les athlètes évoluaient nus.. L’Eglise
    un temps fit recouvrir tous les sexes de la statuaire classique par des feuilles de vigne en plâtré. La Haute Administration HAS..HA truc, HA Machin tue lentement la Médecine Humaniste du serment d’Hippocrate pour la remplacer par des machines à algorithmes issus de l’intelligence dite artificielle où elle mettra ce qu’elle voudra .Ceci afin de supprimer le « pouvoir médical » c’est à dire le pouvoir de se dépenser au service du patient espèce dont le seul intérêt est d’être un consommateur totalement soumis à Big pharma big dollar ,grâce aux médias et à de nouveaux « medecins » asservis et formatés…

  2. Excellent billet sur ce sujet. Et en fait, on peut penser que ceux qui nous dirigent enragent de savoir que les médecins sont payés pour voir des corps dénudés alors qu’eux payent pour en voir. Ce n’est pas le propos, certes, mais je l’ai entendu de la bouche « d’élites ». Ils n’ont rien compris. Ils devraient lire ce billet. Ces fresques, c’est de l’art, nécessaire pour supporter la vie et la mort. Eux, c’est le pouvoir ( surtout de censurer) et le profit. Y aura-t-il des « gardiens de la moralité » pour massacrer les récalcitrants?

  3. Encore une foi un bel article très juste et il n’y a pas que chez les carabins qu’il est utile de garder un humour grivois face à la mort, d’autres professions, militaires, Police etc.. au contact du danger tous les jours, cette « grivoiserie » est acceptée dès lors qu’elle n’entraine pas une dépendance à ceux qui ont « le pouvoir » et qui en abusent.

  4. D’accord avec les commentaires d’Aline, Picot et Hadet. Je crois qu’il est inutile de philosopher hélas. L’interdiction (celle-ci comme toutes les autres) n’est que l’objectivation du pouvoir et dans ce cas (comme dans tous les autres) de l’administration sur le médecin. Le hic, c’est que l’indépendance (oserais-je dire la liberté) constitue l’essence le l’exercice hippocratique. La haute administration cherche à soumettre notre profession au fil du temps à force d’interdictions, de coercition, de contraintes administratives, de clivages, d’appauvrissement, de surmenage, de PPL (rap)portées par des traîtres, en mettant hypocritement en avant l’intérêt des patients dont ils se foutent royalement et dont nous sommes les seuls, en définitive, à nous soucier véritablement.

  5. Le philosophe Byung Chul Han pense que la méthode de Foucault n’a plus aucune application aujourd’hui. Le « dispositif » imaginé par Foucault est remplacé de nos jours par l’autocensure totalitaire qui s’exerce à tous les niveaux, par tous les individus et qui est exaltée dans les structures rigides de type DGOS, en alliance avec l’idéologie néolibérale à l’œuvre, pour un écrasement total de la liberté/le dérisoire/l’humour/l’individualité.

    • Dommage ou heureusement (?) que ceux qui pensent le bien n’aient encore pas interdit Gustave Courbet…et bien d’autres . Toujours 2 poids, 2 mesures …. Selon que vous serez….

  6. « L’ensemble des fresques carabines à caractère pornographique et sexiste » Pornographique peut être mais c’était drôle et cela nous aidait à nous détendre et à lutter contre l’anxiété due à la fréquentation quotidienne de la maladie et de la mort. Ce dont nos « élites » n’ont aucune idée. Sexiste sûrement pas, les filles rigolaient autant que nous. L’administration n’a rien à faire dans les salles de garde, pas touche, à la porte. Elle s’occupe de ce qui ne la regarde pas, cela devient une habitude. Et au fond qu’est ce que cela veut dire? Cela veut dire que dans les régimes autoritaires, voire totalitaires, on ne rigole pas. Message subliminal aux futurs médecins : « Travaille, même si tu es mal payé, méprisé et épuisé. Et surtout ne rigole pas, obéis ». Dans un tel régime l’humour ne saurait être accepté puisqu’il est un signe de liberté d’esprit. Et la liberté (des gueux) en Macronie, on déteste.

  7. Interdire les fresques à caractère sexuel dans les salles de garde, pourquoi pas ? mais il me semblait qu’elles étaient privées ! Dans le même ordre d’idée, il convient d’interdire la production et la vente de films pornographiques qui ne valorisent pas la gente féminine… 2 poids, 2 mesures

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